Christine Laurent

Un cauchemar éveillé

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Tout ou rien. Di Rupo est formel. Tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout, il n’y a d’accord sur rien. Et aujourd’hui, c’est simple, il n’y a d’accord sur rien.

Par Christine laurent
Malgré les tours de chauffe, les réunions discrètes, feutrées, les jeux de cache-cache avec les journalistes. Ne rien laisser filtrer, ne rien laisser passer. Un rythme de sénateur pour des réformes TGV. Tout retenu, contenu, pour mieux tout balayer ? Réponse la semaine prochaine, après l’indispensable pause qui aura permis aux négociateurs de s’ébrouer.

De fait, le contrat de vie commune entre les deux Communautés est loin d’être conclu. Le sera-t-il jamais ? Car déjà, ici et là, des signes obscurs, impalpables, sèment dans leur sillage de sérieux doutes. Il y a ces fuites suspectes dans la presse, les propos désabusés de l’un ou de l’autre, les rumeurs. Plus, toujours plus, la N-VA se montrerait intraitable. Bart De Wever hanté par ses voix du 13 juin ? On le sait bien, l’homme ne peut décevoir, il doit donner des gages. Et obtenir les trophées attendus : le pouvoir aux Régions, l’autonomie et une totale liberté sur les leviers socio-économiques pour la Flandre, les miettes pour le fédéral. Un choc pour les francophones. Que l’on mesure davantage encore en se penchant sur les programmes des partis du Sud lors de la dernière campagne.

« L’Union fait la force », scandait le CDH, tandis que le Nord réclamait sur tous les tons le séparatisme. Recroquevillés dans un front lézardé qui se voulait surtout défensif, PS, MR, Ecolos et humanistes ne se sont-ils pas, alors, bercés de douces illusions ? Toujours demandeurs de rien, ils « voulaient bien » ouvrir la porte aux réformes, mais pas n’importe lesquelles, des réformettes, en fait, qui sauveraient l’essentiel, l’unité du pays. Un dialogue de sourds dont on mesure aujourd’hui l’insondable profondeur.

Les réformettes, la N-VA n’en veut pas, le CD&V encore moins. Di Rupo l’a confirmé mezza voce, le fossé entre les deux Communautés est abyssal. Elargir la base de rapprochement, telle est encore son ambition. Mais pour réussir, il faudra en faire sauter, des verrous. La scission de BHV, le refinancement anémique de Bruxelles (il faudrait 500 millions d’euros, les Flamands en proposeraient entre 65 et 150), l’application de l’article 35 de la Constitution, la révolution copernicienne flamande, qui place les Régions au centre de l’Univers… Autant de revendications flamandes qui vont faire mal.

Quel parti francophone acceptera de signer sous une telle pression ? Or, en cas d’échec, c’est l’assurance de mois calamiteux qui se profile à l’horizon. Que faire ? Ecarter la N-VA ? Le CD&V, radicalisé depuis le 13 juin, ne reculera pas pour autant. Et puis, le premier parti du pays renvoyé dans l’opposition, est-ce vraiment raisonnable ? Et qui a réellement envie, in fine, de nouvelles élections qui plébisciteraient davantage encore Bart De Wever, « victime expiatoire » de l’intransigeance des francophones ?

Oui, oui, il semble encore bien long et tortueux le chemin qui conduirait à un accord. Et le terrain, drôlement glissant. Toujours prompt à innover avec des concepts inédits pour éviter le pire, le Palais va-t-il nous concocter un nouvel artifice anticrise dont il a le secret ? Peut-être. Mais on craint l’immobilisme, l’instabilité, les marchés qui s’agitent au moment où une faible croissance économique pointe son nez. Une pâle lueur dans un univers désenchanté. Condamnés à réussir… et à avaler des couleuvres. Un cauchemar éveillé pour les francophones.

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