Thierry Fiorilli

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l’outrage collectif

Thierry Fiorilli Journaliste

Ce devait être une joyeuse initiative locale. C’est devenu une invraisemblable polémique franco-belge. Début du mois, nous annoncions que Stéphane Pauwels, consultant sportif et animateur radio et télé, animerait à Trèbes, dans l’Aude, l’une des festivités du  » Week-end belge  » organisé là-bas les 20 et 21 juillet prochains. La publication de cette information a mené à l’annulation de l’événement, que soutenait notamment la Ville de Bruxelles. A un déchaînement d’insultes et de menaces, à vomir, contre l’auteure de l’article, Rosanne Mathot. Voici pourquoi on en est-on arrivé là. Et comment il est impératif d’en sortir.

Mardi 2 juillet

Autour de midi, Rosanne Mathot signale à la rédaction du Vif/L’Express qu’elle assiste à un déjeuner de presse, quelque part dans le sud de la France, auquel plusieurs journalistes français ont été conviés par les organisateurs du Week-end belge de Trèbes. Ce jour-là, c’est le menu des activités de ce week-end de fête nationale (les 20 et 21 juillet) qui est présenté aux médias. Notamment une course/ballade mi-cycliste mi oenologique (la Fons De Wolf, du nom de l’ancien coureur belge, vainqueur notamment du Tour de Lombardie 1980 et de Milan-San Remo 1981). Et un bal populaire au Moulin, tenu par Pascal Ledroit, Belge lui aussi et ancien chef en second de chez Bruneau, à Bruxelles.

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

L’initiative est soutenue par la Ville de Bruxelles, une lettre du bourgmestre, Philippe Close (PS), l’attestant et soulignant les liens entre les deux localités, touchées chacune par le terrorisme ces dernières années (en mars 2016 pour Bruxelles, en mars 2018 pour Trèbes, avec la prise d’otage meurtrière dans un supermarché – c’est là que le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame a pris la place d’une des otages et a été tué).

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

Comme, en plus, Trèbes organise une fête nationale belge pour la cinquième année consécutive, et que les Belges sont particulièrement en nombre dans le département de l’Aude, un petit article dans Le Vif peut-être ? Bof. On boucle le magazine ce jour-là, on n’est pas en avance, on n’a pas un espace dingue et, sincèrement, Rosanne, des fêtes organisées en France le 21 juillet, pour les Belges, il y en a plusieurs, depuis toujours. Pas de raison qu’on mentionne l’une plutôt que les autres. Donc, sorry mais non, en fait.

Sauf que, au même déjeuner de presse, ce 2 juillet, Rosanne Mathot, journaliste professionnelle, Belge installée en France, ayant travaillé des années pour Euronews et TMC notamment, remarque un flyer sur lequel est annoncée la présence de Stéphane Pauwels le 21 juillet au soir comme DJ du grand bal populaire.

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

Et ça, ça change tout. Parce que l’animateur et consultant sportif (en Belgique et en France) est inculpé depuis août 2018 par la justice belge pour association de malfaiteurs dans une histoire de homejackings en série dont l’un chez l’ancien compagnon de sa compagne d’alors.

La Ville de Bruxelles qui soutient un événement en France dans lequel apparaît une personnalité publique sous inculpation, ça, à mes yeux, oui, ça vaut un article. Mais on est toujours mardi, qui est toujours le jour de bouclage du magazine, on n’est toujours pas en avance sur les délais et on a toujours un espace restreint. Mieux vaut miser sur le site.

Et donc :

– Go, Rosanne.

– Ok, chef, mais quel angle ?

– Simple : cette année, à Trèbes, la fête nationale belge se célèbrera entre musique, terrorisme et inculpation.

– Combien de signes?

– Court. 2000 signes. On mettra peut-être sur le site.

Et Rosanne Mathot envoie son article courant d’après-midi. Avec pour titre : « En France, Stéphane Pauwels fera le DJ, le 21 juillet : une fête nationale entre terrorisme, inculpation, musique kitsch et moules-frites ». Il est plus long que 2000 signes mais peut difficilement faire moins. C’est trop pour le magazine. Il est donc mis en ligne ce 2 juillet à 18h11. Sans susciter grand intérêt. Jusqu’au lendemain, où, s’il ne pulvérise pas tous les plafonds, il tourne plutôt bien.

Mercredi 3 juillet

Le 3 juillet, à 22h22, la Ville de Bruxelles envoie ce courriel :

« Bonjour Monsieur Fiorilli,

Je suis assez étonnée des propos concernant le Bourgmestre Philippe Close repris dans votre article ; https://www.levif.be/actualite/belgique/en-france-stephane-pauwels-fera-le-dj-le-21-juillet-une-fete-nationale-entre-terrorisme-inculpation-musique-kitsch-et-moules-frites/article-normal-1161295.html

Si vous nous aviez contacté, je vous aurais répondu que:

1. Le bourgmestre ne connaît pas cet événement.

2. Qu’il n’a pas de résidence secondaire je ne sais oú… Mais que son beau-père vit près de Montpellier. Il va parfois le voir en famille.

Malheureusement, vous n’avez pas pris la peine de nous contacter et de recouper ces propos.

Je vous demande donc de bien vouloir corriger ces fausses informations de l’article déjà en ligne.

N’hésitez pas à nous contacter, nous sommes toujours disponibles pour répondre à vos questions.

Merci à vous,

Au plaisir de vous lire.

Wafaa Hammich, porte-parole du Bourgmestre de Bruxelles. »

Jeudi 4 juillet

A 19h40, après échange avec Rosanne, et ayant pris connaissance du mail en fin d’après-midi seulement, nous répondons à la Ville de Bruxelles en ces termes :

« Bonjour

Et pardon pour mon retard.

Bon, en ce qui concerne la fête à Trèbes, voici la lettre de M. Close (en PJ).

Et le trophée de la Ville de Bxl à la ville de Trèbes pour la remercier des 5 éditions de fête nationale belge là-bas (en PJ aussi).

Pour la résidence secondaire, nous pouvons rectifier. Mais prétendre encore que le bourgmestre ne connaît pas cet événement, ça va être difficile.

Bien à vous.

Thierry Fiorilli

Rédacteur en chef. »

Samedi 13 juillet

A 14h56, Stéphane Pauwels tweete ceci :

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

Rosanne me le fait suivre à 14h58, via Whatsapp. Notre échange porte sur le fait que c’est une info (« l’organisation est annulée »), qu’il faut vérifier ce qui est annulé, qu’il faut lire Trèbes et pas Tarbes, qu’on ne voit pas en quoi l’article du 2 juillet était « à charge » (et, rappelle Rosanne, qu’on n’a pas corrigé la phrase concernant la résidence secondaire de Philippe Close ; réponse : « On fera ça dans le papier suivant. »)

Stéphane Pauwels tape sur le clou. Nouveau tweet :

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

Puis des proches à lui, ou des gens qui le suivent, prennent le relais :

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

On ne peut pas tout reproduire ici : trop de tweets (pas loin de la centaine, étalée sur le samedi après-midi et tout le dimanche), beaucoup entretemps effacés (on a fait un maximum de captures d’écran) et certains révulsants. En substance, il est question, évidemment, de salope, de mal baisée, de vas te faire ceci, de viens me faire ça, de pute, de conne, connasse, nullissime, imbécile, médiocre, débile profonde, idiote frustrée du cul, pétasse, pleureuse, vierge effarouchée…

Stéphane Pauwels, Le Vif et le 21 juillet à Trèbes : comment la fête nationale a viré à l'outrage collectif
© DR

Journaliste de merde aussi. Mais, ça, l’article aurait été écrit par un homme, il y aurait eu droit aussi. Rosanne Mathot se fait donc matraquer. Par des gens qui majoritairement n’ont pas lu l’article, qui pensent que Le Vif/L’Express traite Stéphane Pauwels de terroriste, qui mélangent tout (« et la présomption d’innocence ? », « dérive des francs-maçons », « affaire Dutroux », le rédacteur en chef devenant le mari de la journaliste…). Pour un article où elle ne prend pas parti, dont elle n’est pas responsable du titre et qui expose des faits, incontestables.

Dimanche 14 juillet

Stephane Pauwels annonce, toujours sur Twitter, que Rosanne « aura droit dans mon livre à une spéciale dédicace… Du même niveau que la presse francophone journalière… Se faire mousser sur mon dos… Faire vendre… Du clic… La présomption elle s’en fout… D’un passage à une fête Nationale, elle en fait une polémique… La roue tournera. » L’animateur affirme que l’article publié sur levif.be a été utilisé par les opposants politiques au maire de Trèbes, Eric Menassi (Union de la gauche), et que celui-ci, paniqué, a décidé d’annuler le Week-end belge.

Le maire de Trèbes téléphone à Rosanne Mathot, pour lui faire part de sa consternation face au flot d’insultes dont elle fait l’objet. Il re-précise que ce n’est pas la mairie qui organise l’événement, que c’est Pascal Ledroit, le chef belge, avec l’appui de Jean-Charles Tolza, directeur de Sud à Bruxelles, « agence de communication et de relation publique événementielle avec comme but une Mission oenotouristique ». Et donc que la mairie ne peut l’avoir annulé. Eric Menassi affirme qu’ « il n’y a rien de vrai dans ce que dit Monsieur Pauwels sur Twitter », que « c’est une bêtise sans nom », que c’est « Monsieur Ledroit, dans l’établissement duquel devoir avoir lieu la fête qui a décidé d’annuler », que « la campagne » de Monsieur Pauwels est nauséabonde.

La dhnet.be publie un article sur l’annulation de la fête : https://www.dhnet.be/actu/belgique/stephane-pauwels-devait-jouer-les-dj-sur-un-bateau-a-trebes-lors-de-la-fete-nationale-belge-la-soiree-annulee-a-cause-d-une-polemique-5d2adfe6f20d5a58a82b7c75 .

Les soutiens à Rosanne Mathot affluent sur Twitter. Journalistes ou pas. Collègues ou confrères/consoeurs. De Belgique et de France.

Lundi 15 juillet

7 sur 7 publie un article sur la polémique : https://www.7sur7.be/people/stephane-pauwels-au-coeur-d-une-polemique-apres-une-soiree-annulee-ou-il-devait-etre-dj-a-trebes~abdac635/

Le Soir Mag embraie : https://soirmag.lesoir.be/236664/article/2019-07-15/stephane-pauwels-devait-animer-une-soiree-en-tant-que-dj-trebes-pour-la-fete

Flair suit, mais en insistant sur les attaques contre Rosanne Mathot : https://www.flair.be/fr/lifestyle/societe/jetee-en-pature-par-stephane-pauwels-une-journaliste-du-vif-recoit-menaces-et-insultes-sexistes/

Puis La Libre, dans le même sens : https://www.lalibre.be/belgique/societe/suite-a-un-article-sur-stephane-pauwels-la-liste-des-femmes-journalistes-harcelees-sur-internet-s-allonge-encore-5d2ca780d8ad5859359aeae7

En France, le site d’info occitan Dis-leur ! dégaine à son tour : https://dis-leur.fr/belges-une-tempete-a-bruxelles-fait-des-vagues-dans-laude/

Au Vif/L’Express, on termine de faire le tour de tous les acteurs de cette pièce. Jean-Charles Tolza, qui avait eu l’idée de solliciter Stéphane Pauwels pour faire le DJ, nous confie que notre article du 2 juillet a tout chamboulé. Quand Pascal Ledroit, dont l’établissement devait être le point de départ de « la Fons De Wolf » et le lieu du repas avant le bal populaire, en a eu connaissance, « il a décidé de se retirer de l’événement. Donc, tout tombait à l’eau pour nous. Ce qui est une catastrophe : on a dépensé beaucoup d’argent pour un week-end qui n’aura pas lieu. Et pour notre réputation, ce n’est pas top. On pensait que le feu d’artifice aurait lieu le 21 juillet, on se l’est pris avant. »

Pascal Ledroit ne veut pas s’exprimer. Il se borne à nous dire : « Je ne veux plus entendre parler de cette histoire. »

Stéphane Pauwels, lui, ne comprend pas pourquoi on s’acharne sur lui. « Moi, associé au terrorisme ! Le FN a balancé votre article partout pour allumer la mairie qui savait ma situation mais le papier a créé le souk. Ma compagne vient de la région, c’était l’occasion d’y aller pour lui faire plaisir. J’étais demandeur de rien, je n’avais rien à gagner à aller avec ma pile de CD sur un bateau pendant trois heures. Si je vais faire un tournoi de pétanque, vous allez faire un article en rappelant que je suis inculpé ? Ça fait un an que la presse me massacre, me juge avant même qu’il y ait procès. On ne peut pas me lâcher un peu ? Je dois me suicider pour avoir la paix ? Si je n’avais pas été sollicité pour faire DJ, vous n’auriez jamais parlé de ce Week-end belge. C’est dingue, cette affaire. Et au bout, tout est annulé. La course, la fête, le bal. Bravo Le Vif ! »

16 juillet

1h58. Dernière main à l’article. Dézoomer, un moment. Faire redéfiler tout le film de cette histoire. Et convenir de plusieurs choses :

1) S’il n’y avait pas eu Stéphane Pauwels dans l’événement, nous n’aurions pas publié. C’est vrai.

2) Sans l’article, l’événement n’aurait pas été annulé. Rosanne Mathot n’aurait pas été agressée. Stéphane Pauwels n’aurait pas perçu de l’acharnement à son encontre. C’est vrai.

3) Nous n’avons pas fait le rectificatif sur la (non) seconde résidence du bourgmestre de Bruxelles.

Je présente donc mes excuses, en tant que rédacteur en chef, à Rosanne Mathot, parce qu’elle a pris tous les coups. A Stéphane Pauwels, parce que nous lui avons nui, à cause du titre de l »article. A Philippe Close et à sa porte-parole, parce que notre erreur n’a pas été corrigée. A Jean-Charles Tolza et Pascal Ledroit, parce qu’ils ont perdu dans cette aventure de l’argent, du temps, de l’énergie et sans doute de la notoriété. Aux Belges et aux Français de Trèbes et des environs, parce qu’ils n’auront pas leur week-end festif. Aux cyclistes qui s’étaient inscrits à la ballade oenologique. A Eric Menassi, qui a d’autres chats à fouetter qu’une polémique a priori belgo-belge.

Mille excuses, sincères, à tous.

Mais, et c’est un point 4) dans ce qui doit être convenu : que tous ceux (et celles) qui ont insulté Rosanne Mathot s’excusent auprès d’elle sur Twitter. Publiquement. Et qu’ils ne s’adressent plus jamais comme ils l’ont fait à qui que ce soit. A fortiori à une femme, qu’elle soit journaliste ou non. Si Stéphane Pauwels encourageait en ce sens ses nombreux soutiens, ce serait louable.

C’est l’unique façon de sortir dignement d’un événement local qui devait être festif et qui est devenu outrage collectif sans frontière.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire