Gérald Papy

Sortir du génocide

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Vingt ans après, des miliciens armés de machettes ensanglantées continuent de poursuivre les rescapés dans leurs cauchemars. Vingt ans après, des survivants s’écroulent encore sous des crises d’angoisse à l’évocation de la barbarie du « nazisme tropical ». Par sa nature – tuer l’autre non pour ce qu’il fait mais pour ce qu’il est -, et par sa monstruosité, le génocide est un crime dont le souvenir est un fardeau à vie.

Pour dépasser les proclamations aussi opportunistes qu’incantatoires du « plus jamais ça », l’étude du crime contre l’humanité, de ses origines et de ses causes est un devoir pour les générations futures. C’est à cet exercice salutaire que le président rwandais Paul Kagame a exhorté les puissances européennes concernées à l’occasion des commémorations du 20e anniversaire du génocide des Tutsis et des massacres de Hutus modérés au Rwanda (plus de 800 000 morts). Le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a eu l’humilité de reconnaître que la Belgique ne devait pas occulter le débat sur « les responsabilités de l’époque coloniale ». Il s’est inscrit dans la droite ligne de son collègue libéral Guy Verhofstadt qui, Premier ministre, avait présenté, en 2000, ses excuses pour les erreurs commises lors du génocide et demandé pardon au peuple rwandais. Sans verser dans la repentance de commodité, la Belgique se grandit, hier et aujourd’hui, en faisant oeuvre d’introspection sur la traque des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et sur l’abandon des Tutsis à la furie des extrémistes hutus. Grande puissance du passé, la France ne ressent pas la même nécessité de s’interroger sur ses actes ; ce qui en a fait la cible de choix du président rwandais.

Paul Kagame se trompe pourtant quand, dans l’interview à Jeune Afrique qui a déclenché la polémique, il prétend que « l’image qui prédomine à l’extérieur est celle d’un génocide tombé du ciel, sans causes ni conséquences, et dont les responsabilités sont multiples, confuses et diluées ». Même en France, la vision d’un Rwanda de 1994 déchiré par des luttes tribales a cessé d’avoir cours, hors les cercles révisionnistes.

Que le président rwandais entretienne ce cliché simpliste suscite une légitime inquiétude sur l’avenir du pays des Mille Collines. Au même titre que l’indispensable lutte contre l’antisémitisme est instrumentalisée par certains pour disqualifier toute critique du gouvernement israélien, la crainte existe que le combat contre ce que les autorités de Kigali appellent le « divisionnisme » – l’incitation à la confrontation entre Hutus et Tutsis – soit utilisé pour faire taire toute véritable opposition au pouvoir autoritaire. En vingt ans, Paul Kagame a redressé le Rwanda comme personne n’aurait pu l’imaginer. Il a oeuvré à la cohabitation pacifique entre les victimes et les bourreaux et a surmonté le spectre de la vengeance par l’exercice d’une justice imparfaite mais adaptée au défi des deux millions de génocidaires présumés à juger. Malgré ces acquis, le Rwanda n’est pas un pays apaisé parce que des Hutus, étrangers au génocide, ne s’estiment pas représentés politiquement par le pouvoir à dominante tutsie.

Il n’est nullement question ici d’arrogance européenne, occidentale ou droit-de-l’hommiste. C’est parce que le claquement des machettes continue aussi, vingt ans après, de nous obséder que nous nous permettons, Monsieur Kagame, de faire le voeu, pour les générations futures, d’un Rwanda démocratique respectueux de ses minorités.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire