© Thinkstock

Survol de Bruxelles: le bal des ego snobe l’intérêt général

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les avions qui zèbrent le ciel de la capitale constituent aujourd’hui l’enjeu d’un combat politique, économique et communautaire. Bien plus qu’ils ne soulèvent de questions techniques. S’y ajoutent des conflits humains, qui, faute de bonne volonté, rendent le dossier insoluble.

Les premières escarmouches remontent à plus de 40 ans. « Il est clair que le chiffre de la population dans l’agglomération bruxelloise diminue fortement pendant les mois d’été et les week-ends (sic), écrivait à l’époque Jos Chabert, ministre (CVP) des Transports. Ce qui n’est pas le cas pour la population de la périphérie. La Régie des voies aériennes est priée d’en tenir compte et de revoir en conséquence la répartition des vols. »

Le ver communautaire était déjà dans le fruit. Depuis, la question du survol de Bruxelles, d’une partie du Brabant flamand et de certaines communes du Brabant wallon n’en finit pas de pourrir la vie des habitants comme celle des responsables politiques qui en héritent. Que ceux-ci agissent ou laissent la situation s’enliser, les électeurs ne leur pardonnent rien. Depuis des décennies, donc, les citoyens aboient. Et les avions passent. Le survol de Bruxelles serait-il fait du même bois que l’imbroglio de BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde), dont l’ex-Premier ministre Yves Leterme (CD&V) avait dit qu’il suffisait de 5 minutes de courage politique pour en sortir ?

Il faudrait un peu plus de 5 minutes, sans doute, pour trancher ce noeud gordien. Mais pas tant que certains veulent le faire croire. Car, expurgé de ses volets politique et communautaire, ce dossier n’est pas sans solutions techniques. Les experts de cette science si complexe des routes aériennes le disent : la vie à proximité de cet aéroport construit bien trop près de la capitale, mais à une époque où l’on ne voyait pas jusqu’au XXIe siècle, pourrait être plus supportable, et l’être pour tout le monde. Bien sûr, chacun devrait, pour cela, lâcher un peu de ses revendications, aussi légitimes soient-elles, mais plus encore quelques-unes de ses postures. Et certains plus que d’autres.

Un an après son entrée en fonction, la ministre libérale des Transports, Jacqueline Galant, est au centre de toutes les attentes, de toutes les espérances et de toutes les menaces. La pression sur elle est multiforme et croissante : les Régions, la direction de l’aéroport, les partis flamands du gouvernement fédéral, les lobbies économiques, les communes et les associations de riverains l’attendent au tournant. Plusieurs d’entre eux ne cachent pas qu’ils pourraient brandir l’arme de la procédure judiciaire si d’aventure le plan durable auquel elle assure travailler ne devait pas prendre la direction qui leur convient.

Des forces qui s’annulent

A périmètre constant, comme on dit, il y a donc peu de chances que Jacqueline Galant fasse sérieusement bouger les lignes dans le ciel bruxellois. Mais tant mieux si l’on se trompe. Rien ne bougera parce que bien plus que l’extraordinaire complexité technique du dossier, c’est la lutte permanente que se livrent les différents acteurs de ce mauvais film qui le paralyse. Des forces contraires qui s’annulent. Des lobbies qui se contrent. Et une guerre d’ego à ce point cristallisée que plus personne ne pourrait aujourd’hui reculer sans perdre la face. Qui sont ces acteurs ?

Belgocontrol, au premier chef. Chargée d’assurer la sécurité du trafic dans l’espace aérien belge, donc d’orchestrer le ballet des quelque 230 000 avions qui arrivent ou quittent Bruxelles chaque année, l’entreprise publique autonome est pilotée par Johan Decuyper, ex-chef de cabinet de l’ancien secrétaire d’Etat au Transport, Etienne Schouppe (CD&V). « Avec Belgocontrol, c’est toujours compliqué », entend-on à diverses sources. Le contrôleur du ciel est régulièrement pointé du doigt pour son manque de transparence, voire sa totale mauvaise foi dans la transmission des données. Plusieurs courriers parvenus au Vif/L’Express en attestent. Or la DGTA (Direction générale du transport aérien) ne peut effectuer son travail de contrôle des routes et des nuisances aériennes sans ces informations de base, qu’elle ne détient pas.

« Quand le régulateur a besoin d’informations, il nous les demande et nous les lui donnons », assurait Johan Decuyper, interrogé par le Vif/L’Express en mai dernier. « Belgocontrol n’a pas répondu à notre demande formelle d’accès aux données météorologiques utilisées pour la sélection des pistes », répondait en écho la DGTA, quelques jours plus tard. Or, le cabinet Galant semble n’intervenir que mollement pour rappeler Belgocontrol à l’ordre, affirment plusieurs sources. Il a par ailleurs exclu du suivi du dossier toute personne – même compétente – suspectée d’être concernée par le survol, dont le président du SPF Mobilité, Laurent Ledoux, au motif qu’il pourrait être embourbé dans un conflit d’intérêts.

Belgocontrol est aussi soupçonnée de rouler pour le CD&V et de défendre la cause flamande, singulièrement au nord de Bruxelles (Noordrand). « Peut-être faudrait-il choisir un étranger pour diriger Belgocontrol afin d’être sûr qu’il ne défende les intérêts d’aucune communauté ? » ironisait Johan Decuyper dans une interview au Vif/L’Express.

L’activisme du lobby flamand est en tout cas patent. Il se fait particulièrement sentir dès lors que la vliegwet (loi de procédures aériennes) se négocie en ce moment. Cette loi bétonnera en quelque sorte les routes actuelles en rendant quasi impossible toute modification de leur tracé par la suite. Ce qui conviendrait aux partis flamands…

A l’heure actuelle, cette pression est surtout incarnée par le CD&V, qui dispose de quelques précieux relais sur le terrain aéronautique. Outre Johan Decuyper, Geoffray Robert, un autre ancien du cabinet Schouppe, est également conseiller à Belgocontrol. Et Eddy Van de Voorde, professeur en économie du transport à l’université d’Anvers et auteur d’une récente étude favorable à Ethiopian Airlines, a publiquement appelé à voter pour les chrétiens-démocrates du nord du pays.

Le CD&V suit donc de près le dossier aéronautique, entre autres pour des questions électorales. Aux dernières élections communales, en 2012, le CD&V était arrivé en tête dans les communes du Noordrand de Grimbergen et Asse et avait réalisé un très bon score à Meise.

Il veille aussi au grain pour des raisons économiques : l’aéroport est le 2e pôle économique du pays et de la Flandre. En 2012, il assurait 18 000 emplois directs et 20 000 autres indirects, selon les chiffres de la BNB. Et 14 700 des emplois directs sont occupés par des Flamands. Jobs, jobs, jobs ! La direction de l’aéroport tient d’ailleurs le même discours, axé d’abord sur le développement de ses activités (nombre de vols, parkings, hôtels…) et de l’emploi, quelles qu’en soient les conséquences.

Autre exemple de l’impact économique de l’aéroport : les finances de la commune de Zaventem. Quelque 20 % de ses recettes proviennent directement de l’activité de la plate-forme aéroportuaire, via le précompte immobilier de l’aéroport, les taxes sur le parking ou les taxes de séjour dans les hôtels, entre autres. On imagine combien l’hypothèse, maintes fois évoquée, d’un déménagement des installations doit faire frémir dans les chaumières de Zaventem !

Revoir les normes de bruit

Et le gouvernement bruxellois ? Il y a quelques jours, devant le parlement de la capitale, la ministre de l’Environnement, Céline Fremault (CDH), a fait état, chiffres à l’appui, des nombreuses infractions aux normes de bruit constatées à Bruxelles, majoritairement dans la tranche 6 h – 7 h. Elle a évoqué la possibilité de revoir ces normes sonores à la baisse. Le texte légal qui les consacre depuis 1999 prévoyait d’ailleurs leur révision après 5 ans, ce qui n’a jamais été fait. « Des études sont en cours pour voir comment modifier ces normes sans mettre le cadre juridique actuel en péril, détaille Adel Lassouli, directeur de la communication au cabinet Fremault. Une autre étude se penche sur les seuils de bruit qui pourraient être retenus pour objectiver la gêne, en fonction de ce qui se passe dans d’autres pays. »

La ministre envisage par ailleurs de supprimer les marges de tolérance de 9 décibels (de jour) et de 6 décibels (de nuit) qui étaient appliquées jusqu’ici sur le volume sonore enregistré, d’augmenter les amendes en cas d’infraction et de les appliquer de la même manière sur tout le territoire bruxellois, et non plus en fonction de trois zones géographiques distinctes, plus ou moins proches de la source des nuisances. Les membres flamands et francophones du gouvernement bruxellois donnent, du coup, le sentiment d’être passés à la vitesse supérieure depuis quelques mois. Le parlement bruxellois suit. Et les amendes rentrent dans les caisses à un rythme bien plus soutenu que par le passé.

Les associations de riverains s’en réjouissent. Par définition opposées, puisqu’elles défendent des zones géographiques différentes, elles se sont pourtant alliées, en juin dernier, pour fonder le collectif des 12, autour de quatre revendications communes. Dont l’allongement de la nuit qui pourrait s’étendre de 22 h à 7 h plutôt que de 23 h à 6 h. La présentation, la semaine dernière, d’un plan concocté par le seul mouvement Pas question a cependant fissuré cette union. La guerre des ego n’est pas loin…

Dans tout ce fatras, la position du MR est inconfortable. Après les FDF, ses élus bruxellois viennent de donner de la voix, reprenant les demandes déjà formulées par d’autres (allongement de la nuit, respect des normes de bruit, recul des pistes…). Le MR ne doit pas se tromper de combat : soit voler au secours des Bruxellois, dans l’espoir de rafler leurs votes à l’avenir. Soit préserver leurs liens avec les partenaires flamands au sein du gouvernement fédéral. Le dossier du survol incarne à lui seul la difficulté dans laquelle la structure fédérale belge plonge les acteurs politiques, à tous les niveaux de pouvoir. « On serait beaucoup plus loin si on ne se préoccupait que de l’intérêt général, en tentant de survoler le moins de gens possibles », résume un expert de l’aviation.

Les associations de riverains ne font en tout cas pas mystère de leur volonté de faire payer chèrement le MR s’il vote la vliegwet sans mesures structurelles pour soulager les Bruxellois. « Cet acte cynique et lâche sera sanctionné électoralement. Le MR ne prendra jamais Bruxelles. Nous y ferons barrage avec le PS, le CDH, Ecolo et les FDF », écrit Antoine Wilhelmi, chef de file de Pas question, dans un courriel. « Expurgé de son volet politique et communautaire, ce dossier n’est pas sans solutions », écrivait-on…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire