Louis Tobback © Hatim Kaghat

Soudan: Louis Tobback souligne la responsabilité de toute la majorité

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Louis Tobback (sp.a) entame sa toute dernière année comme bourgmestre de Louvain. Notre confrère de Knack s’est entretenu avec lui, notamment au sujet de l’accord sur l’asile controversé avec le Soudan. « Theo Francken peut être assuré que tout le gouvernement était derrière lui. »

Depuis deux semaines, Theo Francken fait l’objet de critiques pour le renvoi impitoyable de demandeurs d’asile soudanais.

Louis Tobback: J’ai un avis nuancé sur l’intervention de Francken. J’ai déjà dit dans le passé que la politique de Francken était le prolongement de ce que je faisais comme ministre des Affaires étrangères. Je trouvais aussi que l’État belge ne pouvait donner l’impression d’avoir perdu les pédales. […] Il y a beaucoup de choses que fait Francken que je ferais aussi. Mais il s’en délecte trop. C’est pour cette raison qu’il a provoqué un incident en disant avec volupté : « Je vais nettoyer le parc Maximilien. » Ce n’est pas bien. Renvoyer les demandeurs d’asile doit rester une corvée. […]

Le mois dernier, Francken a déclaré à Knack qu’il avait beaucoup de respect pour vous: « La réponse de Tobback à la mort de Semira Adamu (une réfugiée nigériane étouffée dans un coussin lors de son rapatriement en 1998, NLDR) fait de lui un grand monsieur. » Vous aviez démissionné parce que vous vous sentiez politiquement responsable de la mort de cette femme. Francken ne doit-il pas démissionner parce qu’il est politiquement responsable de la torture de demandeurs d’asile soudanais ?

Il y a quelques différences essentielles entre les deux dossiers. Bien que le Premier ministre Dehaene trouvait que je devais rester, je me sentais politiquement responsable d’erreurs graves commises par des gendarmes. À cause d’eux une jeune fille est morte.

Il en va tout à fait différemment pour les Soudanais. Quand on a appris que l’État belge coopérerait avec les fonctionnaires soudanais, il y a eu de vives protestations – et à juste titre. Mais même le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR) a déclaré à la télévision que la coopération avec les Soudanais était tout à fait normale, « parce que tous les pays européens le font ».

En octobre, Francken a reçu une note du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides le mettant en garde contre les risques courus par les Soudanais dans leur pays.

Pour évaluer ce danger, il n’est pas nécessaire d’avoir une note, non? Le président soudanais Omar el-Bechir est un criminel de guerre reconnu. L’homme est recherché par la Cour Pénale Internationale. C’est de cela que parlait le débat, quand Francken a sorti son plan sinistre. Mais il l’a fait avec le consentement explicite de la majorité.

Au fond, de quoi se plaint le Premier ministre ? Charles Michel (MR) aussi a souligné textuellement que le gouvernement soutenait la venue de « fonctionnaires soudanais » ? Il ne faut pas qu’ils viennent dire maintenant qu’ils ne savaient pas que ce que faisait Francken. Y compris les CD&V tels que Nahima Lanjri et Wouter Beke : leur indignation est très tardive. Si les choses tournent mal pour ces personnes renvoyées cela relève de la responsabilité collective de toute la majorité. […]

En gros, vous trouvez que Francken n’est pas politiquement responsable du sort des Soudanais, comme vous l’étiez dans le cas de Semira Adamu?

Francken est tout aussi responsable que le reste du gouvernement d’avoir fait venir les services secrets soudanais à Bruxelles, et de les avoir fait sélectionner les victimes. Le reste du gouvernement l’a soutenu. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’étaient pas au courant.

Francken peut être assuré que tout le gouvernement était derrière lui dans son choix scandaleux de refouler des Soudanais sélectionnés par les représentants de ce régime.

Mais vous trouvez que c’est une pratique scandaleuse, cette coopération belge avec les Soudanais?

Cet accord avec les Soudanais dépasse l’entendement, non ? Ce qui serait vraiment étonnant, c’est qu’on ne torture personne à Khartoum. Et je me moque que les gouvernements français et allemand aient déjà un accord. À présent, le gouvernement belge souhaite étudier ce qui s’est exactement passé au Soudan. Mais nous n’avons même pas d’ambassade à Khartoum! Écrivez donc (rire cynique) que la Sûreté d’état a probablement envoyé un de ses meilleurs agents au Soudan pour constater sur place si on torture dans les prisons. Il sera plus difficile de savoir s’il y a eu des morts. Les morts ne viennent pas témoigner, et les Soudanais ne nous donneront pas l’adresse de l’endroit où ils font disparaître leurs prisonniers.

Il est évidemment totalement inapproprié de se référer aux années trente. Mais un homme de mon âge n’y peut rien s’il voit parfois des parallèles inexprimables. Est-ce qu’en 1935 on aurait également demandé aux dirigeants d’un certain régime de venir choisir parmi les réfugiés en Belgique ? Charles Michel a-t-il déjà étudié la situation sous cet angle?

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