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« Un banal meurtre passionnel »

Après les dernières heures de Véronique Pirotton, reconstituées avec force par l’avocat des parties civiles et l’avocat général , place à la défense, qui aura le dernier mot. Bernard Wesphael risque la prison, peut-être avec sursis, si l’on tient compte des circonstances atténuantes.

La défense aura fort à faire – d’abord Me Tom Bauwens, ensuite, le maestro, Me Mayence- pour dissiper les images que l’avocat des parties civiles, Philippe Moureau, puis, l’avocat général, Alain Lescrenier, ont laissées dans l’esprit des juges-citoyens. Celles d’une bagarre dans le lit, l’accusé à califourchon sur Véronique Pirotton, un genou sur son ventre, tandis qu’il maintient un coussin sur sa figure et qu’elle se débat violemment, la chute par terre, son corps à demi nu traîné dans la salle de bain, le sachet en plastique posé sur sa figure pour faire croire à un suicide, etc. « Le gentil chien qui se laissait caresser a mordu la main qui le nourrissait. Ce jour-là, le méchant loup est sorti », a osé l’avocat général pour expliquer la transformation d’un non-violent en meurtrier de sang chaud. Ce que Bernard Wesphael est, sans le moindre doute, aux yeux de l’accusation et des parties civiles (fils, soeur, tante et cousin de la victime).

Les avocats de la défense auraient souhaité que Me Bauwens puisse s’exprimer immédiatement, pour chasser ces vilaines images, mais la président de la cour d’assises, Philippe Morandini, a mis rapidement fin à la séance, cet après-midi-là. Aujourd’hui, la riposte risque d’être cinglante, car Me Mayence est un lutteur exceptionnel. Il a annoncé quatre heures et demie, voire, cinq heures de plaidoirie, après celle de son confrère néerlandophone (une heure et demie). Le dernier mot restera à l’accusé.

Le drame s’étant déroulé en Flandre, Mes Mayence et Moureau se sont fait accompagner par des confrères néerlandophones et plus jeunes. Diego Smessaert, du barreau de Liège, plaidait pour la première fois en assises. Il l’a fait avec simplicité et un contenu facilement mémorisable puisque distribué en treize points. Les treize pièces du puzzle qu’il demande au jury de considérer pour avoir la global picture de l’affaire. « La pièce clé, c’est le rapport d’autopsie et les 35 zones hématiques. La probabilité que ces lésions soient dues à des manoeuvres de réanimation est de 1/12 500 » (1). Les fibres de l’oreiller retrouvées sur la figure de la victime en telle quantité qu’elles suggèrent un « contact intense », selon l’Institut national de criminologie et de criminalistique (2). La trace de fond de teint de la victime sur l’armoire en face de la salle de bain, à 20 centimètres du sol (3). Le bras plié sous le corps de Véronique Pirotton rendant impossible le suicide (4). Le sac plastique portant les traces de maquillage et de salive de la victime (5). L’égratignure encore fraîche sur l’avant-bras de Wesphael quand il alerte le réceptionniste, à 22h55, alors qu’il situe la « crise » de sa compagne autour de 21 heures (6). Les lésions de défense sur les mains de Véronique Pirotton (7). Sur le lit, du sang de l’un et de l’autre (8). La chambre 502 occupée par la famille flamande se trouvait bien juste en-dessous de celle louée par Véronique Pirotton et ils ont entendu que « quelque chose se passait que Madame ne voulait pas », la chute de quelque chose de « lourd » et cela à partir de 22 heures (9). La 601 était la seule joignant la 602 et un enfant du couple anglais a dit que « le Monsieur avait l’air très fâché ». Ils ont entendu des cris et des gémissements, malgré leurs oreilles bouchées par la piscine (10). L’accompagnatrice de train qui, dans le bar de l’hôtel Mondo, a vu le couple se disputer, a observé un Wesphael très tendu, fumant nerveusement devant l’hôtel (11). Un coup dans le cadre du lit (12). Un « pull » de la victime dans le lit où elle ne serait pas retournée ce soir-là (13). Selon Me Smessaert, la thèse du suicide doit être écartée, de même que l’accident. Reste l’étouffement.

Ainsi sobrement posé, Me Moureau peut déployer une argumentation qu’il rumine depuis des années, sans notes, frôlant des zones taboues. « Bernard Wesphael était un homme politique. La vérité n’a pas la plus haute importance pour un homme politique. En politique, l’intérêt général ou particulier est plus important que la vérité. Il ne dit pas la vérité, il communique sa propre vérité. Il ne doit pas être jugé plus sévèrement ni plus favorablement qu’un citoyen ordinaire. Mais il a des moyens que nous n’avons pas. Un homme politique a des réseaux, c’est comme ça qu’il gagne des voix. Ce n’est pas moi qui pourrais réveiller la présidente du Sénat à deux heures du matin si j’étais arrêté… Il a des collaborateurs et des communicateurs qui ont soigné son image en répondant aux médias. Il a des réseaux fraternels : la loge, la franc-maçonnerie. Un homme politique a de l’argumentation, mais pas de spontanéité. Il a un parfait contrôle de soi. Il se souvient du conseil de Charles Pasqua : « Lorsque vous êtes emmerdé par un dossier judiciaire, la meilleure solution est d’inventer une affaire dans l’affaire, puis, une affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce qu’on ne sache plus de quoi on parle. » Nous n’avons pas vu l’homme sincère et généreux que ses amis décrivent, nous n’avons vu que l’homme politique. »

A ce stade de la plaidoirie, on reste interloqué. C’est du même tonneau que la vox populi après la diffusion de l’avis de l’expert psychiatre Hans Hellebuyck sur le profil de « menteur pathologique » de Bernard Wesphael. En réalité, Me Moureau va se servir de cette figure de l’ « homme politique » pour expliquer le système de défense de l’accusé durant ces trois années : dénoncer la justice, les médias et, finalement, la victime, dépeinte comme suicidaire. L’avocat souligne lourdement les moyens de l’accusé, ses entrées dans les médias, son recours à des conseillers techniques qui, devant la cour ont fait « un flop monumental », grâce aux contre-arguments du médecin légiste, le Dr Hubert Floré. Ses audaces aussi : faire une déclaration à l’agence Belga, écrire à Victor (deux lettres interceptées par les proches de celui-ci), laisser se créer un groupe Facebook dédié à sa défense, lancer un appel de fonds, écrire sous le titre Assassin… Tout cela, juge l’avocat des parties civiles, en vue d’accréditer la thèse de son innocence. L’acte de défense ne dit mot de ce qui s’est passé le 31 octobre 2013, « entre 20h41 et 22h55 ». Me Moureau va tenter de combler ce trou noir.

Une période mystérieuse

Il rappelle le contexte d’une séparation annoncée. Véronique Pirotton accepte que Bernard vienne la rejoindre à Ostende parce qu’il a « un côté attachant », « il est convaincant ». Il y aura entre eux des relations sexuelles, confirmées par l’examen post-mortem, mais l’avocat émet des doutes sur la période durant laquelle, selon Wesphael, ils tentent de faire le bébé prétendument réclamé par Véronique Pirotton : le 31 octobre, entre 10 heures et 13 heures ? Beaucoup de coups de fil ou SMS sont émis par les deux partenaires à ce moment-là. Me Moureau débobine la ligne du temps cent fois remâchée durant ce procès et le coup de téléphone d’Oswald Decock à l’hôtel Mondo, vers 15 heures. Bernard Wesphael est fâché. Avec quelles suites ? « Une période mystérieuse sépare le moment où le couple quitte l’hôtel, à 15h26, et celui où ils réapparaissent, sous les caméras de surveillance, à la Pita Mama, à 17h47. Véronique Pirotton est mal en point. Elle vacille. Où sont-ils allés ? Comment expliquer les 0,93 gramme d’alcool retrouvés dans le sang de Bernard Wesphael et les 2,99 grammes de sa compagne, qu’il n’a pas quittée ? Durant cette période, des SMS menaçants partent du GSM de Wesphael vers celui de Decock et Véronique annonce à celui-ci leur rupture, sous la contrainte de son mari. Ce soir-là, ils rentrent à l’hôtel, lui devant, sans la soutenir ni lui tenir la porte. La dispute se poursuit au bar. Ensuite, ils montent, et l’imagination de l’avocat supplée la mémoire défaillante de l’accusé. « Véronique n’a qu’une envie : dormir. Elle enlève ses vêtements et se met au lit. Elle s’endort sans doute très lourdement, car elle n’entend pas l’appel de Victor, à 21h12. Wesphael rumine ses échecs, il consulte sa boite mail. Soit il essaie d’avoir des relations sexuelles et elle ne veut pas. Soit il farfouille dans son gsm et découvre le message de celle-ci à son amant : « Mon amour, j’ai écrit le premier chapitre de mon livre… » Cela achève de le rendre enragé – c’est toujours Me Moureau qui imagine. On ne fait pas ça à Bernard Wesphael ! « Et là, ça se déclenche. » Il va la frapper sur le lit, elle tombe, il l’étouffe avec le coussin… » Cela concorde avec la présence du pull dans le lit, le fond de teint sur l’armoire, les chocs du lit répercutés de l’autre côté de la cloison, dans la chambre 601. Il a maintenant un genou sur elle, il maintient sa tête avec son avant-bras et lui plaque le sachet de plastique sur la figure. Elle meurt de cette façon épouvantable. » Me Moureau accuse Bernard Wesphael d’avoir ensuite construit ses mensonges. « Il n’y a pas de grand complot flamand pour couler le beau député wallon », s’exclame l’avocat liégeois. Wesphael n’a aucune raison de dire la vérité, car il tire plusieurs bénéfices de ses protestations d’innocence : peut-être un acquittement, ne pas devoir se confronter moralement à lui-même, ne pas devoir s’expliquer concrètement devant la cour, garder l’estime de sa fille et de son meilleur ami, ainsi que le droit à l’usufruit de la maison de Véronique Pirotton. « C’est un excellent calcul politique », conclut Me Moureau, clôturant son premier assaut.

Il revient à la victime, noyée sous des « torrents de boue », a dit l’écrivain Pierre Mertens. Elle a souffert de « l’abandon de son père et de sa mère », une « femme fragile devenue un enjeu entre deux hommes aussi manipulateurs que menteurs, l’un rêvant de piquer la femme d’un député qu’il vomissait et l’autre, à bout de souffle financier, imbu de lui-même, voulant la garder pour lui tout seul. Elle était une petite souris coincée entre deux matous dont l’un l’a détruite et l’autre l’a tuée. Quel gâchis ! »

Cette plaidoirie à l’ancienne, trémolos compris, a offert indiscutablement une base au réquisitoire de l’avocat général, même si ce dernier s’est démarqué de certaines hypothèses du plaideur, plus suggérées qu’argumentées. Alain Lescrenier annonce la couleur : il demande la condamnation de l’accusé, mais précise qu’avec les circonstances atténuantes, « et il y en a », sa peine pourrait descendre à trois ans de prison assortie de sursis au lieu de vingt à trente ans. « Cette décision va affecter toute la vie d’un individu et de sa famille » prévient-il. Le représentant du ministère public défend globalement l’instruction brugeoise, mais rappelle que la Belgique n’ayant toujours pas transposé la directive européenne qui aurait permis une application plus souple de l’emploi des langues dans les procédures judiciaires, la législation linguistique de 1935 s’est appliquée dans toute sa raideur. « Il n’y a pas d’affaire Wesphael dans un sens politico-judiciaire, martèle-t-il. C’est un banal meurtre passionnel. »

L’homme de sa vie : Victor

Lui aussi reprend la chronologie de la rencontre des époux Wesphael-Pirotton, leurs déceptions de tous ordres, la réapparition d’Oswald Decock, la jalousie de Wesphael, la peur qu’il inspire à sa femme, le souhait de celle-ci de prendre un nouveau départ sans ces deux hommes qui ne lui sont d’aucun secours. Elle veut passer une journée toute seule. « Elle réserve dans un bon restaurant parce qu’elle attend l’homme de sa vie : Victor. Finalement, c’est Bernard Wesphael qui va en profiter ». L’avocat général remonte le fil de la téléphonie, des allers-venues. « Bernard Wesphael croyait que les choses allaient s’arranger dans leur couple. Il nous dit qu’ils ont fait l’amour à deux reprises. Je n’en doute pas. » Ensuite interviennent les coups de téléphone d’Oswald, « qui ne supporte pas que Wesphael soit avec Véronique. » Ils sortent et on les perd alors de vue. « L’enquête n’a jamais su répondre à la question de savoir ce qui s’est passé entre 15h26 et 17h47 et ce qui peut expliquer la différence énorme dans l’imprégnation alcoolique des deux époux. Je n’accuse pas Bernard Wesphael de l’avoir fait boire… Toutes les caméras d’Ostende ont été sollicitées. Dans le bar indiqué par Wesphael, personne ne se souvient d’eux. Une chose est certaine : le député wallon était nerveux ce soir-là. Il a fait peur à la petite amie du réceptionniste de l’hôtel Mondo, une accompagnatrice de train d’Ostende habituée à gérer l’agressivité de certains passagers. »

L’avocat général ne se hasarde pas, comme Me Moureau, à recréer la scène qui a conduit, selon lui, au meurtre. Il boulonne les indices, les heures, les témoignages, avec précision. En fait, les avocats des parties civiles et de la société se complètent, le premier brosse à grands traits, le second est plus pointilliste. Soit Véronique Pirotton a été tuée, soit elle est morte toute seule. « La défense ne parle plus de suicide, mais d’intoxication alcoolo-médicamenteuse, relève Alain Lescrenier. Reste la thèse de l’homicide par étouffement. Des traces de médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques…) ont été retrouvées en dose toxique, mais non létale. Il en aurait fallu dix fois plus. On n’a pas retrouvé des traces de comprimés dans l’estomac. Une overdose est exclue. La mort aurait dû survenir quatre ou cinq heures après la prise de médicaments et se manifester d’abord par une sédation, une perte de connaissance, puis, un coma. L’expert Cordonnier a exclu que la « potentialisation » des médicaments et de l’alcool ait pu conduire à la mort de la victime et le Pr Jan Tytgat, payé par la défense, n’est pas « conclusif » à cet égard. Restent les 35 « zones hématiques » et les lésions internes (dont le foie déchiré et la cavité abdominale baignée de sang), les dents « tatouées » à l’intérieur des lèvres et des joues, le larynx écrasé, les lésions de défense sur les mains… Impossible, comme le fait la défense, d’attribuer l’ensemble de ces lésions à des manoeuvres de réanimation. L’avocat général en concède une ou deux : au coin de la bouche, pour intuber, et au sternum, lors du massage cardiaque.

La vérité selon l’accusation : la jeune femme a été étouffée sous un oreiller et a ensuite été tirée vers la salle de bain. L’homicide est établi. Est-il volontaire et avec l’intention de donner la mort ? Oui, car un étouffement dure au moins cinq minutes. « On a le temps de réfléchir à ce que l’on fait…. » Si la pression se relâche, la victime reprend vie. « Les explications de l’accusé ne tiennent pas debout. Il est, non pas dans le déni, mais dans la négation ». Le désordre dans la chambre n’est pas qu’un « désordre occupationnel ». Il porte les « indices d’une bagarre ». Bernard Wesphael aurait eu l’idée de faire passer « cela » pour un suicide. D’où son annonce, au-dessus de la réception de l’hôtel : « Ma femme s’est suicidée ». « Le sachet en plastique, il l’a mis après, pour faire croire qu’elle se l’était mis dessus. Des traces de salive et de mascara ont été retrouvées sur une face, mais pas les empreintes de la victime de l’autre côté. Quelqu’un qui s’étouffe salive encore plus, surtout par le nez ».

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