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TVA : un trou de 3 milliards par an

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

En améliorant les contrôles de la TVA, l’Etat belge pourrait récupérer des milliards de recettes fiscales. La Belgique est plutôt un mauvais élève comparé à ses voisins.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), encore appelée taxe sur la consommation, constitue une part importante des recettes fiscales de l’Etat. Environ un quart du total. Soit environ 27 milliards d’euros, selon les statistiques du SPF Finances pour ces dernières années. Et encore, il s’agit de TVA pure, hors accises. C’est la troisième source de recettes après les cotisations sociales et l’impôt sur le revenu, et bien avant l’impôt des sociétés. Les économistes considèrent que la TVA est la pierre angulaire de notre système économique, d’autant qu’elle est techniquement simple et facile à percevoir. En effet, les entreprises et les indépendants remplissent les formalités requises. Le gouvernement, lui, se contente de contrôler que tout se passe dans les règles.

Ce n’est cependant pas si simple. Les chiffres de l’Union européenne en matière de gap fiscal TVA en attestent. En effet, depuis quelques années, la direction générale de la Fiscalité (DG Taxud) évalue, par pays membre, le gap – ou fossé – que représente la perte de recettes TVA, due à des défauts de déclaration, de contrôle, de recouvrement… Selon les dernières statistiques publiées à l’automne 2015, le gap TVA de la Belgique s’élevait, en 2013, à 10,5 % du montant devant normalement être perçu, et, en 2012, à 11,2 %. Il s’agit des deux dernières années étudiées par Eurostat.

Ces données européennes sont d’autant plus intéressantes que le SPF Finances, lui, ne publie rien en matière de gap fiscal dans ses rapports annuels. Or un rapide calcul montre que le manque à gagner au niveau des recettes TVA est d’un peu plus de 3 milliards d’euros. Soit le trou budgétaire à combler pour financer le tax-shift d’ici à 2019.

Pour l’ensemble des Etats européens, ce gap représente près de 168 milliards d’euros. Un gouffre fiscal, davantage qu’un fossé. Les tableaux révèlent que, parmi les 26 membres de l’UE, la Belgique ne se classe malgré tout pas trop mal, soit en-dessous du gap moyen qui se situe à 15 %. Par contre, si l’on compare notre pays à des Etats voisins ou analogues sur le plan économique, comme l’a fait un expert du Réseau justice fiscale (RJF) sur le site econospheres.be (1), la Belgique apparaît comme un moins bon élève que les Pays-Bas, le Luxembourg, la France, le Danemark, le Royaume-Uni, et meilleur que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Soit en sixième position sur neuf.

Dans son étude, la Commission plaide pour une réforme en profondeur des systèmes de perception de la TVA en Europe. Qu’en est-il en Belgique ? A quoi est dû ce gap de plus de 10 % ? A la Chambre, Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo, a posé la question au ministre des Finances le… 19 octobre dernier. Il n’a toujours pas eu de réponse. Mais, selon les statistiques du Parlement, Johan Van Overtveldt (N-VA) est le membre du gouvernement qui accuse le plus de retard dans ses réponses aux questions écrites. Soyons donc patients.

En attendant, on peut toujours se référer aux infos disponibles dans les rapports du SPF, qu’a analysées l’expert du RJF. Il y a cinq sources identifiées au trou de la TVA : les fameux carrousels TVA, les autres grandes fraudes (sur lesquelles enquête l’ISI), la perception de la TVA, le recouvrement des dettes fiscales qui ne sont pas payées spontanément et la fraude classique (déduction excessive, non-déclaration de chiffre d’affaires et donc de la TVA, etc.). Principal constat : le tax gap, tel que calculé par l’UE pour 2013, trouve essentiellement son origine dans la fraude classique à la TVA. Moins dans la grande fraude et moins surtout dans la fraude dite des carrousels TVA contre lesquels la Belgique a développé des outils de lutte ayant inspiré les administrations fiscales d’autres pays.

On pourrait conclure grossièrement qu’il s’agit, avant tout, d’un phénomène de non-déclaration des indépendants et des PME. En effet, si la fraude TVA existe certes dans le chef des grandes entreprises, elle est proportionnellement moindre, ne fut-ce que parce que le secteur financier (banques et assurances) bénéficie, comme le souligne l’UE dans son étude, d’une exemption à la TVA pour la plupart de ses services, un régime particulièrement préférentiel en Belgique. Des analyses convergentes effectuées par les administrations fiscales britannique, allemande et française vont dans le même sens : la fraude TVA est majoritairement le fait des PME, même si une partie non négligeable concerne des mécanismes transfrontaliers dans le secteur des ventes par Internet de multinationales, comme Amazon, eBay…

L’ampleur de cette fraude classique pose le problème du contrôle exercé par les 3 000 agents TVA du fisc (sur un total de près de 20 000 fonctionnaires). On ne peut évidemment inspecter tous les contribuables, mais le contrôle doit être suffisamment étendu pour dissuader les assujettis fraudeurs. Or ce n’est visiblement pas le cas, d’autant que le tax gap TVA en Belgique se maintient à un même niveau depuis 2010, autour de 3 milliards d’euros. Il sera intéressant d’observer son évolution au cours des années d’exercices du gouvernement Michel Ier qui a continué et amplifié les réformes – par ailleurs, tout à fait justifiées – bénéfiques pour les indépendants et les PME.

Important : l’étude statistique de la Commission européenne évalue également ce que l’on appelle le policy gap. Il s’agit de l’écart dû, non pas à la fraude et à la médiocre application de l’impôt, mais plutôt à la conception du système TVA, soit le nombre d’exonérations ou de réductions accordées à tel ou tel secteur, bref aux choix de politique fiscale. On mesure donc, ici, la différence entre la TVA qui doit être théoriquement perçue et une TVA idéale qui serait prélevée à un même taux pour toute la base imposable, sans réduction ni exemption. Ces dernières années, l’Etat belge a pris diverses mesures en matière TVA, que ce soit pour l’électricité, l’Horeca, la construction, les avocats, les notaires, etc. Autant de décisions qui peuvent agir positivement ou négativement sur le rendement de la TVA.

La Belgique affiche un policy gap fort élevé comparé aux Etats de l’échantillon évoqué plus haut : le deuxième sur neuf, soit près de 54 % de recettes en moins que la recette idéale, dont l’essentiel (42 %) via des exemptions. Les choix de politique fiscale sont donc a priori davantage responsables du niveau de recettes TVA que le respect des règles et la gestion de l’impôt. Un constat à nuancer. D’abord parce que l’UE a affiné ses calculs, en distinguant les exemptions à la TVA sur lesquelles les Etats peuvent réellement agir, dans le cadre de ce que permettent les directives européennes en la matière. La part du policy gap dû aux exemptions de TVA descend ainsi de 42 % à 13 %.

Ensuite, comme le fait remarquer l’analyse d’Econosphères, les augmentations de taux de TVA qui étaient réduits ne génèrent pas les rendements attendus. Car elles suscitent une hausse des non-déclarations du chiffre d’affaires qui y est lié, voire des déplacements de consommation vers des pays voisins. Combien de Belges, frontaliers ou non, achètent leurs alcools et leurs cigarettes en France ou au Luxembourg depuis l’augmentation récente des accises ? Conclusion : pour augmenter les recettes TVA, un contrôle fiscal plus efficace offrirait de meilleures marges qu’une augmentation des taux. Reste à voir si le ministre Van Overtveldt aura les mêmes appréciations dans sa réponse à la chambre.

(1) Ce site, qui est une initiative conjointe de la FGTB, de la CSC et d’Attac Belgique, rassemble les contributions de nombreux chercheurs, souvent académiques, en matière économique.

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