Carl Devos

Trois dossiers empoisonnés pour Di Rupo Ier

Carl Devos Politologue à l'Université de Gand

Au cours de la saison politique 2011-2012, la « force de la différence » incarnée par la N-VA l’a emporté. En 2012-2013, la « force de gouverner » des partis classiques a gagné en crédit et permis à Di Rupo Ier de contre-attaquer. Le gouvernement s’est constitué un capital confiance grâce à une série de décisions.

Les partis de la majorité aiment à nous rappeler leurs réalisations afin de démentir l’idée que l’équipe dirigeante est incapable de prendre la moindre décision. Mais ces communications peuvent paraître de l’arrogance si le gouvernement ne parvient pas à résoudre rapidement quelques dossiers épineux minant la fragile confiance qu’il a tant peiné à obtenir. Il s’agit du sauvetage des banques, de la scission de l’arrondissement judiciaire de BHV et du « dossier sale » par excellence : celui des nominations politiques. Ce dernier surtout menace le rétablissement électoral de la tripartite classique.

Le énième communiqué concernant Dexia révèle combien le citoyen lambda paie la facture de cette débâcle honteuse, alors que les véritables responsables bancaires et politiques restent impunis. Le fait que certains décideurs minimalisent l’échec est une gifle dans la figure des électeurs. Et dire que certains rêvent déjà d’attribuer de nouveaux bonus aux banquiers…

La scission de l’arrondissement judiciaire de BHV a été opérée sur la base de chiffres erronés. Mais qu’à cela ne tienne : une mesure de la charge de travail viendrait corriger a posteriori la clé de répartition (entre l’effectif néerlandophone et francophone) en fonction des besoins objectifs. Cette étude, réalisée voici quelque temps, révèle qu’il faut davantage de personnel pour les deux groupes linguistiques, mais aussi que la clé de répartition doit être modifiée.

Ces conclusions suscitent une levée de boucliers du côté francophone, où la mesure de la charge de travail est contestée. Or, si l’idée prévaut que la répartition du personnel n’a pas pu être établie en fonction des véritables besoins – lisez : que les Flamands n’ont pas obtenu le personnel nécessaire suite au refus des francophones – la N-VA en tirera un bénéfice électoral. Le fait que la justice ne puisse pas être administrée de manière optimale à la suite d’un différend communautaire affecterait sérieusement l’image de l’équipe Di Rupo Ier. Un compromis évident – le maintien ou la légère adaptation de la clé de répartition tout en accordant du personnel supplémentaire aux deux groupes linguistiques – prête le flanc à la critique dite de la « politique du gaufrier » (NDLR : politique des années 1970 qui stipulait qu’à un franc dépensé en Flandre devait correspondre un franc dépensé en Wallonie) : les francophones recevraient davantage de personnel que nécessaire en vertu de la sacro-sainte clé de répartition. Quelle que soit la décision du gouvernement, la perception de ce dossier est cruciale.

Mais le plus pernicieux de ces dossiers épineux est celui des nominations politiques. Voilà tellement longtemps que le gouvernement le trimbale qu’il risque d’entraîner toute la gadoue dans son sillage. Ce dossier pourri de toutes parts s’est encore envenimé au cours des dernières semaines. Comme le SP.A. et l’Open VLD refusent mutuellement de laisser le candidat de l’autre parti diriger la SNCB, un troisième candidat est entré en lice. Or, la candidature d’Ellen Jonckheere, jugée trop proche du SP.A., a été torpillée. Madame Jonckheere aurait menti sur son CV. Le chasseur de têtes consulté, dont la seule mission était de napper le marchandage politique d’une sauce d’objectivité, fait aujourd’hui piètre figure dans une procédure déjà bancale par ailleurs. Dès lors, qui peut encore prétendre qu’il s’agit avant tout de désigner les administrateurs les plus compétents ?

Ces trois dossiers ne sont pas seulement pénibles. Ils sont une insulte à l’intelligence des citoyens. En effet, les politiques semblent penser qu’ils ne sont pas assez malins pour voir dans leur jeu, que ceux-ci les croient quand ils affirment que le dossier Dexia est moins pourri qu’on ne le pense, que la clé de répartition dans l’arrondissement BHV reflète les besoins véritables ou encore, que les politiciens cherchent surtout à nommer les administrateurs les plus compétents. De cette manière, ces dossiers trahissent même un certain dédain pour le peuple.

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