Soutien scolaire : ce sont les parents qui paient

A la veille des congés de Pâques, les agences de soutien scolaire voient élèves et étudiants affluer. L’Education tente de riposter. Faiblement.

C’est désormais un filon marketing : lancer un buzz en montant un canular qui, à coup sûr, soulèvera l’indignation générale. Puis se démasquer et révéler son véritable business plan. Prenez xkiouze.com : ce site vend des excuses « en béton » (certificats médicaux, de vol, de décès…) pour sécher les cours ! Que tout le monde se rassure, xkiouze. com est un faux site mais une vraie pub, c’est-à-dire une promotion pour learnisys.com, nouveau service de suivi éducatif en ligne, orchestrée la semaine dernière par Iknost, une société belge déjà engouffrée sur le marché du coaching scolaire.

Comme Iknost, les agences de soutien scolaire diversifient leurs gammes. Ainsi Cogito, leader du secteur chez nous avec 1,250 million d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier, vient aussi de lancer un nouveau produit, « les ateliers de pédagogie » qui ciblent les 9-12 ans à 49 euros la séance. A lui seul, le segment est estimé à quelque 300 millions d’euros annuels – et davantage, puisque les « petits cours » dispensés au noir par des profs (et des étudiants) restent le système le plus répandu. « Les bureaux privés ne captent que de 15 à 20 % des parts de marché
« , confirme Drieu Godefridi, patron de Cogito.

Pour autant, l’aide payante, sous toutes ses formes, est de plus en plus demandée ; elle connaît une expansion constante ces cinq dernières années. Nourrie par l’angoisse des parents devant le poids croissant de la nécessaire réussite scolaire : les statistiques disent qu’au moins 1 parent sur 5 cherche un prof particulier pour sa progéniture. Résultats : 3 000 familles et 1 500 coachs en 2009 pour Educadomo, 600 étudiants cet été en « blocus intensif assisté » et 150 « formateurs » pour Cogito…

A quel prix ?
Dans l’offre actuellement disponible, le cours se monnaie de 25 à 60 euros l’heure. Mais la plupart des entreprises obligent leurs clients à acheter des forfaits. Chez Educadomo, le pack minimum s’élève à 260 euros (10 sessions à 26 euros), auxquels il faut ajouter 75 euros par an de frais d’inscription. Soit 335 euros, sans compter les frais de déplacement du « coach ». Chez Cogito, l’heure de coaching se paie 42 euros, avec un minimum de huit heures. Enfin chez Learnisys, pour un élève de 3e secondaire, le module de 6 séances coûte 229 euros, sans frais d’inscription. Mais il faut s’accrocher pour obtenir une information tout à fait claire à ce sujet. Un luxe inabordable pour beaucoup.

Presque toutes les officines privées misent sur les « ateliers de méthodologie », pour « apprendre à apprendre ». C’est à la mode et ça coûte cher. « Deux ou trois heures de cours particuliers, ça ne sert à rien », justifie-t-on chez Cogito comme chez Educadomo. Durant un trimestre ou toute l’année, des élèves réunis en petits groupes apprennent à perfectionner leur méthode de travail et à améliorer leurs capacités de mémorisation. Ces modules sont parfois proposés lors des stages intensifs pendant les vacances. Et chacune vante son « profil d’apprentissage » et son « bilan d’évaluation des compétences ».

Le « retour sur investissement » est-il à la hauteur de l’enjeu ? Faute d’études, l’efficacité est difficile à mesurer. Tous les bureaux privés promettent en tout cas des résultats visibles, sont fièrs du taux de satisfaction de leurs clients, et garantissent des enseignants qualifiés et un suivi pédagogique personnalisé. « Si les familles n’étaient pas contentes de nos prestations, déclare Meir Malinsky, directeur général d’Educadomo, nous aurions mis la clé sous la porte depuis longtemps. » Nul doute que le simple fait de placer un adulte à côté d’un élève et de le mettre au travail est en soi déterminant. Sans garantie de réussite, ce soutien personnalisé permet de le faire progresser.

Secteur très morcelé
En réalité, ces entreprises ne peuvent pas, en Belgique, capitaliser sur la déductibilité fiscale comme en France. Le secteur – qui compte des structures de très petite taille – reste donc extrêmement morcelé et n’est pas réglementé. Ce qui implique aussi une absence de contrôle de qualité. Educadomo – son c£ur de cible, ce sont les 14-17 ans – « trie sur le volet » des étudiants à bac + 2 et « formés pédagogiquement » (« durant une demi- journée »). Cogito – qui vise surtout les étudiants du supérieur – « n’emploie que des formateurs tous à bac + 5, également formés par l’agence à la méthodologie. Les « coachs » travaillent à titre d’indépendant complémentaire, et ne touchent que 13 euros l’heure chez Educadomo, jusqu’à 25 euros brut l’heure chez Cogito. Le recrutement est quasi permanent. Fatalement, à ce tarif-là, on recrute surtout des étudiants, peu de profs en exercice en tout cas. « Mais enseigner, c’est un métier ! » regrette Marc Gérard, professeur de maths en secondaire.


Face aux officines privées, l’Education tente de riposter, mais sans pouvoir vraiment rivaliser. « Trop souvent, l’école se décharge quand un élève est en situation d’échec. Elle dit aux parents : « Réglez le problème. » »

« Les parents s’adressent alors à des extérieurs qui ne sont pas formés à la remédiation », pointe Hakim Hédia, porte-parole de l’enseignement officiel (Fapeo). Pour y remédier, il faudrait développer l’aide scolaire à l’intérieur des établissements. Il existe ici et là des initiatives dans certaines écoles ; elles proposent des cours de rattrapage sur le temps de midi et surtout des devoirs surveillés (cette offre fournit un cadre de travail… sans soutien pédagogique). Bref, le soutien scolaire gratuit à l’école tarde à se généraliser, alors qu’à 17 ans un jeune sur quatre, en moyenne, a déjà échoué deux fois. Pis : l’aide payante n’est plus réservée aux cancres, elle est entrée dans « l’ordinaire de la scolarité
 » de nombreux élèves. Chez Cogito, un client sur deux n’est pas en échec : il vise l’excellence ou la sécurité, ou cherche un climat de travail. Et les inégalités de continuer à se creuser… ?

SORAYA GHALI

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