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Sur un air de  » bankster « 

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La charge de la N-VA sur l’ACW et ses relations avec le monde de la finance (Belfius) fait trembler le CD&V, jusqu’à avoir eu raison de son ministre, Steven Vanackere. Le parti de Bart De Wever remet en vogue le « tube » politique des années 1930 : la collusion politico-financière.

Le spectre des années 1930 : on en parle, on en parle. Même Albert II s’y est mis dans son dernier discours de Noël. Mal lui en a pris : sa mise en garde sur les dangers d’ un retour en arrière de sinistre mémoire lui a valu une volée de bois vert. La N-VA s’est sentie visée, le monde politique du nord du pays s’en est offusqué. Que le Roi se le tienne pour dit : sa référence aux années 1930 était hors de propos. Vraiment ?

Il se pourrait que sa Majesté ait eu le nez fin. Qu’il ait bel et bien humé ce méchant parfum d’entre-deux-guerres. La N-VA a entrouvert le flacon, en remettant au goût du jour un thème porteur qui a tenu la politique belge en haleine dans les années 1930 : la collusion politico-financière.

Le parti de Bart De Wever s’est jeté sur un morceau de choix : la saga ACW/Belfius et sa réaction en chaîne sur le terrain politique.

Temps un : une charge frontale d’une violence rare de la N-VA sur l’ACW, le Mouvement ouvrier chrétien flamand, épinglé pour ses déboires dans le monde de la finance et ses relations intrigantes avec la banque publique Belfius qui a repris l’héritage pourri de Dexia.

Temps deux : ce pilier de la puissance démocrate-chrétienne flamande vacille sur ses bases et fait trembler son pôle politique, le CD&V. Jusqu’à entraîner la démission de son chef de file gouvernemental, le vice-premier et ministre des Finances Steven Vanackere.

La N-VA n’a rien inventé. Et le monde catholique flamand a déjà connu ce genre de sensations.

1934 : le Boerenbond est au tapis. Sa banque, l’Algemeene Bankvereniging, fait la culbute. L’épargne paysanne, objet de placements financiers téméraires, est en péril. Panique à tous les étages : une organisation catholique aussi puissante ne peut décemment défaillir. Au nom de l’intérêt social des petits déposants, le gouvernement de l’époque vole au secours du Boerenbond moribond. L’Etat paie la note. Dans des circonstances qui font jaser.

Le monde socialiste n’en mène pas large non plus. La Banque belge du Travail, alimentée par des fonds déposés par les coopératives socialistes, a sombré en 1933. L’édifice socialiste chancelle, autant que le catholique : le POB, ancêtre du PS, est accusé d’avoir vendu son âme à l’hypercapitalisme et à la haute finance. Les pouvoirs publics y vont aussi de leur poche pour sauver les meubles. Nouveaux grincements de dents.

Le « scandalisme », nourri par d’autres débâcles politico-financières, fait fureur. Il ne quitte plus les séances parlementaires, la presse en fait ses choux gras. Il a ses thèmes favoris : les accointances entre les milieux gouvernementaux et le monde de la finance, les soupçons de favoritisme et de renvois d’ascenseurs dans l’intervention de l’Etat au profit de certaines institutions financières, les cumuls de mandats politiques et financiers. Il fait des victimes, en ruinant des carrières politiques : démission de ministres, mise à l’écart de mandataires.

Tout y est, dans les années 1930 comme aujourd’hui.

Même toile de fond : la grande dépression économique, la cascade de déconfitures industrielles et bancaires, un monde politique appelé à la rescousse dans des circonstances controversées.

Mêmes réflexes politiques : l’appel à une commission d’enquête parlementaire sur les collusions politico-financières, qui sera constituée en août 1936.

Même com’ : elle s’enrichit d’un vocabulaire-choc, simple, propre à frapper les esprits, facile à digérer par la presse.

Le « bankster » est né, c’est-à-dire l’homme politique compromis dans une affaire financière, et que l’on jette en pâture sans discernement à l’opinion publique.

Le rexiste Léon Degrelle, mais il n’est pas le seul, en fait la base d’un raz-de-marée électoral en 1936 (21 députés) qui ne sera qu’un feu de paille.

« Nous hurlerons quand il le faudra la vérité », martelait Degrelle. La N-VA n’en est pas à hurler sa prétention à réclamer l’assainissement des moeurs politico-financières au sein de l’establishment. Elle se veut sereine, déterminée dans sa volonté de laver plus blanc que blanc.

Degrelle, lui aussi, jurait vouloir rester digne, en s’associant à la campagne généralisée contre le « mur d’argent », cette emprise de la Finance sur l’exercice du pouvoir. « Nous n’allons injurier personne, n’exercer aucune pression, ne nous servir d’aucun sous-entendu. » On sait ce qu’il en advenu.

L’Histoire repasse les plats. Ils ne sont jamais mitonnés à l’identique. Mais toujours pimentés des mêmes ingrédients.

Visionnaire, Albert II et son allusion aux années 1930 à la Noël 2012 ? La N-VA va encore se sentir visée.

Sources : H. Schoeters, « Les collusions politico-financières en Belgique 1930-1940 et D. Wallef, « Les collusions politico-financières devant l’opinion (1930-1940) », Revue belge d’histoire contemporaine, 1976

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