Gérald Papy

Ukraine : il faut gagner l’après-révolution

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La plus grave erreur que les Européens commettraient en Ukraine serait de considérer que, le président Viktor Ianoukovitch démis, l’essentiel a été accompli.

En Irak, en Libye et en Egypte hier, en Centrafrique aujourd’hui, les Occidentaux ont montré que, s’ils avaient la capacité de gagner la guerre, ils négligeaient souvent de se donner les moyens de gagner la paix. Les menaces ne manquent pas en Ukraine pour transformer en fiasco ce qui est incontestablement un succès de l’Union européenne. L’accord conclu le 21 février entre les ministres allemand, français, polonais et le pouvoir pro-russe a enfanté une opposition sûre d’elle qui, par la grâce d’un retournement de vestes d’élus du parti présidentiel, a poussé son avantage jusqu’à anticiper les élections et destituer le président élu. Crier au coup d’Etat est indécent, venant de Moscou. Mais à force de tolérer les entorses aux engagements pris ou à la démocratie, comme en Egypte, parce qu’elles servent les intérêts de ses partenaires privilégiés du moment, l’Europe finira pas perdre son âme et son aura de phare de la démocratie.

Point n’est nécessaire d’être grand diplomate pour déceler les indices d’une possible évolution à la yougoslave de l’Ukraine. La vengeance du vainqueur qui, au-delà de la poursuite légitime des responsables de la répression sanglante de la place Maïdan, autoriserait l’épuration des russophones des structures politique, administrative et économique. Le changement dans la continuité… de la corruption que les ambitions d’anciens dirigeants controversés comme Ioulia Timochenko font craindre. La radicalisation sous l’influence des extrémistes nationalistes antirusses qui profiteraient d’un vide momentané du pouvoir. La vindicte, enfin, sous forme de représailles financières et énergétiques, du voisin russe défait si pas humilié, même si le soutien inconditionnel au « kleptocrate » Ianoukovitch était devenu indéfendable.

Rabrouer le désir d’Europe des Ukrainiens de Maïdan serait une erreur politique monumentale. Mais l’assouvir n’empêche pas d’y répondre, en ces temps de basculement économique de l’Europe, de façon intelligente et avec le souci d’un coût raisonnable. Les coopérations avec le Fonds monétaire international et les Etats-Unis ouvrent cette perspective. Somme toute, la géographie et l’histoire interdisent une Ukraine qui tournerait le dos à son puissant voisin oriental. Pareille stratégie ne servirait d’ailleurs pas les relations entre l’Union européenne et « cette moitié de l’Europe qu’est la Russie » avec laquelle le spécialiste de politique internationale Bernard Guetta, dans son dernier livre Intime conviction (Le Seuil), exhorte à « parler de puissance à puissance plutôt que de la laisser jouer de nos divisions ».

Dans l’accord d’association avec l’UE que le président Ianoukovitch leur a confisqué le 21 novembre 2013, les Ukrainiens révolutionnaires voyaient non seulement l’ouverture à un espace de libertés « contagieux » mais aussi l’opportunité d’investissements étrangers et un appui à une véritable lutte contre la corruption. Même si la tenue possible des élections ukrainiennes le 25 mai, jour d’un scrutin européen qui ne déchaîne pas les passions chez les 28, aura une forte charge symbolique, c’est avant tout par la pacification politique, le sauvetage financier et le redressement économique que viendra le salut de l’Ukraine dans une Europe réconciliée.

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