© Pieter Jan Vanstockstraeten/photo news - Jan Van Der Perre/Reporter

Un Bart wallon pour 2030 ?

Il n’est jamais interdit de délirer. Larguée par la Flandre, une mini-Belgique se met à rouler sur l’or. Indépendants, les Flamands sombrent dans la pauvreté. Un Bart wallon, à la tête d’une NWA (Nouvelle Wallonie), se lève alors pour refuser de leur tendre la main. Frank Andriat, romancier, a l’imagination fertile.

Il n’y a pas de raison pour que cela n’arrive qu’aux autres. Pour que les Flamands aient pour l’éternité le monopole de la prospérité et l’exclusivité d’un nationalisme porté aux nues par « un homme providentiel ». Patience. La roue pourrait tourner. Et les francophones, connaître un jour les mêmes sensations.

Frank Andriat fixe rendez-vous en 2030. Poèmes, essais, nouvelles, romans : cet auteur bruxellois prolifique a l’imagination débordante et le goût de l’autodérision. Cette fois, il a scruté sa boule de cristal pour entrevoir le futur des Belges d’aujourd’hui. Pas triste, sa vision.

2030. Les Flamands ont fini par avoir ce qu’ils voulaient : la peau de la Belgique et l’édification d’une république flamande. Au diable, le boulet wallon. Enfin libres ! Libres, mais malheureux comme les pierres. Car rien ne s’est déroulé comme prévu.

La Flandre broie du noir. Ses habitants ruminent leur infortune. Maudits ceux qui les ont poussés un jour à se séparer des Wallons et des Bruxellois. Ils leur laissent un Etat replié sur lui-même, mis au ban des nations, boudé de toutes parts.

Les nationalistes du parti « Buiten » peuvent être fiers d’eux. A force de nettoyer le sol flamand de tout ce qui était décrété indésirable parce qu’inassimilable, et de mettre au pas tout qui ne filait pas droit, tout le monde leur a tourné le dos : les investisseurs étrangers, la communauté internationale indignée, les touristes qui ont déserté une Vlaamse Kust inhospitalière.

Flamand qui pleure, Wallon qui rit

La Flandre s’est crue chez elle ? Elle n’est nulle part. Pauvre confetti sur la carte, en proie à une misère noire qui fait pleurer dans les chaumières du Nord. « La fière Flandre s’est carolorégionisée », rapporte Frank Andriat en fidèle chroniqueur de cette déchéance. La masse s’abêtit et se « berlusconise », pour oublier.

Flamand qui pleure, Wallon qui rit. Il n’a jamais été aussi heureux et prospère que depuis qu’il s’est fait larguer. Il a certes ramé sec pour remonter le courant. Mais avec les Bruxellois et les germanophones, tous ces soi-disant paresseux ont retroussé leurs manches. Et leur royaume de Belgique au format réduit, amputé de la Flandre, est sorti de la dèche et affiche fièrement à la face de la finance internationale son AAA+.

Il faut dire que la Providence leur a souri, en leur procurant l’opulence. Ce métal jaune découvert dans le sous-sol wallon par le petit-fils d’une gueule noire, quel cadeau du ciel ! C’est une ruée vers l’or et La Louvière, qui dormait sur ce gisement insoupçonné. La nouvelle a fait le tour du monde, des émirs bourrés de pétrodollars sont accourus faire la cour au gouvernement belge. Lequel est resté sagement de marbre : bas les pattes ! Ce matelas d’or restera propriété de l’Etat.

Pour les Belges, ce n’est que du bonheur. A l’ombre du tout- puissant PASOS… le Parti des socialistes de salon, et sous le regard bienveillant du couple royal.

Une sainte, cette reine Mathilde : n’écoutant que son c£ur, elle propose de faire aussi profiter les malheureux voisins flamands du fabuleux pactole fourni par la mine louviéroise. Son mari, le roi Philippe, opine naturellement du chef. Et l’élan de générosité fait tache d’huile au sein même du PASOS et du gouvernement.

Bart et la NWA

Mais c’est sans compter sur Barthélémy Lecoq, très remonté contre cette main tendue. L’homme a été à bonne école : son parrain, jadis « l’un des plus farouches défenseurs des francophones de Bruxelles », lui a suffisamment martelé, le sourcil gauche mécaniquement levé, qu’il ne fallait rien céder à ces Flamands de malheur. Pas une once d’or pour ces flamins !

Barthélémy se sent promis à de grandes choses. Il sera Bart. A la tête d’un petit parti de revanchards antiflamands, la NWA pour Nouvelle Wallonie, il peut donner libre cours à son « délire wallingant ». Et la sauce prend : de plus en plus de Wallons sont charmés par son discours de refus.

Danger. La Première ministre du royaume de Belgique imagine une parade à la montée du péril. Mettre Bart au défi de se rendre chez ces Flamands qu’il aime manger à tous les repas. Avec l’espoir un peu fou de lui faire aimer la Flandre. Bart n’a d’autre choix que de relever le gant.

Cap sur la Flandre, incognito, en compagnie d’un photographe-espion à la solde du gouvernement. Et là, le choc. L’aventure en terrain hostile vire à la promenade de santé. Elle tourne au cauchemar pour le leader de la NWA : il ne reconnaît pas ces Flamands plaisants, qui l’accueillent à bras ouverts, qui le servent en français au resto. Qui font injure à ses convictions. Mais où est donc passé ce pays de misère auquel il croyait dur comme fer ? « On s’en sortira, on est belges quand même et les Belges s’en sortent toujours ! » lui lance même un Flamand. Bart sent le sol se dérober sous ses pieds.

Vite, retour en Belgique, avant que Bart ne soit définitivement dégrisé de ses fantasmes. La leçon aura-t-elle porté ses fruits ? Suspense.

Bart chez les Flamands, par Frank Andriat, éd. Renaissance du livre, 181 p.

PIERRE HAVAUX

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