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Tuerie de Liège: le congé pénitentiaire en question

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La tuerie de Liège par Benjamin Herman, ce détenu qui bénéficiait d’un énième congé pénitentiaire, pose la question des sorties provisoires accordées aux condamnés, dans le cadre de l’exécution de leur peine. Faut-il revoir le système ? Voici le mode d’emploi du congé pénitentiaire.

Les sorties temporaires de prisons sont fixées par la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des condamnés. Avant d’obtenir une libération conditionnelle ou une libération sous surveillance électronique, un condamné peut demander une permission de sortie ou un congé pénitentiaire. La durée de la permission est d’une journée et ne peut excéder 16 heures de liberté. Le congé, accordé après plusieurs permissions sans anicroche, permet au condamné de quitter la prison trois fois 36 heures sur un trimestre. Les deux formules sont censées aider le détenu à se recaser dans la société en vue de la libération définitive. La plupart du temps, ces sorties brèves sont consacrées à la recherche d’un emploi ou d’un lieu d’accueil à la sortie de prison.

Comme l’a rappelé la Cour de cassation en novembre 2013, ces permissions de sortie et ces congés pénitentiaires constituent un droit pour le détenu en vue de sa réinsertion. Ceux-ci sont accordés par l’administration pénitentiaire (qui dépend du ministère de la Justice) et plus particulièrement par la Direction générale de la gestion de la détention (DGD). Celle-ci rend sa décision après avoir sollicité l’avis du directeur et éventuellement celui du service psycho-social de la prison où se trouve le détenu. Les principales contre-indications prévues par la loi sont : le risque de se soustraire à l’exécution de la peine, le risque d’importuner les victimes et le risque de commettre de nouvelles infractions.

Dans une question parlementaire au ministre de la Justice, en juin 2016, le député Philippe Goffin (MR) constatait que ces sorties provisoires étaient fort difficiles à obtenir, même lorsque l’avis du directeur était positif. Ses observations se basaient sur une étude réalisée par l’INCC (Institut national de criminalistique et criminologie).

Cette étude laissait, en effet, apparaître que, lorsqu’une permission de sortie était sollicitée, celle-ci était accordée par la DGD dans 45 % des cas et seulement 22 % des cas, pour les demandes de congé pénitentiaire. L’INCC constatait que les demandes de sortie pour lesquelles le directeur rendait un avis négatif étaient quasi toujours rejetées par l’administration pénitentiaire. Par contre, quand l’avis du directeur est positif, la décision de la DGD s’avère plus souvent positive, dans 47 à 60 % des cas, selon le type de sortie provisoire requise. Des chiffres que Koen Geens a actualisés dans sa réponse au député Goffin, l’étude de l’INCC datant de 2014 : en 2015, les décisions favorables de la DGD, en cas d’avis positif du directeur de prison, s’élevaient à un taux de 72 à 84 %, selon le type de sortie demandée.

Il n’en reste pas moins que de très nombreux détenus se plaignent de la difficulté d’obtenir des permissions de sortie. Les délais de réponse à leur demande sont souvent très longs : 6 mois environ. En outre, la masse de demandes à gérer empêche de traiter celles-ci de la même manière. Face au découragement, de plus en plus de condamnés n’introduisent plus demandes et choisissent de purger la totalité de leur peine, sans sortie provisoire ni libération conditionnelle. Ils sortent in fine de prison totalement libres, sans plan de réinsertion contrôlé, ce qui complique leur reclassement et entraîne alors des risques plus élevés de récidive.

Plusieurs acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire plaident pour que la décision d’octroi des permissions de sortie et des congés pénitentiaires soit confiée non plus à l’administration (DGD) mais au tribunal d’application des peines qui examine déjà les demandes de liberté conditionnelle et de surveillance électronique. Le TAP gérerait ainsi l’ensemble de l’exécution de la peine. Il prendrait connaissance du dossier du détenu plus tôt dans la procédure, ce qui lui permettrait de le suivre plus efficacement. Mais le ministre de la Justice ne veut pas lâcher cette prérogative de son administration. Il l’a justifié à la Chambre en disant que cela entraînerait une surcharge de travail pour les TAP.

Koen Geens est néanmoins conscient de l’importance des congés pénitentiaires, ne fut-ce que pour dégorger un peu les prisons. En juillet 2017, il a ajouté, sans modifier la loi (via une simple instruction administrative), une nouvelle possibilité de sortie provisoire : le « congé pénitentiaire prolongé » accordé pour des périodes alternatives de 7 jours, soit 7 jours de congé et 7 jours de détention. De cette formule de congé sont exclus les condamnés pour faits de moeurs ou relevant de l’extrémisme ou du radicalisme et ceux qui purgent une peine de plus de dix ans. Les détenus qui en bénéficient sont ceux évidemment qui ont déjà fait leur preuve, lors de congés pénitentiaires classiques.

Ce congé prolongé est accordée par le directeur de l’établissement lui-même, sans que soit prévu un encadrement spécifique (conditions particulières à ce type de congé particulier et/ou évaluation par un assistant de justice). La mesure est controversée, certains avocats y adhérant car cela augmente les chances de réinsertion, certains criminologues pointant son manque d’assises légales et son inefficacité vu l’absence d’encadrement adéquat. Par ailleurs, cela ne concerne qu’un pourcentage peu élevé de détenus (environ 2 %), ce qui n’a donc pas d’influence sur la surpopulation carcérale.

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