Un Eros Center à Liège ?

Depuis la fermeture, en 2009, des salons de prostitution à Liège, l’idée d’ouvrir un Eros Center géré par le secteur associatif fait son chemin. Un projet innovant qui n’a pas que des adeptes

Depuis avril 2009, les cinquante salons de prostitution des rues du Champion et de l’Agneau dans le quartier Cathédrale-Nord à Liège sont fermés sur décision du conseil communal. Le projet d’un Eros Center est alors évoqué. Il rencontre les faveurs du bourgmestre Willy Demeyer. En Belgique, la prostitution n’étant pas interdite, elle est donc légale. En revanche, le racolage, le proxénétisme et la prostitution auprès de clients mineurs sont interdits. L’originalité du projet réside dans la gestion des salons. Celle-ci ne serait pas confiée à un propriétaire privé, comme c’est le cas à Anvers avec la Villa Tinto, mais au secteur associatif.

Dans la ville portuaire, ce temple de la prostitution aux salons loués par tranches horaires, regroupe, dans un même quartier, l’ensemble des prostituées, sous la surveillance d’un commissariat de police. A Liège, le projet a été discuté en concertation avec des associations concernées, le Centre liégeois pour la santé et la brigade des moeurs, notamment. L’Eros Center serait installé au bout de la rue Varin, une artère bien connue pour ses bars à serveuses, à proximité de la gare des Guillemins. Avant les débuts des travaux de la future gare, la rue comptait une trentaine de bars officiels. En très peu de temps, la plupart d’entre eux ont disparu. Seuls quelques-uns ont résisté. Certaines serveuses ont pu se recaser dans d’autres bars de la région, notamment sur la route de Saint-Trond. D’autres, ainsi que des filles exerçant dans le quartier Cathédrale-Nord, ont pris la direction de Seraing.

Une banque prête à financer le projet

En 2009, l’asbl Isatis (Initiative d’aide aux travailleurs indépendants du sexe) est constituée pour gérer le projet de l’Eros Center. Elle est administrée conjointement par des travailleurs sociaux, des personnes du monde judiciaire et des représentants de la ville, ces derniers siégeant à titre privé. Michèle Villain, fondatrice et coordinatrice de l’asbl Icar, travailleurs de rue, en est la présidente. C’est également elle qui gérera l’Eros Center par l’intermédiaire d’Isatis. « L’asbl Icar a été choisie par la Ville de Liège pour mener à bien le projet, détaille-t-elle. Cela fait deux ans que nous y travaillons. Nous avons terminé un argumentaire qui analyse la situation de la prostitution à Liège. Nous faisons référence à tous les textes de loi pour bien prouver que nous ne faisons pas de proxénétisme. Et nous essayons de démontrer l’utilité de créer un tel centre. L’objectif n’est évidemment pas de proposer des services sexuels, mais de lutter contre l’exclusion sociale. A la demande du bourgmestre, nous avons terminé le plan financier. Nous avons trouvé une banque qui accepte de financer ce projet de 4 millions d’euros. La Ville nous cède un terrain de 2 000 m2. Il est assez large pour accueillir, côte à côte, l’Euro Center et un commissariat de police. Un architecte a réalisé des plans. »

Le bâtiment serait un peu similaire à celui de la Villa Tinto à Anvers. L’établissement comprendrait 50 salons et donnerait de l’emploi à 150 travailleuses du sexe selon le principe des trois pauses. L’avantage est de leur permettre, ainsi qu’à leurs clients, de bénéficier d’un endroit propre et sécurisé. « L’objectif de l’association n’est pas de faire de l’argent comme à Anvers où les bénéfices générés seraient de 200 000 euros par mois, souligne Michèle Villain. Si bénéfices il y avait, et il y en aura, ils seraient reversés à d’autres associations dont celles qui prennent en charge les prostituées désirant changer de vie. » Selon Jean-Luc Drion, inspecteur principal à la brigade des moeurs de la zone de police de Liège, « les loyers pratiqués seraient raisonnables, de l’ordre de 120 euros la pause de huit heures, soit nettement moindres que ceux pratiqués à la Villa Tinto ».

Le projet de l’Eros Center a été au centre d’un colloque organisé par l’école de criminologie de l’Université de Liège. Pour le bourgmestre Demeyer, le but premier est d’enrayer le racolage. « Mais comme c’est impossible, il vaut mieux organiser la prostitution. Si on décide d’organiser cette activité ou de la tolérer, il faut faire en sorte de bannir le proxénétisme, y compris le proxénétisme hôtelier, c’est-à-dire de profiter, par les loyers, de la prostitution d’autrui. Donc, ce bâtiment ne doit pas être privé, mais un bâtiment public ou celui d’une asbl, en l’occurrence. Cette gestion permettrait de garantir des loyers modérés. » Pour un encadrement de cette activité, le bourgmestre de Liège a souhaité transposer cette initiative dans le secteur social pour permettre aux prostituées de travailler dans les meilleures conditions d’hygiène et de sécurité possibles, avec recours aux médecins et aux travailleurs sociaux. A Seraing, le bourgmestre Alain Mathot souhaite, lui aussi, fermer les salons de la rue Marnix. Avec l’afflux venu de Liège, le nombre de prostituées y est passé en six ans de 100 à 250. L’idée de construire un Eros Center à Seraing, à cet endroit ou du côté de la rue Renory, fait également son chemin.

La prostitution, un métier ?

Le dossier est délicat et est loin de faire l’unanimité. Les détracteurs du projet soulignent qu’il s’agit d’une légitimation de la prostitution en tant que travail, ce qui renforcerait l’industrie du sexe. Considérer la prostitution comme un métier encouragerait la traite pour l’exploitation sexuelle, selon une représentante du Conseil des femmes francophones. La mise en place d’un tel centre ne renforcera-t-elle pas l’activité ? « Supprimer la prostitution est une utopie, répond Bernard Frédérick, directeur judiciaire de la zone de police de Liège. Il s’agit de lutter contre les formes d’exploitation et de supprimer le proxénétisme hôtelier et la traite des êtres humains. » Selon Jean-Luc Drion, 80 % des prostituées exercent en vitrine. « Chaque type de client génère un type de prostitution. Les secteurs sont très cloisonnés, les clientèles différentes. Il y aura toujours une demande. » Pour Danièle Reynders, Procureure du Roi à Liège, les critères d’intervention de la justice dans ce domaine sont l’exploitation sexuelle. « Ce n’est pas parce qu’on s’occupe d’un problème qu’on le banalise, souligne-t-elle. Si les prostituées exercent dans de bonnes conditions de sécurité, il y a plus de chance que ces femmes restent dans la région, et donc qu’elles soient mieux surveillées. Sinon, elles iront à Saint-Trond, Seraing, Anvers… »

Prochaine étape du projet, sa présentation par le bourgmestre Demeyer au conseil communal de Liège pour avoir son approbation. « Si on ne l’a pas, le projet tombe à l’eau, remarque-t-il. Et, actuellement, je n’ai pas la majorité du collège. » Quoi qu’il en soit, le bourgmestre se donne six mois pour aboutir. Si l’accord est finalisé, il faudra encore compter deux années pour la construction de l’Eros Center. « Ce centre serait une réponse à une des facettes de la prostitution », conclut Michaël Dantinne, professeur à l’école de criminologie de l’ULg. Peut-être, le début d’une solution.

JACQUELINE REMITS

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