Olivier Mouton

Trop flou, notre fédéralisme est l’otage des partis

Olivier Mouton Journaliste

Les bras de fer relatifs à la non-indexation des loyers et à la taxation du capital illustrent les dissensions politiciennes entre niveaux de pouvoir. Et serviront, à terme, la N-VA dans sa quête confédérale.

C’est le retour du bac à sable politique, version noble cette fois. Les partis ne s’étripent plus sur des considérations passées, mais s’affrontent désormais par-delà les niveaux de pouvoir sur des enjeux de fond très symboliques : le saut d’index sur les loyers et la taxation du capital. Au jeu du positionnement, MR et PS poursuivent leur quête de bipolarisation du côté francophone, au risque… de faire le jeu de la N-VA dans sa quête confédérale en démontrant le trop grand flou de notre fédéralisme actuel.

Acte 1. Le ministre fédéral du Budget, Hervé Jamar (MR), invite de façon quelque peu ironique le PS à agir au niveau wallon pour taxer les grandes fortunes, comme il presse le fédéral à le faire. Selon lui, après avoir consulté son administration, « la Wallonie peut lever l’impôt sur la fortune dès lors que l’Etat ne l’a pas encore fait ». Politiquement bien joué, diabolique même ! Paul Magnette, ministre-président wallon, balaye l’idée ce matin sur la Première, même s’il consultera des experts pour en avoir le coeur net : « J’ai les plus grands doutes. Le fédéral à des leviers, notre marge est extrêmement fine. » Réplique immédiate de Christophe Cordier, porte-parole des libéraux francophones : « Tiens taxer la fortune n’est pas une si bonne idée visiblement. Il faudrait un @AhmedLaaouej wallon ;-). » Pour info : Ahmed Laaouej est le député fédéral PS spécialiste de la fiscalité qui plaide pour un tel impôt sur le capital. En marge de ce bras de fer, certains ressortent aussi une interview donnée par Paul Magnette à Sud-Presse dans laquelle il justifiait notamment son choix d’entrer en politique par la volonté de contre les recettes toutes faites du PTB, qui grignote en permanence le PS sur sa gauche.

Ce premier épisode témoigne du grand désordre laissé par la sixième réforme de l’Etat, avec son pas en avant en matière d’autonomie fiscale notamment. Dit plus clairement : plus grand-monde ne sait plus très bien qui peut décider quoi, y compris – c’est plus grave – les politiques eux-mêmes et y compris dans un dossier aussi sensible que l’impôt. Il illustre aussi le petit jeu de positionnement permanent auquel se livrent libéraux et socialistes francophones, stratégique mais enfantin par moments.

Acte 2. Malmené par les affaires Kubla et De Decker, le MR décide de contre-attaquer sur le terrain politique en posant un geste fort témoignant de son caractère social. Désormais, il rejoint le CD&V qui réclamait un saut d’index pour les loyers, histoire de compenser le saut d’index sur les salaires décidé par le gouvernement Michel. Ce faisant, le MR laisse la N-VA dans son coin au fédéral. Mais qu’importe : les entités fédérées rentrent dans la danse. Liesbeth Homans, bras droit de Bart De Wever et adjointe de fer du ministre-président flamand Geert Bourgeois, affirme qu’elle s’y opposera de toutes ses forces au niveau régional, car c’est selon elle ce niveau de pouvoir qui serait compétent en la matière. Le gouvernement wallon de Paul Magnette lui donne raison et annonce qu’il prendra lui-même l’initiative pour décider d’un saut d’index des loyers avant le fédéral.

MR et PS démontrent la nécessité de simplifier nos institutions. La N-VA boit déjà du petit lait.

Ce second épisode illustre à nouveau notre imbroglio institutionnel, qui risque soit dit en passant de malmener l’égalité entre les Belges. Il illustre une nouvelle fois les divergences fondamentales entre le modèle N-VA et le modèle PS. Chacun y trouve sans doute son compte politiquement, les uns (N-VA) pour affirmer leur intransigeance, les autres (PS) pour montrer leur caractère social au profit des citoyens, mais in fine, le système risque d’en pâtir.

Il est certes normal que notre fédéralisme tâtonne encore un peu après le bouleversement d’ampleur que constitue la sixième réforme de l’Etat. Il est légitime que les partis se positionnent, même s’ils prennent le risque de prendre en otage les institutions qu’ils dirigent.

Mais la morale de ces histoires risque de déplaire aux principaux intéressés. En démontrant le caractère de plus en plus kafkaïen du pouvoir belge, MR et PS vont démontrer la nécessité de simplifier nos institutions. La N-VA, qui était malmenée et en voie de belgicisation, boit déjà du petit lait. Bientôt, elle pourra s’exclamer à bon compte : « Vous voyez, cela ne fonctionne pas, passons au confédéralisme. »

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