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Terrorisme :  » Attention aux agendas politiques cachés « 

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Avec les attentats de Paris et les opérations anti-terroristes en Belgique, les mesures sécuritaires vont se renforcer au détriment de certaines de nos libertés. Inévitable ? Oui. Dangereux ? Aussi, selon Guy Haarscher, philosophe et juriste de l’ULB : un affaiblissement de nos démocraties, c’est justement ce que recherchent les terroristes.

Le Vif/L’Express : La lutte contre les djihadistes passe-t-elle par un abandon de certaines libertés ?

> Guy Haarscher : Toute société connaît une tension entre la sécurité et les libertés. Dans les périodes où le danger s’accroît, le curseur s’oriente inévitablement vers le pôle « sécurité », ce qui suppose certaines atteintes aux libertés. Le respect des droits de l’homme impose en temps normal des limitations aux pouvoirs de la police. Mais, dans des circonstances exceptionnelles ou parce que l’ennemi est nouveau, on est parfois prêt accepter des atteintes aux libertés. La peur nous empêche de voir les dangers à moyen terme qu’entraînent les mesures prises. C’est ce qui s’est passé avec le Patriot Act, aux Etats-Unis. En même temps, davantage de sécurité est nécessaire. Ce qu’il faut éviter, c’est cette schizophrénie qui consiste à crier au fascisme quand on renforce les pouvoirs de la police, tout en se demandant « que fait la police ? » quand il y a un attentat qu’elle n’a pas pu empêcher. Le vrai défi consiste à réfléchir à cet enjeu sans récupération politicienne.

Les services de renseignement réclament davantage de moyens. Justifié ?

Oui, d’autant que les djihadistes sont entraînés à la Taqiyya, l’art de la dissimulation. Ils savent que la surveillance requiert des moyens humains considérables et ils en jouent. Donc on ne peut pas refuser de nouveaux pouvoirs d’investigation aux services de renseignements, qu’on accuse d’avoir failli dans la surveillance des terroristes potentiels. Il est impératif de s’adapter à la menace. Le problème est que, lorsqu’on donne de nouveaux pouvoirs à une instance de sécurité, il faut prévoir des moyens de contrôle. C’est ce qui a manifestement manqué aux Etats-Unis avec la NSA et ses écoutes généralisées. Il faut aussi tenir compte de ce que les événements actuels peuvent donner l’occasion aux services de sécurité d’en demander trop. Le bien-fondé de toutes les demandes doit être scrupuleusement examiné. Sinon, attention à « Big Brother ».

Le gouvernement Michel réfléchit à un plan Vigipirate à la belge. Le PS ne voulait pas en entendre parler, dit-on au sein de la majorité actuelle. Y a-t-il forcément un clivage politique sur les questions de sécurité ?

Traditionnellement, il y a une tendance plus conservatrice à droite sur le plan de la sécurité et une crainte plus grande des atteintes aux libertés à gauche. Aujourd’hui, avec un gouvernement de droite et surtout avec la N-VA qui tient des discours très musclés, il faut faire attention aux agendas politiques cachés derrière l’exigence d’intérêt général consistant à renforcer la sécurité. Quand une société se trouve confrontée à cette situation, le mieux est d’éviter d’en faire un débat partisan. C’était d’ailleurs le message des manifestants de dimanche. Mais dépasser les clivages politiques sur ces questions, ce n’est pas gagné… En même temps, on peut craindre que des mesures sécuritaires drastiques doivent être prises à la demande de la population. Parce que les gens auront légitimement peur. Quand on a peur, on veut la sécurité avant tout, et on sous-estime les dangers à moyen terme pour le tissu démocratique.

N’est-ce pas justement le résultat politique voulu par les terroristes, cet affaiblissement de la démocratie ?

Absolument. Ils cherchent à dresser les communautés les unes contre les autres, avec, en France, les identitaires  » blancs » à la Zemmour d’un côté, et les identitaires minoritaires à la Dieudonné de l’autre. L’attentat de l’Hyper Casher, dans le quartier de Vincennes à Paris, est de ce point de vue très révélateur. Ce quartier est extrêmement multiculturel. La cible était éloquente. Le discours des radicaux islamistes est d’ailleurs sans équivoque : « Surtout ne vous intégrez pas à cette société de mécréants qui vous méprisent. » Le risque est que tout cela entraîne des réactions de méfiance terribles : on le voit avec les attaques de mosquées et une montée du vote pour les partis populistes. Au-delà du risque d’attentats, le danger terroriste pour la démocratie est double : l’exagération sécuritaire et la montée du populisme. A long terme, il faut aussi assécher le vivier des fondamentalistes par une politique – très difficile – d’éducation et d’emplois.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec le dossier spécial « L’Apocalypse, l’un des moteurs des djihadistes »

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