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Toutes les clés pour comprendre la loi de financement

Dotations, responsabilité, solidarité, mécanisme pervers, autonomie fiscale, concurrence déloyale… Difficile de s’y retrouver dans les négociations institutionnelles en cours. En voici les 7 clés principales. Et les enjeux à venir.

1 La LSF Sa prose est un remède miracle pour les insomnies sévères. La loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, LSF en abrégé, n’en constitue pas moins le système nerveux du fédéralisme belge. Forgée par Jean-Luc Dehaene, alors informateur du futur gouvernement Martens VIII, elle règle les vases communicants entre les différents niveaux de pouvoir du pays.

Comment se répartit le gâteau ? Les Régions sont financées par des recettes fiscales propres (11 impôts régionaux) et par une dotation fédérale qui, pour la Région wallonne, représente un peu plus de la moitié de ses recettes totales. Cette dotation est prélevée sur l’impôt des personnes physiques (IPP) et répartie en fonction de la contribution respective des Régions à cet impôt. Soit, actuellement, 63 % pour la Flandre, 28 % pour la Wallonie et 8,5 % pour la Région bruxelloise. C’est le principe du « juste retour », cher à Dehaene et aux Flamands. Autrement dit : plus on est riche, plus on reçoit de gâteau. Cette dotation est revue chaque année en fonction de l’indice des prix à la consommation et de l’évolution de la croissance.

Les Communautés, elles, n’ont aucun pouvoir fiscal : la faute à Bruxelles où l’on ne peut distinguer le sexe linguistique des contribuables. Ces entités fédérées dépendent donc entièrement de la dotation fédérale : 70 % de leurs recettes sont prélevées sur le produit de la TVA, 25 % sur l’IPP. Le reste provient du produit de la redevance radiotélévision (régionalisée en 2001), des bénéfices de la Loterie nationale, du financement par l’Etat des étudiants étrangers, etc. C’est le point faible du modèle Dehaene, d’autant que la clé de répartition entre Communautés a dû faire l’objet de difficiles adaptations en 1993, en 1999 et en 2001.

Depuis dix ans, le parlement flamand demandait de refondre cette loi fondatrice pour pousser plus loin la logique du « juste retour ». Jusqu’ici, les partis francophones avaient brandi un « niet » absolu. « Leurs craintes étaient légitimes, reconnaît Dave Sinardet, politologue à l’université d’Anvers. Car, en 1989, noyés sous les chiffres et les simulations informatiques, les francophones avaient été lésés par le modèle Dehaene et ils ne voulaient plus toucher à l’horlogerie délicate mise en place après les dernières renégociations de 2001. » Aujourd’hui, les négociateurs francophones ont accepté que le tabou soit levé.

2 Le mécanisme solidarité

Pour compenser les différences de richesse entre Régions et contrebalancer l’effet du « juste retour », la loi de financement a prévu un « bonus » pour les Régions moins florissantes, à charge du pouvoir fédéral : l’intervention de solidarité nationale (ISN). C’est la clé de sauvegarde de l’union du pays. Et la bête noire des nationalistes flamands. Bien qu’ils augmentent chaque année, les montants en jeu ne sont pourtant pas exorbitants : en 2010, l’ISN aura rapporté 840 millions d’euros à la Région wallonne et 300 millions à la Région bruxelloise. Plus prospère, la Flandre, elle, n’a jamais bénéficié de ce mécanisme.

Le calcul se fait en comparant le produit moyen de l’IPP par habitant de chaque Région à la moyenne nationale. Actuellement, la Flandre se situe 9 points au-dessus de la moyenne. La Région wallonne 13 points en dessous de la moyenne, contre – 8, en 1989 : une détérioration donc relativement faible, de cinq points en deux décennies. Quant à la Région bruxelloise, elle est passée de l’opulence à l’indigence : de + 13 points, en 1989, à – 14, aujourd’hui. Soit une chute de 27 points en vingt ans ! Principale explication : le phénomène d’abandon des 19 communes de Bruxelles par ses habitants les plus aisés qui sont partis s’installer dans la périphérie. En réalité, cette paupérisation touche la plupart des grandes villes belges. La différence est que Bruxelles est une Région…

Les négociateurs francophones ont obtenu qu’un mécanisme de solidarité soit maintenu, mais celui-ci pourra changer dans son processus. Les Flamands prônent un transfert horizontal, de Région à Région, ce qui leur permettrait de mieux contrôler le mécanisme et de mieux apprécier les montants transférés du Nord au Sud. Les francophones veulent garder un mécanisme vertical, du fédéral aux Régions. Le modèle allemand influencera peut-être les experts du futur groupe de travail : dans la république fédérale voisine, outre une répartition des recettes TVA entre les 16 Etats fédérés en fonction de leur population, coexistent un mécanisme de solidarité vertical du Bund vers les Bundesländer sous forme de subventions et un mécanisme horizontal entre Länder en fonction de leurs recettes respectives.

3. L’effet pervers de la solidarité

Un des arguments favoris des Flamands : le mécanisme de solidarité recèle un effet pervers dans son modèle de calcul, qui pénalise les Régions dont les performances économiques s’améliorent. En effet, en 2006, lorsque la Région wallonne a repris quelques couleurs fiscales, elle a perdu davantage d’un côté que ce qu’elle avait gagné de l’autre. Pour les Flamands, cela n’encourage guère les Wallons à mener des politiques d’emploi efficaces. La rengaine du Wallon profiteur… « Voilà qui est simpliste, déplore le Pr Giuseppe Pagano, spécialiste des finances publiques à l’université de Mons-Hainaut. Cela suppose que les Wallons préfèrent rester plus pauvres que les autres. »

En outre, l’effet pervers ne représente pas grand-chose. « Nous l’avons calculé : en 2010, l’ISN rapportera 2 millions d’euros à la Région wallonne », révèle Benoît Bayenet, économiste à l’ULB et expert du PS pour les négociations en cours. Il suffirait sans doute de corriger le mécanisme pour rassurer les Flamands. Après l’accord du 24 août sur la loi de financement, le débat sur cet effet pervers s’avère inévitable.

4. Responsabiliser les régions

Lier les recettes fiscales des Régions à leurs performances économiques, pour mieux les responsabiliser. C’est le leitmotiv des Flamands, de Bart De Wever en particulier. A force de le voir marteler, Elio Di Rupo (PS) et ses partenaires francophones ont désormais acquis le principe de responsabiliser les entités fédérées. Encore faut-il s’accorder sur la manière.

Pour les partis du Nord, la responsabilisation passe par un refinancement des Régions. Déjà en 2008, alors qu’Yves Leterme tenait vaille que vaille la barre du gouvernement fédéral, le CD&V écrivait noir sur blanc qu’il voulait faire de l’impôt des personnes physiques l’élément central du financement des entités fédérées. Car « cet impôt est le meilleur thermomètre de l’efficacité des politiques régionales ». L’IPP constitue surtout la clé du « juste retour ».

Actuellement, comme nous l’avons expliqué, les Régions reçoivent les recettes IPP sous forme d’une dotation fédérale. Dans ce système, les Régions ne décident ni de la base imposable ni du taux d’imposition. Et leurs recettes dépendent des performances des autres entités fédérées. Les efforts d’une Région pour doper son activité économique ne sont donc guère récompensés à leur juste valeur.

Les balises sur lesquelles les négociateurs viennent de s’accorder ouvrent la voie à une plus grande autonomie financière. Elles n’interdisent pas la régionalisation partielle de l’IPP ni même celle de l’impôt des sociétés, qui permettrait aux Régions d’intervenir directement sur les taux. Mais, en maintenant la progressivité de l’impôt dans les compétences du pouvoir fédéral, elles empêchent de voir se développer les thèses flamandes extrêmes de régionalisation totale de l’impôt. Ce dernier point est une exigence des francophones pour maintenir un équilibre entre la responsabilisation et la solidarité. Il est piquant de constater que ces balises ne semblent guère éloignées des propositions des universitaires francophones qui, depuis un an, ont rejoint les Flamands sur le thème de la responsabilisation (1).

5 Le risque de concurrence fiscale

Régionaliser l’impôt a du sens si on considère que les entités fédérées sont responsables de 12 % des recettes fiscales du pays et de 25 % des dépenses. « Plus d’un Etat fédéral fait face à ce problème de déséquilibre fiscal », note Christian Valenduc, conseiller au SPF Finances et professeur aux Facultés de Mons (FUCAM) dans un article publié en novembre dernier pour le Service d’étude du ministère des Finances (2).

Cela dit, les Régions jouissent déjà d’une importante autonomie fiscale. Actuellement, les impôts régionaux représentent 34 % des recettes de la Région wallonne et plus de 42 % de celles de Bruxelles-Capitale. La Flandre ayant fusionné sa Communauté et sa Région, il est difficile de distinguer les budgets des deux institutions.

Pour les francophones, accroître l’autonomie financière des entités fédérées peut avoir des conséquences néfastes en termes de concurrence fiscale. « Pour qu’il y ait une saine concurrence, il faut jouer à armes égales, reconnaît Magali Verdonck, professeur d’économie aux Facultés Saint-Louis, à Bruxelles. La Région bruxelloise en particulier souffre d’un lourd handicap financier, dû à la structure de son financement, qui l’empêche de jouer à égalité avec les autres. En cas de régionalisation de l’IPP, si la Flandre diminuait son taux, cet incitant, ajouté à d’autres avantages fiscaux, finirait par aggraver l’exode urbain des classes moyennes et la paupérisation de la capitale. »

Ici aussi, les négociateurs francophones ont prévu des garde-fous, afin qu’une plus grande autonomie fiscale ne puisse entraîner de concurrence déloyale entre les entités. Ce principe existe déjà dans la loi de financement actuelle. Exemple pour les droits de succession (de compétence régionale) : c’est le lieu de domicile du défunt cinq ans avant son décès qui détermine quelle Région taxera les héritiers, et ce pour éviter les « délocalisations macabres ». Important : la situation spécifique de la Région bruxelloise sera prise en compte. Les navetteurs qui travaillent à Bruxelles mais paient leurs impôts en Flandre ou en Wallonie pourraient être inclus dans le calcul du rendement bruxellois de l’IPP.

6 Le financement des communautés

Le financement actuel des Communautés induit – en tout cas du point de vue flamand – un mécanisme de solidarité implicite en faveur de la Communauté française. En effet, la clé de répartition de la dotation qui sert à financer l’enseignement est non pas celle du rendement de l’impôt (le juste retour), mais celle plus favorable pour les francophones, du nombre d’élèves que compte chaque Communauté. Selon le principe « un enfant = een kind ». Ce qui confère aux deux Communautés un même niveau de financement pour leur enseignement. Précision : les montants sont indexés et multipliés par un coefficient de natalité. On a décidé de retenir le coefficient le plus favorable pour les deux Communautés. Soit celui de la Communauté française, qui a augmenté contrairement aux prévisions de l’époque (raison pour laquelle on parle de coefficient de dénatalité).

« Le bénéfice que retire la Communauté française de cette solidarité implicite s’élève à 997 millions d’euros en 2010, explique le Pr Pagano. Mais il est tempéré par le coefficient de dénatalité plus favorable des francophones, qui, cette année, rapporte à la Flandre 335 millions d’euros. Une somme qu’elle ne toucherait pas si on retenait le coefficient flamand. » C’est tout de même un joli bonus.

Malgré cela, les Flamands ont toujours prôné, ici aussi, le « juste retour », toujours selon le principe de la responsabilité. Lors des accords du Lambermont en 2001, ils ont d’ailleurs obtenu de retenir la clé du rendement de l’IPP pour répartir les moyens supplémentaires octroyés aux Communautés pour le financement de l’enseignement. Mais aujourd’hui les Flamands en veulent encore plus. En effet, Koen Algoed, chef de cabinet du ministre flamand des Finances Philippe Muyters (N-VA), et Eric Kirsch, chef de cabinet d’Yves Leterme (CD&V), prônent un système où l’on retiendrait la clé IPP pour l’entièreté du financement des Communautés et non pas seulement pour les montants négociés en 2001. Dans ce cas de figure, la Communauté française perdrait, chaque année, près de 1 milliard d’euros.

Parmi les douze principes retenus par les négociateurs, les francophones ont obtenu qu’on tienne compte d’autres critères que l’IPP pour financer les Communautés, tel que le nombre d’élèves ou, comme en Allemagne, la population. Comme en 2001, les débats s’annoncent ardus…

7 L’appauvrissement de l’Etat fédéral

Un déficit budgétaire de 25 milliards d’euros. Une dette publique qui a dépassé les 100 % du PIB et qui dépend de plus en plus de l’étranger. Une population vieillissante dont il faudra financer les pensions, dans les années et les décennies à venir. Les perspectives ne sont guère brillantes pour le pouvoir fédéral. Roland Gilet, professeur de finance à l’ULB et à la Sorbonne, a averti sur les ondes de Matin Première : « Il ne faudrait pas que la crise communautaire se transforme en crise de solvabilité de l’Etat. »
Actuellement, l’Etat fédéral transfère 31 milliards d’euros aux entités fédérées, soit environ 8,5 % des revenus taxables. Le hic : depuis dix ans, les dotations fédérales ont progressé bien plus vite que les recettes. Un déséquilibre souvent pointé par les spécialistes du budget. Le refinancement des Communautés, en 2001, a, en outre, limité les marges budgétaires de l’Etat, alors même que celui-ci lançait, sous la houlette du ministre des Finances Didier Reynders (MR), une vaste réforme fiscale en faveur des contribuables.

Les principes adoptés par les négociateurs prévoient laconiquement que le financement de l’Etat pour ses tâches propres soit assuré. Pour certains francophones, si on régionalise partiellement l’IPP, on appauvrira le fédéral, ne fût-ce qu’en raison de l’élasticité des impôts directs : ceux-ci évoluent plus rapidement que le PIB. Donc l’Etat a tout à y perdre. Les débats sont loin d’être terminés.

Thierry Denoël

(1) Ces économistes des Facultés de Namur et de la KULeuven, sous la houlette des Prs Mathias Dewatripont (ULB) et Philippe Van Parijs (UCL), ont récemment mis en ligne un e-book. (2) L’autonomie fiscale des Régions en Belgique. Evaluation et perspectives, par Christian Valenduc (FUCAM, UCL), Magali Verdonck (FUSL) et André Decoster (KULeuven), sur www.docufin.fgov.be


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