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Tout cela ne nous rendra pas la Sabena

Dix ans après la disparition de la Sabena, le Cinquantenaire se met aux couleurs de la compagnie mythique. Retour sur la plus grave faillite de l’histoire du pays et sur le sort de son personnel

Pour les ex-Sabéniens et tous ceux qui ont été choqués par la disparition de la compagnie aérienne belge, le 7 novembre prochain ne sera pas une date comme une autre. Ce jour-là sera commémorée la faillite, il y a dix ans, de la Sabena, prononcée par le tribunal de commerce de Bruxelles. Un crash national qui a laissé un goût amer à bon nombre d’anciens de la compagnie et à d’autres victimes du séisme social. Colère, écoeurement ou sentiment d’impuissance se sont souvent exprimés face à la gestion irréfléchie de l’entreprise, à la stratégie prédatrice de l’actionnaire suisse SAirGroup (Swissair) et à l’attitude négligente des responsables politiques belges. Pourtant, dix ans après le drame, la compagnie mythique, véritable monument de la mémoire collective belge, fait encore rêver. Ce ne sont pas les organisateurs de l’exposition du Cinquantenaire consacrée à l’histoire de la Sabena qui nous contrediront.

En 2002, une commission d’enquête parlementaire a cherché à comprendre l’engrenage qui a compromis la survie de la plus ancienne compagnie européenne après la KLM. Que retenir de l’exercice et de tant d’autres débats d’experts ? Que la Sabena a toujours été sous-capitalisée. Qu’un climat social tendu régnait au sein de la compagnie. Que sa culture d’entreprise souffrait de rigidités. Tous ces handicaps pesaient déjà sur la Sabena en 1995 quand a été scellée l’union avec Swissair, un accord parrainé par Elio Di Rupo, alors ministre des Communications. Mais la commande démesurée de 34 Airbus, deux ans plus tard, apparaît comme la décision qui va précipiter la faillite. Après avoir abusé de sa filiale belge, Swissair lui a caché l’état déplorable de ses propres finances, avant de se dégager du partenariat sans honorer ses promesses.

Depuis lors, Belges et Suisses se rejettent, devant les tribunaux, la responsabilité de la mort de la Sabena, l’Etat belge réclamant des dommages et intérêts. De même, dix ans après la chute de la compagnie, le dossier pénal dans lequel ont été inculpées 9 personnes – il en reste 8 depuis le décès, l’an dernier, de Paul Reutlinger, directeur de la Sabena de 1999 à 2000 – n’est pas totalement clôturé. Les préventions à charge des inculpés vont du blanchiment d’argent au faux et usage de faux, en passant par des infractions fiscales et sociales et de l’abus de confiance.

Les voies de la reconversion

Et les sabéniens, que sont-ils devenus ? La société employait, l’année de sa disparition, quelque 7 800 personnes. Avec ses filiales Sabena Technics, DAT, Sobelair… le groupe comptait, au total, plus de 12 000 travailleurs, dont près de la moitié ont perdu leur emploi. Le groupe a été morcelé. La compagnie privée Brussels Airlines, qui a succédé au mastodonte semi-public, a repris, notamment, des pilotes Sabena, dont les salaires ont été nettement revus à la baisse.  » Mais ce sont sans aucun doute les hôtesses et les stewards qui ont le plus trinqué « , constate Salvatore Bongiorno, ex-délégué syndical à la Sabena, qui s’est occupé de la cellule de reconversion de la compagnie, avant d’ouvrir un restaurant italien à Woluwe-Saint-Lambert.

Salvatore, dit  » Toto « , poursuit :  » Grâce au boom du trafic aérien mondial, des pilotes ont pu rejoindre des compagnies asiatiques, Air France, Alitalia, ou encore des compagnies charters… Et des anciens se sont recyclés : plusieurs sont devenus profs de langues, d’autres ont ouvert des hôtels. Il y a cinq ans, entre 1 500 et 2 000 ex-travailleurs de la Sabena étaient toujours sur le carreau, souvent des hommes et des femmes qui approchaient de l’âge de la prépension. Ils n’ont jamais retrouvé d’emploi et s’identifiaient énormément à leur entreprise.  »

Le restaurant de Toto est vite devenu  » QG » des ex-sabéniens. « Chaque midi, une ou deux tables au moins sont occupées par des « anciens combattants » « , remarque le patron. Certains d’entre eux ont constitué un groupe de musiciens et de chanteurs, qui se produira au Centre culturel d’Auderghem les 11 et 12 novembre pour rappeler le souvenir de la faillite. Les 750 places de la salle ont été réservées en quelques heures ! De toute évidence, une décennie après la catastrophe, l’esprit Sabena souffle toujours. Peut-être même plus fort qu’au temps de la compagnie !

Sabena l’Expo

Témoignage de notre patrimoine national, l’histoire de la Sabena révèle, à travers sa recherche de style et de modernité, l’évolution des mentalités. Le Musée du Cinquantenaire l’a vite remarqué. Du coup, de très nombreux objets liés à la compagnie sont venus compléter les collections, permettant aujourd’hui cette exposition. Bien davantage qu’une simple histoire de l’aviation, ce parcours dévoile maintes facettes de la Sabena et du transport aérien, éclairant dans la foulée quelques aspects insoupçonnés…

La compagnie belge voit le jour en 1923. C’est le début de l’aviation, les accidents sont fréquents et les vols, inconfortables. Les premiers sièges ne sont alors que des fauteuils de jardin en rotin. Soucieuse de rivaliser avec les grandes enseignes aériennes européennes, la Sabena érige rapidement l’accueil et le confort des passagers au rang de ses priorités. Détail surprenant, on apprend que jusqu’en 1970 celle-ci confectionnait tous ses sièges dans ses ateliers.

La Sabena profitera des avancées techniques et spectaculaires des engins grâce aux progrès du XXe siècle : de l’avion à hélice au jet, en passant presque par le Concorde dont des exemplaires ont été commandés avant que la compagnie ne se ravise. Coupes de moteurs, maquettes et films seront là pour témoigner.

Au coeur de l’exposition, les uniformes portés par les hôtesses entre 1947 et 2001. Fantasmes incarnés, symboles de la féminité, ces jeunes et jolies demoiselles jouèrent le rôle d’ambassadrices sur la scène internationale. Leurs vêtements en disent long sur l’évolution de la femme au travail et le combat pour l’égalité. A l’ombre de l’image séduisante véhiculée par le personnel navigant et les pilotes, il y a tout le personnel de maintenance. Sans son labeur acharné, impossible de voyager. L’exposition insiste notamment sur les tenues que portaient ces hommes  » oubliés « , en soulignant toutes les particularités en termes de fonctionnalité mais aussi de sécurité.

A travers quantité d’affiches (dont certaines n’ont jamais été publiées), il est également question des stratégies de communication. Entreprise commerciale de premier ordre, la compagnie aérienne orchestra, en effet, des campagnes publicitaires dont le choix des slogans est souvent symptomatique. Autant de souvenirs d’un âge d’or de l’aviation belge, d’une époque où l’avion suffisait à faire rêver.

Le Progrès venait du ciel. Histoire de la Sabena, Musée du Cinquantenaire, 10, parc du Cinquantenaire, 1000 Bruxelles. Du 30 septembre 2011 au 26 février 2012. www.mrah.be

Gwennaëlle GRIBAUMONT

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