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Survol de Bruxelles : l’Etat s’est soumis à Belgocontrol

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

C’est écrit en toutes lettres, dans l’article 23 de la loi de 1991 sur les entreprises publiques autonomes :  » L’entreprise publique autonome est soumise au pouvoir de contrôle du ministre dont elle relève.  » A voir la façon dont Belgocontrol, en charge de la gestion du trafic et de la sécurité aériens, traite l’administration de  » son  » ministre de tutelle, ce serait presque drôle, si ce n’était à pleurer.

Dans cette expression, chaque mot compte. L’entreprise publique est-elle soumise ? En sabotant largement l’audit commandé par François Bellot (MR) sur l’utilisation des pistes de l’aéroport, au début du mois d’octobre, Belgocontrol fait tout, sauf se soumettre. Certes, elle le fait poliment, au travers de courriers pointus signés par son administrateur délégué, le très CD&V Johan Decuyper. Mais elle n’en décide pas moins de ce qu’elle consent ou non à transmettre comme informations aux auditeurs de la Direction générale du transport aérien (DGTA).

Contrôle ? Une partie des demandes formulées par la DGTA n’a pas été rencontrée. Les auditeurs souhaitaient rencontrer individuellement certains responsables de Belgocontrol et certains contrôleurs aériens ? Le gestionnaire du trafic aérien s’y est opposé, permettant tout au plus à quatre de ses membres, sélectionnés par lui, de rencontrer collectivement la DGTA. L’ensemble des fichiers réclamés par l’administration ne lui ont pas été transmis non plus. Belgocontrol assure le contraire mais la DGTA est cinglante à ce propos. Est-ce cela que l’on appelle un contrôle ? Depuis quand les écoliers rédigent-ils eux-mêmes leurs questions d’examens, à l’heure d’être évalués, se permettant au passage d’humilier les professeurs ?

Quant au pouvoir de leur ministre de tutelle, on en cherche en vain les contours. François Bellot a certes des circonstances atténuantes. Il n’est en poste que depuis avril, contraint de prendre le relais de Jacqueline Galant, démissionnaire et démissionnée. Et hériter des compétences liées à la mobilité n’est en rien un cadeau. On sait aussi que la matière aéronautique est tellement technique que bien peu la maîtrisent encore. Enfin, et c’est bien là le noeud du problème, le dossier du survol de Bruxelles se résume désormais à un perpétuel rapport de forces politique. Entre Flamands et francophones. Plus succinctement et crûment dit, entre CD&V et MR.

François Bellot avait promis d’user d’une autre méthode que sa prédécesseure pour faire avancer le dossier du survol, politiquement paralysé depuis des années, ligoté par plusieurs procédures en justice toujours en cours, menotté par des élections successives sur lesquelles jouent les associations de défense des riverains. Or depuis qu’il est en poste, rien n’a bougé. Ordre lui a été donné, dit-on, de ne justement rien faire : le dossier est explosif et aucun politique n’est candidat au suicide.

Le soutien inconditionnel au patron CD&V de Belgocontrol vaut aussi son pesant d’or. S’il venait à cesser, les nominations que le MR escompte, à plusieurs postes importants, ne seraient pas appuyées en gouvernement par le parti de Kris Peeters. On en est donc là, à monnayer des postes alors que nous sommes au coeur d’une question fondamentale de sécurité aérienne.

François Bellot est pat, comme l’on dit aux échecs. Tenterait-il malgré tout de déplacer son roi, il serait, dans tous les cas de figure, échec et mat.

La manière dont l’audit chez Belgocontrol s’est déroulée constitue un camouflet en soi, mais il vaut surtout pour le ministre MR. Dans un communiqué diffusé ce mercredi après-midi, Bellot assurait avoir mis les choses au point avec la DGTA et Belgocontrol et jurait que tout allait bien. Des multiples dérapages enregistrés dans cette affaire, de l’inadmissible arrogance du patron de Belgocontrol, des vérités cachées par le ministre au Parlement, pas un mot. Autre élément révélateur : alors qu’il affirmait en commission de l’infrastructure, mardi, qu’il n’était pas habilité à parler de l’audit en cours sur l’incident évité de justesse entre deux avions, le 5 octobre, objet d’une enquête indépendante, il affirmait le lendemain que Belgocontrol n’était pas en cause dans cette presque collision. Etonnant revirement, en 24 heures !

« Sur le fond du dossier, une seule conclusion s’impose : l’application du système préférentiel des pistes est à ce point politisé qu’il est devenu intouchable, relève un observateur. Plus grave : ce faisant, on augmente de jour en jour la probabilité d’un accident aérien majeur. » Lorsqu’il s’agira de réclamer des comptes, ce ne sera pas seulement à Belgocontrol, Etat dans l’Etat, qu’il faudra s’adresser. Mais à l’Etat tout court.

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