© Capture d'écran Facebook

« Spotted » : ces pages dédiées aux mots doux engendrent aussi des maux durs

Le Vif

Lancées à la base pour aider les jeunes à déclarer leur flamme anonymement sur Facebook, les pages « Spotted » accueillent parfois des messages de haine. Certains directeurs d’établissement n’hésitent d’ailleurs pas à les supprimer.

« À la belle métisse croisée dans le bus 71 »; « À toi BG de 3C tu es vraiment craquant avec ta doudoune bleu , tes yeux verts sont juste magnifiques » ; « Au blond ténébreux au 8e étage vêtu en rouge au classeur  »colours of wildlife » (avec un tigre en 1ère page) sache que tu éveilles la tigresse en moi… »

Les pages « Spotted » (qui signifie « repéré » en anglais) sur le réseau social Facebook partaient d’un bon sentiment. Les jeunes (et moins jeunes) épris d’un garçon ou d’une fille croisé(e) au détour de la cour, dans un bus ou sur les bancs de l’université pouvaient envoyer anonymement une déclaration au modérateur de la page qui la partageait à tous les membres. La personne « spottée » pouvait dès lors se manifester et une idylle éventuellement débuter.

Malheureusement si la plupart des messages semblent sincères et en général plutôt drôles, des abus apparaissent aussi sur plusieurs pages. Dénigrement du physique, harcèlement, lynchage, ragot, homophobie, « Spotted » devient parfois une tribune permettant à certains élèves de régler leurs comptes avec le personnel de l’établissement et bien évidemment d’ autres camarades. « On a peu de problèmes avec la page en général même s’il y a pas mal de bêtises on essaye de faire un peu le tri », explique l’un des administrateurs de la page « Spotted : Campus ULB » suivie par plus de 8100 étudiants. « Une fille a menacé de porter plainte et un garçon s’est dit victime de harcèlement. Dans ce cas, on retire le message de la page et on met en relation les deux protagonistes afin qu’ils s’expliquent. On demande aux membres d’utiliser un vocabulaire correct, pas dénigrant. On ne sait pas très bien quel est notre rôle, mais on n’a pas envie d’avoir des problèmes. « Spotted » est, en tout cas, selon moi, plus adapté à une université qu’au secondaire ».

Les athénées et les collèges sont particulièrement touchés par ces dérives. Un simple tour sur les pages d’établissements belges francophones suffit d’ailleurs pour s’en rendre compte.

Une co-gestion avec la communauté éducative ?

Lise*, 18 ans, en a fait l’expérience. En créant la page « Spotted » du Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud, l’élève de rhétorique n’avait pas mesuré l’ampleur de la tâche que lui incombait sa gestion. À raison de 50 messages par jour, parfois, la modération apparaît très compliquée. « Il y a souvent des bêtises. J’ai refusé plusieurs messages pas sympas et on a dû rappeler que l’on n’était pas responsable du contenu. J’ai reçu aussi quelques messages menaçants qui disaient : « Pourquoi tout le monde sait que je suis amoureux de lui ? ». À un moment on n’a plus forcément trop le temps de s’occuper de la page et de bien filtrer les messages. »

Pour éviter les abus, plusieurs directeurs d’écoles en France et en Belgique ont donc décidé de fermer la page liée à leur établissement. C’est le cas par exemple de Jean-Marie Verniers, préfet de l’Athénée Royal de Huy qui a demandé à l’administrateur de la clore en janvier dernier après les plaintes d’un élève de l’établissement « moqué de façon très méchante » selon ses mots. « Facebook et Twitter sont des réseaux anti-sociaux selon moi. Ce qui me dérange c’est l’anonymat qui détourne la page de son objectif initial. N’importe qui peut dire n’importe quoi. »

Outre l’épineuse question de la liberté d’expression, l’efficacité de la fermeture pure et simple pose débat dans la mesure où elle laisse la possibilité aux élèves de créer des pages fermées au public et donc aux adultes. « Peut-être faudrait-il qu’un membre de la communauté éducative co-gère la page avec un des élèves ? », s’interroge ainsi Olivier Bogaert commissaire à la Computer Crime Unit de la police fédérale.

Depuis quelques semaines, l’institution assure des réunions dans les écoles afin d’informer les éducateurs, les parents et bien sûr les élèves concernant ce nouveau phénomène. Le but étant bien évidemment de rappeler à ces derniers l’importance de tourner sept fois leurs doigts au-dessus de leur clavier avant de poster un message de harcèlement. Un fait puni dans la vie réelle comme sur la toile d’une peine de quinze jours à deux ans d’emprisonnement selon l’article 442bis du Code pénal.

Prénom d’emprunt*

Jacques Besnard

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