Gérald Papy

Suisse : le chauvinisme du bien-être

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le rejet des accords de libre circulation remet en cause le partenariat avec l’Union européenne et pourrait affecter l’économie suisse.

Le rejet des accords de libre circulation entre la Suisse et l’Union européenne qu’une majorité de participants à la votation helvétique de dimanche a approuvés résonne comme un coup de semonce pour l’Union européenne, à quatre mois des élections du 25 mai.

Il serait commode de considérer que la Suisse est un îlot xénophobe au milieu d’un océan de tolérance. Dans tous les pays de l’Union européenne aussi, la crise économique et sociale a tendu les relations avec les travailleurs étrangers. La Suisse n’a pas échappé à cette évolution. En 2005 et en 2009, des propositions semblables de limitation de la libre circulation des ressortissants de l’UE n’avaient pas recueilli de majorité référendaire. Cette fois-ci, le texte a certes été adopté, mais avec 50,34 % des votes, soit un différentiel de quelque 19 500 voix. Loin d’être un plébiscite, ce scrutin révèle plusieurs fractures. Entre la Suisse alémanique, massivement pour les restrictions, et la Suisse romande, largement contre. Entre la Suisse rurale et la population des grandes villes. Entre la « Suisse d’en bas » (symbolisée par le parti de la droite populiste, l’Union du centre UDC) et la Suisse officielle (le gouvernement, le parlement, le milieu des entreprises étaient opposés à la proposition)…

Les périodes de crise occultent souvent ce que l’autre apporte à une société pour focaliser ce qu’il lui coûterait. Le soutien des chefs d’entreprises suisses à la libre circulation des travailleurs européens incline à penser que l’apport des étrangers à l’économie était plus grand que les désagréments qu’ils étaient censés provoquer. Certes la Suisse accueille proportionnellement un nombre plus important de ressortissants étrangers que nombre de pays de l’UE. Mais ceux-ci sont librement recrutés par des sociétés helvétiques et répondent à un certain nombre de besoins. Avec un taux de chômage de 3,5 %, difficile d’imaginer que l’impact soit si considérablement néfaste pour le marché de l’emploi.

En rejetant un des principes fondamentaux de l’Union européenne, la Confédération fait incontestablement montre de ce que le philosophe suisse et professeur à l’UCL, Mark Hunyadi, nomme le « chauvinisme du bien-être », un constat qu’il avait aussi dressé lors d’une interview au Vif/L’Express à propos de la démarche politique de…Bart De Wever et de la N-VA. « Ce chauvinisme du bien-être qui isole la Suisse au sein de l’Europe et du monde », diagnostiquait-il. La question demeure aujourd’hui de savoir si une Suisse aussi écartelée acceptera toutes les conséquences que fait désormais peser cette détérioration des relations avec l’Union européenne (une centaine d’accords bilatéraux dont une vingtaine touchant aux liens économiques) sur son économie et donc, sur… son bien-être.

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