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Un gouvernement fédéral… mais après les vacances d’été

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Face à la difficulté de former un gouvernement de centre-droit, le spectre de la crise politique record de 2010 hante déjà les esprits. Pourtant, le contexte socio-économique, budgétaire et institutionnel devrait ramener les partis à la raison. Après l’été…

Cela pourrait prendre du temps, beaucoup de temps. Après l’annonce précipitée des négociations aux échelons régionaux, francophone comme flamand, la formation d’un gouvernement fédéral avance à un rythme d’escargot. Blocage en vue. Les partenaires pressentis pour une majorité de centre-droit (N-VA, CD&V, Open VLD, MR et CDH) ont tous de bonnes raisons d’être méfiants.

« Cette formation promet d’être complexe, souligne déjà Koen Geens, ministre CD&V des Finances sortants, dans un texte publié ce 16 juin sur son blog. Les partenaires francophones pour la formation d’une majorité de centre-droit, MR et CDH, ne sont pas prêts. Il faut laisser le temps au temps…. » « Il est certes nécessaire de prendre du temps, tant la situation est épineuse, constate Pierre Vercauteren, politologue à l’UCL-Mons. La N-VA et le PS jouent aux échecs à distance et l’on assiste déjà à l’apparition de veto, de verrous, qui risquent de se solidifier avec le temps. Mais les enjeux sont à ce point cruciaux qu’il sera nécessaire de trouver une solution, au moins après les vacances d’été. »

Socio-économique : il faut agir, vite !

Avant le scrutin, tous les partis avaient clamé la nécessité de mettre en place un gouvernement fédéral aussi rapidement que possible, pour prendre à bras-le-corps l’urgence socio-économique. « Le licenciement massif décidé par Delhaize sert de piqûre de rappel, souligne Etienne de Callataÿ, chief economist à la banque Degroof. Cela démontre une nouvelle fois que le coût du travail est trop élevé. Il faut agir, vite ! Le mécanisme d’indexation des salaires doit être revu. Prétendre qu’il défend le pouvoir d’achat, c’est une vue à très court terme. L’abandon de l’indexation, progressive, pourrait se faire avec, en parallèle, une harmonisation des conventions collectives afin d’éviter le dumping social. L’autre priorité, c’est l’encouragement de l’esprit d’entreprise via des baisses de charges. Dans les deux cas, le fédéral reste de très loin le niveau de pouvoir qui dispose des leviers de décision les plus importants. »

Luc Coene, gouverneur de la Banque nationale, a lui aussi mis la pression en rappelant une autre urgence nationale : la nécessité, pour rester dans les clous budgétaires européens, de réaliser 14 milliards d’économies supplémentaires au cours de cette législature. Pour y arriver, dit-il, il sera indispensable de revoir à la baisse les dépenses des pensions et des allocations de chômage. « Cette urgence pourrait se manifester en septembre, quand la Belgique devra remettre son rapport aux institutions européennes », souligne Pierre Vercauteren.

Dette : attention, elle explose…

Risque-t-on de voir resurgir les pressions émanant des marchés financiers ? En 2010-2011, après des centaines de jours de crise, les taux d’intérêt sur la dette publique belge avaient explosé, un argument invoqué à plus d’une reprise par le formateur Elio Di Rupo pour hâter la mise en place de la tripartite sortante. Quatre ans plus tard, la dette vient de redépasser les 100% du PIB et un nouveau mode de calcul imposé par l’Europe va aggraver la situation en intégrant dans le contour de la dette de nouveaux éléments comme les déficits de sociétés de logements sociaux ou… des hôpitaux publics. Résultat ? La dette risque de s’envoler en septembre vers les 105% du PIB.

« Les marchés financiers ne sont pas bêtes, relativise Etienne de Callataÿ. Ils ne se disaient pas que tout allait bien avec une dette à 99% du PIB pour soudain dramatiser la situation parce qu’elle passe le cap des 100%, Mais la santé budgétaire de notre pays reste d’autant plus préoccupante que la Belgique s’est distinguée au niveau européen par une absence d’austérité. Sur la base des chiffres entre 2007 et 2013, le FMI épingle même un relâchement budgétaire. »
Les nouvelles économies à réaliser, prolonge le chief economist de la banque Degroof, seront loin d’être un sinécure. « On peut évidemment se dire que le plus dur est passé vu que 22 milliards d’économies ont été réalisés durant la législature passée. Tout d’abord, ce montant me semble surévalué, on se situe à mon avis à la moitié. Ensuite, il est toujours plus difficile de serrer la ceinture d’un deuxième cran. Enfin, la situation budgétaire sera particulièrement difficile ces prochaines années dans les Régions wallonne et bruxelloise, un phénomène qui ira en s’amplifiant avec les effets de la sixième réforme de l’Etat. Les partis au pouvoir auront bien du mal à gérer leurs promesses électorales, comme celle faite par Paul Magnette d’offrir des repas chauds gratuits pour tous à l’école. »

Institutionnel : un édifice fragile

Stabilisée par l’action du gouvernement Di Rupo, la Belgique reste un pays à l’équilibre précaire. Sur le plan institutionnel, aussi : l’application de la sixième réforme de l’Etat sera un vaste et épineux chantier avec le transfert de 4 366 fonctionnaires vers les Régions d’ici le 1er janvier 2015, la signature à venir de vingt-six accords de coopération entre les niveaux de pouvoir…. « Cette réforme est bétonnée par la Constitution, souligne Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel aux facultés Saint-Louis à Bruxelles. La N-VA ne pourra donc pas la remettre en cause sans une majorité des deux tiers. Mais le système que l’on va mettre en place va rapidement révéler ses fragilités, ses limites… et une nouvelle réforme de l’Etat s’imposera d’elle-même pour en corriger les défauts. »

La Région bruxelloise risque d’être à nouveau un brûlot communautaire, épingle-t-il notamment. « Un accord de coopération intrafrancophone a été conclu pour transférer certaines des nouvelles compétences en matière de soins de santé et d’aide aux personnes vers la Commission communautaire commune (Cocom), faute d’argent à la Commission communautaire française (Cocof). Une forte pression est d’ailleurs exercée sur les institutions francophones concernées pour qu’elles rejoignent la Cocom. Mais tout cela a été décidé sans les partis flamands ! C’est préoccupant… »

Plus fondamentalement, la nouvelle logique institutionnelle n’a pas choisi entre la logique fédérale et unitaire, estime Hugues Dumont. Certains articles de la nouvelle Constitution se contredisent ou « autorisent tout et son contraire ». « Par exemple, les articles 46, 65 et 118 de la nouvelle Constitution mettent à la fois en place le couplage des élections fédérales et régionales, autorisent leur découplage en cas de crise ou de déclaration de révision de la Constitution, et conditionnent le retour à un couplage à l’adoption d’une loi spéciale, à la majorité des deux tiers. C’est kafkaïen ! »

Tous nos interlocuteurs s’accordent pour dire que la mise en place rapide de majorités dans les Régions permettra de temporiser, de gagner du temps, tout en étant le reflet d’un « fédéralisme adulte ». Mais le gouvernement fédéral belge ne pourra pas rester longtemps dans les limbes. « Il sera nécessaire, à un moment, que la crise mûrisse d’elle-même pour faire plier l’un ou l’autre des partenaires, conclut Pierre Vercauteren. On ne peut se permettre de réitérer le scénario de 2010, quand 541 jours furent nécessaires pour former un gouvernement fédéral. »

Certains partis attendent peut-être, précisément, que la pression soit maximale avant de monter dans une majorité, fût-ce avec la N-VA.

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