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Trop timoré, Elio Di Rupo ?

En douze mois, le gouvernement a pris des mesures impopulaires, scindé BHV et rétabli la crédibilité financière de la Belgique. Sans vaciller. Mais certains encouragent le Premier ministre à se montrer plus audacieux, plus énergique. Son bilan, dressé par Le Vif/l’Express.

1. RENFORCÉ.

Elio Di Rupo a acquis la quasi-certitude de parvenir au terme de son mandat. En bouclant un accord sur le budget 2013, les six partis de la majorité ont franchi une épreuve décisive. En juillet, un autre obstacle de taille a été franchi : le vote du premier volet de la réforme de l’Etat. « Par rapport à l’accord de gouvernement, environ 70 % des chantiers sont soit déjà concrétisés, soit bien avancés », a calculé Catherine Fonck, présidente du groupe CDH. « Ce gouvernement est dans le bon timing. Cela tient à l’efficacité de l’équipe, et donc de son chef d’équipe », salue Olivier Chastel (MR), ministre du Budget.

La Belgique a par ailleurs réintégré le peloton de tête des élèves européens. Le spread (différence de rendement entre les obligations belges et allemandes) est aujourd’hui trois fois moins élevé qu’il y a trois ans. Les taux d’intérêt auxquels la Belgique se finance ont eux aussi, signe que le pays retrouve de la crédibilité sur les marchés. « Les Pays-Bas ont fait 48 % de l’effort pour atteindre l’équilibre budgétaire d’ici 2015. Nous, on a déjà réalisé les deux tiers de l’objectif, tout en maintenant la cohésion sociale, et malgré une croissance quasi nulle. En fait, c’est un bilan extraordinaire », s’enthousiasme Hendrik Bogaert, (CD&V), secrétaire d’Etat à la Fonction publique.

2. FEUTRÉ.

Difficile d’enthousiasmer les foules quand la croissance stagne. De plus, une coalition réunissant six partis (PS-SP.A-MR-VLD-CD&V-CDH) est presque condamnée à défendre un projet idéologiquement bancal. « Sur le socio-économique, Elio Di Rupo est coincé, admet Zoé Genot, députée Ecolo. Mais il aurait pu lancer des réformes éthiques, par exemple sur le décumul ou la participation des citoyens. Pour le moment, Di Rupo n’apparaît sur aucun débat de société. Son seul objectif, c’est d’arriver en 2014, en laissant d’ici là le moteur ronronner à bas régime. »

« On bute tous les jours sur l’opposition gauche-droite et sur l’opposition nord-sud, reconnaît un membre du gouvernement Di Rupo. Plutôt que d’en sortir par le haut, le plus souvent, on évacue les problèmes ». Pour son budget 2013, l’exécutif a privilégié un compromis a minima, plutôt que de retenir une idée qui fâche, que ce soit la hausse de la TVA, le saut d’index (fût-il limité aux hauts revenus), ou la taxation des plus-values.

« Vu la situation exceptionnelle, les acteurs politiques ont compris qu’ils devaient se montrer responsables, en évitant les déclarations partisanes, remarque Denis Ducarme, député MR. L’ambiance au sein de la majorité est beaucoup plus feutrée que par le passé. Cela se voit aussi dans l’attitude du Premier ministre. Je ne sais pas si c’est bon que ce soit toujours feutré. Il faut des débats, je pense, si on veut avancer… »

3. PRUDENTISSIME.

L’accord de gouvernement est d’une minutie redoutable. Il est précis comme jamais, sans doute, ne l’a été un accord de gouvernement. Elio Di Rupo déteste l’aventure. Il aime tout contrôler. Même lors des réunions avec les vice-Premiers ministres et les chefs de groupe de la majorité, il lui arrive de lire mot-à-mot ses notes. Pour éviter que des débats parlementaires partent en vrille, il a aussi demandé plus d’une fois – par l’entremise du président de la Chambre, André Flahaut, l’un de ses fidèles serviteurs – que les députés de la majorité s’abstiennent de poser des questions polémiques à la Chambre.

« On a économisé presque 18 milliards en moins d’un an, appuie le socialiste flamand Dirk Van der Maelen. Pour faire ça, il faut quelqu’un qui avance avec précaution et qui, avant de poser un acte, s’assure que sa majorité le soutient. Pas un Premier ministre comme Verhofstadt, qui fonce sans vérifier que les autres suivent. »

4. LENT.

Le gouvernement tourne au ralenti. Mais au moins, il tourne, ce qui n’a pas toujours été le cas en Belgique ces cinq dernières années. S’il estime que les esprits ne sont pas assez mûrs, s’il perçoit des réticences fortes chez l’un ou l’autre partenaire, Elio Di Rupo – à la différence de ses prédécesseurs – préfèrera souvent postposer, plutôt que de forcer un accord. « Cela peut être une méthode, la lenteur, commente Joëlle Milquet, vice-Première CDH. C’est parfois nécessaire pour calmer certaines impétuosités et arriver à des compromis. »

« Elio a une capacité impressionnante à faire jouer l’inertie, s’amuse un acteur politique de premier plan. Cela paraît poussif, laborieux, mais il avance… Sa tactique de négociation, c’est : je m’épuiserai le dernier. Personne n’a jamais su où étaient ses limites, reconnaissons-le. » La méthode, de fait, produit des résultats. Le dossier BHV, qui a fait tomber le gouvernement en avril 2010, et sur lequel Guy Verhofstadt s’était déjà cassé les dents en 2005, est aujourd’hui tranché. La scission de cet arrondissement bilingue a été votée le 13 juillet à la Chambre.

5. EMPATHIQUE.

La Belgique a rarement connu un Premier ministre qui exprime sa compassion avec autant de naturel. Après la fusillade à Liège, le 13 décembre 2011, et l’accident de bus à Sierre, le 13 mars 2012, Elio Di Rupo s’est montré irréprochable. Dans les moments de liesse populaire, comme aux Gentse feesten ou au départ du Tour de France, sa « magie » dans les rapports humains et son côté « tactile » bluffent tous les témoins.

Le Premier ministre veille aussi, au quotidien, au confort psychologique des membres de son gouvernement. Il consacre un temps énorme à aplanir les frictions. Tous, à l’unisson, soulignent son sens de l’écoute, sa courtoisie. Conséquence : en douze mois, la coalition n’a connu qu’un seul conseil des ministres vraiment tendu.

6. SOCIALISTE.

Tous l’attestent : le Premier ministre s’est émancipé de son parti. Il n’a jamais été pris en flagrant délit de favoriser outrageusement les positions du PS. A l’inverse, son parti ne lui a pas toujours fait de cadeau. « Sans doute est-il agacé par certaines prises de position du parti », reconnaît Thierry Giet.

Curiosité : ce Premier ministre si peu socialiste reste président en titre du PS. Plus d’un, dans son équipe gouvernementale, le regrette. « Président de parti, même en titre, pour quelqu’un qui doit incarner la neutralité, c’est bizarre, estime Melchior Wathelet (CDH), secrétaire d’Etat à l’Energie. Elio Di Rupo souffrira toujours de n’avoir pas été au bout des choses, en quittant complètement la fonction. »

7. MONTOIS.

Si Di Rupo prend soin de marquer ses distances avec le PS, en revanche, il chouchoute sa ville. Au lendemain des élections communales, il s’est impliqué lui-même dans les négociations montoises, tout en menant de front les pourparlers budgétaires au fédéral. Lui seul dictait le calendrier. Il a attendu vingt jours pour annoncer la reconduction de son alliance avec la MR. Et il a temporisé encore un mois de plus avant de dévoiler l’identité du nouveau bourgmestre faisant fonction, Nicolas Martin.

8. BILINGUE (ENFIN, PRESQUE).

Cela reste un sujet d’étonnement au nord du pays : le Premier ministre balbutie vaille que vaille la langue parlée par 60 % de ses concitoyens. Depuis qu’il est Premier ministre, toutefois, il a accomplis des progrès. « Il doit continuer à améliorer son néerlandais, pense Dirk Van der Maelen. S’il le fait, ça aidera les trois partis flamands de la majorité aux élections de 2014. Il faut être aveugle pour ne pas voir que la N-VA exploite ça. »

9. PRÉSIDENTIEL.

Elio Di Rupo a sacralisé la fonction de Premier ministre comme peu d’autres avant lui. Il recourt aux motards de la police pour ses déplacements à travers le pays. Il ordonne, en certaines occasions, de fermer les grilles du 16, rue de la Loi. Bref, il se rend inaccessible. « Il a un côté diva, note un ministre. Mais ça a du bon. C’est bien d’avoir quelqu’un au-dessus de la mêlée. Si le Premier se comporte comme un copain, il aura plus de mal à s’imposer comme le chef de son gouvernement. »

10. COURAGEUX ?

Olivier Maingain, le président des FDF, a sonné la charge début octobre. « Ce gouvernement n’aura pas été celui du courage face à des circonstances d’une gravité exceptionnelle. »

A la tribune de la Chambre, le 22 novembre dernier, Di Rupo a paré à la critique, prenant en exemple la modération salariale décidée par son gouvernement. « C’est la première fois qu’on fait réellement quelque chose à ce sujet. Quand on connait ce pays, reconnaissons qu’il faut du courage ! Nous avons du courage ! En faisant ce que nous avons fait, en deux ans, on réduit d’un seul coup 47 % de l’écart réel par rapport aux pays voisins. »

En attendant, la petite musique s’est imposée dans bien des esprits. Au sein même de la majorité, certains regrettent le manque de courage supposé du Premier ministre. « C’est une critique injuste, regrette Melchior Wathelet. Courageux, il l’est. Peut-être devrait-il prendre plus de risques… Mais le jour où il en prend et que ça pète, tout le monde lui reprochera de s’être montré imprudent. »

François Brabant

Dossier complet dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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