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Stéphane De Groodt dévoile ses oeuvres d’art préférées

Le Vif

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : Stéphane De Groodt.

 » Stéphane De Grotte ? De Groud ou De Grode ?  » Les Parisiens peinent toujours à prononcer son nom mais tous se pressent chaque soir pour le voir au théâtre Edouard VII. Le comédien belge y enflamme la scène au côté de sa complice, la très belle Bérénice Béjo. Tout ce que vous voulez, une comédie aux allures de boulevard qui, du rire aux larmes, révèle un talent riche de sentiments. Programmée initialement pour trois mois, la pièce jouera les prolongations jusqu’au printemps prochain, pour le plus grand bonheur d’un public qui désespère un peu aujourd’hui de réserver des places dans l’ancien théâtre de Sacha Guitry. Une belle reconnaissance pour l’ancien pilote de course, devenu en quelques années comédien, réalisateur, chroniqueur et auteur. Bref, une vraie vedette qui, désormais, illumine les soirées parisiennes.

René Magritte (1898-1967)
Variante de la tristesse, René Magritte, 1957.
Variante de la tristesse, René Magritte, 1957. © KERRY STOKES COLLECTION, PERTH

Après des débuts « impressionnistes » et une période « vache » (pour se moquer des fauves, de Paris et provoquer tout le monde), il se tourne résolument vers le surréalisme. En gros, pour lui, l’important n’est pas que ce soit beau mais que ça ait du sens. Un sens retrouvé par l’exploration des rêves, de l’inconscient, de l’irrationnel et le mystère. Spécialiste du genre, il joue tant du décalage entre l’objet et l’idée que du rapprochement d’objets dissemblables, qui, réunis, les font échapper à leur banalité.

Sur le marché de l’art. En février dernier, neuf Magritte étaient proposés chez Christie’s : les prix s’envolèrent allant jusqu’à atteindre en moyenne 5 millions de dollars pour les huiles sur toile et entre 1 et 3 millions de dollars pour les dessins. En quinze ans, Magritte a triplé sa cote.

Souvent en retard, Stéphane De Groodt arrive en courant, en ce début d’après-midi, au foyer du théâtre avant de vous emmener, à grandes enjambées, dans un dédale de petits couloirs, en direction de sa loge. Très mince dans son jeans et sa chemise bleue, barbe de trois jours et regard doux, il déplace une pile de vêtements et dégage un fauteuil avant de s’installer dans un petit canapé pourpre. Face à lui, des miroirs à ampoules et un mur épinglé de photos et de dessins dont les  » Bonne chance papa  » et les  » On t’aime  » sont recouverts de fleurs et de petits coeurs. Très solaire quand il sourit, Stéphane De Groodt commande un café au bar du théâtre et s’excuse de ne pas avoir autant de temps qu’il voudrait. Antoine de Caunes l’attend en effet dans deux heures à l’autre bout de Paris pour parler de son dernier livre (best of de ses Voyages en absurdie, dont les précédents opus ont dépassé les 500 000 exemplaires, quand même). Mais c’est le regard baissé, la mine humble et rayonnant de bonheur que le comédien confie :  » Tous les jours, je me pince pour me rappeler quelle chance extraordinaire j’ai. Jouer cette pièce, gagner ma vie avec un métier difficile, un premier rôle dans ce théâtre que j’admirais tellement que je n’imaginais pas un seul instant que son directeur (Bernard Murat) puisse me choisir, c’est Noël tous les jours. Sans compter que le « succès et la reconnaissance » sont arrivés tard pour moi. Alors, rien que le fait qu’il m’ait proposé le rôle, c’était déjà le bonheur absolu.  »

La poule ou l’oeuf

Lucian Freud (1922-2011)

Fuyant les nazis, ce petit-fils de Freud émigre à Londres dès les années 1930. A contre-courant des modes de son temps (nettement plus portées vers le surréalisme, le modernisme ou l’abstraction), il se distingue toute sa vie par ses grandes oeuvres figuratives. Peintre du réalisme cruel, il travaille « la chair humaine », n’hésitant pas à la représenter dans toute sa séduction et sa fragilité.

Sur le marché de l’art. Peintre allemand le plus cher (après Richter), il vient de rejoindre Warhol, Lichtenstein, Twombly… au club très select des artistes ayant dépassé, pour une vente, les 50 millions de dollars : avec Benefits Supervisor Sleeping (2015), dont une précédente version s’était déjà vendue à plus de 19 millions d’euros en 2008. Un repère : 100 euros investis en Freud en 2000 en valent désormais 525.

Son premier choix, Variante de la tristesse, une oeuvre de René Magritte moins connue que ses ciels ou ses pipes et qui n’est pas sans rappeler l’originalité de l’univers du comédien.  » A force de réfléchir à mes oeuvres d’art préférées, je me suis pris au jeu… J’ai eu envie d’en choisir des plus révélatrices qu’esthétiques car, au-delà de la beauté, l’univers qui se cache derrière ces tableaux me touche encore plus. Ce que j’aime dans celui-ci, c’est que, contrairement à d’autres tableaux de Magritte, on l’a peu vu. Mais surtout, c’est la réflexion de la poule ou l’oeuf qui m’intéresse. Des deux, qui est arrivé le premier ? C’est un peu toute ma réflexion personnelle sur ma vie et ma carrière. J’ai fait tellement de choses que je m’interroge parfois sur qui je suis. Parce que, contrairement à certaines personnes qui se « trouvent » tout de suite, moi je me suis perdu très vite. La vie est alors un chemin vers la découverte de soi, une redécouverte de la personne que j’étais originellement. Une quête faite de confrontations au réel, puisque c’est en faisant des choses qu’on devient « quelque chose », et, finalement, ce n’est qu’à la fin du parcours qu’on a une vague idée de qui noussommes vraiment. Je dois bien admettre qu’il fallait quand même avoir un sérieux problème d’identité pour passer de l’automobilisme à la comédie, aux chroniques ou au cinéma.  »

Gustave Courbet (1819-1877)
L'Origine du monde, Gustave Courbet.
L’Origine du monde, Gustave Courbet.© MUSÉE D’ORSAY, PARIS – BRIDGEMANIMAGES

Père du mouvement réaliste et homme de son temps (révolution de 1848, Commune en 1871), il s’attache à traduire la réalité sociale et la nature dans sa nudité la plus totale.

Commandée à l’origine par un diplomate turco-égyptien, L’Origine du monde – qui sera également la propriété du psychanalyste Jacques Lacan – reste le tableau le plus sulfureux de tous les temps. Interdit de reproduction sur les réseaux sociaux, il provoque toujours performances d’artistes ou happenings au musée d’Orsay, à Paris, où il est exposé.

Sur le marché de l’art. Comme toujours, « les femmes » et « les nus » se vendent bien. Et si la belle est nue, on atteint 13 millions d’euros facilement. Pour les  » nature », de moins de 100 000 à plus de 2 700 000 euros, comme Les Falaises d’Etretat ; 100 euros investis dans l’artiste il y a quinze ans en valent désormais près de 150. Et il ne cesse de grimper.

Cancre à l’école, passionné de courses, c’est en préparant des pâtes fraîches la nuit, pour les revendre aux restaurants bruxellois le matin, que Stéphane De Groodt finance sa formation de pilote. En parallèle, il intègre la Ligue d’impro amateurs. Malgré quinze années de courses automobiles, et quelques belles victoires, il a du mal à trouver sa place entre les circuits et les planches. Dans un cas comme dans l’autre, il apparaît pour ses pairs comme le dilettante. Entre ses apparitions au théâtre, au cinéma ou à la télé, ce sont pourtant ses célèbres chroniques radio (RTL, France Inter…) et télé (Canal +) qui le feront véritablement décoller.  » Ma chance a été de n’avoir pas été bien dans ma peau quand j’étais plus jeune. Mal dans mon corps (obèse), mal à l’école (pas de diplôme)… j’étais mal avec pas mal de choses. Alors, je me suis dit que je ne pouvais pas rester « mal » tout le temps et qu’il y avait peut-être « un ailleurs » où je serais mieux. Un peu comme si je sentais que j’avais des choses à dire ou à faire, mais que je n’avais pas le bon ensoleillement ni la bonne terre pour éclore… Je me suis demandé ensuite où était cet ailleurs… et je me suis mis à le chercher. Mais c’est le discours de Jacques Brel qui m’a véritablement transformé, ses chansons bien sûr mais aussi sa manière de vivre, sa liberté absolue. Il n’avait pas peur de vivre, il tentait les choses, il « y allait toujours », même si c’était pour se prendre un mur. Entendre ce discours-là m’a véritablement sauvé. Pour moi, la clé c’est de ne pas prendre les choses comme elles viennent, mais d’aller vers elles. Il faut toujours se demander si on est à la bonne place, si on est heureux, si on grandit… Et avoir la force de tout quitter pour trouver ce rayon de lumière, de chaleur et d’énergie qui va nous permettre de nous développer. Aujourd’hui, cette vie bien remplie est la réponse à toutes les questions que je me posais. Le fait de jouer au théâtre le soir ou de donner une interview l’après-midi sur mon livre, ce sont à chaque fois les réponses que je me posais quant à mes capacités de comédien ou d’auteur. « 

La faim de tout

C’est sans doute pour le regard que Brel posait sur la vie et sur bien des choses que le comédien à la sensibilité aussi fine  » qu’un papier de cigarette  » a élu Benefits Supervisor Sleeping de Lucian Freud comme deuxième préférence.  » Ce tableau ressemble aux paroles des chansons de Brel, un excès qui vous fait comprendre tout de suite ce qu’il cherche à exprimer, une vérité vraie. Sans compter que, pour moi, qui suis un boulimique chronique, ce tableau fait écho à la faim que j’ai de tout, tout le temps.. Je déteste choisir parce que le choix me frustre terriblement. C’est comme au restaurant, je suis incapable de choisir un plat parce que je regrette directement de ne pas avoir pris un autre. J’ai tellement envie de tout bouffer, de tout acheter, de tout vivre… c’est sans doute pour ça que j’ai fait autant de choses. Aujourd’hui, j’essaie de me contenir un peu plus, ne plus me disperser et de creuser mon registre de comédien. J’ai mis tellement de temps à me découvrir que je ne veux plus me perdre « , glisse-t-il en croisant les bras.

Rien sans elles

Son dernier choix, L’Origine du monde, de Gustave Courbet. Mais, plutôt que du sempiternel débat de la liberté d’expression souvent associée à ce tableau, c’est du décalage et de femmes dont Stéphane De Groodt a envie de parler.  » J’ai choisi ce tableau en l’hommage à la femme, celle qui pour moi est à la base de tout. C’était la préface de mon livre et, si vous voulez bien, je vais la lire car j’y suis vraiment très attaché.  » Il décroise alors ses longues jambes, se lance à la recherche du recueil, farfouille et revient pour en donner lecture :  » « A ma mère qui a fait de moi un fils, à ma femme qui a fait de moi un mari et à mes filles qui ont fait de moi un père, à toutes ces femmes qui ont fait de moi un homme. » Tout est dit « , conclut-il le regard embué.  » Mon agent est une femme aussi, c’est ma complice. Je n’ai pas peur des femmes et j’aime les mettre à un endroit que la plupart des hommes leur refusent. Souvent, si les hommes sont machos, c’est par protection, parce qu’ils ont peur… Moi, j’assume ma part de sensibilité féminine et je me plais à reconnaître que ce sont elles qui me portent.  »

Sur les qualités esthétiques de l’oeuvre, Stéphane De Groodt apprécie son côté  » complètement décalé « , comme lui :  » Ce décalage, ça me touche. J’étais très très mauvais à l’école et mon échec véritable est de n’avoir pas eu l’ambition de réussir mes études. J’en ai beaucoup souffert et ce revers, cuisant, me rendait encore plus différent des autres. Avoir le sentiment d’être différent quand on est enfant, c’est très difficile, difficile à comprendre, difficile à vivre. Heureusement, même si ma mère était totalement désespérée de me voir sans diplôme, elle et mon beau-père m’ont beaucoup encouragé. Ils avaient compris que même si je ne rentrais pas dans le moule ou dans des rails, j’avais d’autres aptitudes qui, un jour peut-être, rattraperaient le diplôme que je n’avais jamais eu. Avant-hier, ma mère est venue voir le spectacle pour la première fois, j’étais terriblement ému, révèle-t-il, les larmes aux yeux. Comme le soir de la générale, quand vous réalisez après le spectacle que toute la profession était présente pour découvrir la pièce et votre travail. Moi, je veux donner raison aux gens d’avoir consacré deux heures de leur temps à venir voir la pièce. C’est con à dire mais si je fais ce métier, c’est parce que j’aime les gens et, ce qui est fou, c’est qu’ils ont l’air de m’aimer aussi. Pas pour un rôle mais pour mon univers décalé. Ma façon de regarder le monde, de biais. C’est sans doute ça ma belgitude, ma manière d’être en retrait et de ne pas vouloir être le centre de l’attention.  »

L’art qu’il placerait au-dessus de tout ? Stéphane De Groodt – qui compose ses chroniques et jeux de mots à l’oreille – n’hésite pas un instant. La musique.  » Avec elle, c’est comme avec Brel, on en ressort pas pareil ; personne ne peut me faire pleurer comme lui. Même quand il est dans une démarche amusante, il n’a aucune distance et reste cruellement juste.  »

De Grotte, De Groud, De Grode ? Stéphane le Grand.

Par Marina Laurent.

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