Thierry Fiorilli

Sondages, ces baromètres de décrédibilités

Thierry Fiorilli Journaliste

Deux sondages réalisés pour le compte des quatre plus grands médias francophones belges actuels relaient tout … et son contraire.

Il n’y aura pas eu de transition. Les vacances sont finies depuis une semaine à peine et la frénésie politico-médiatique bat déjà son plein. Le gigantesque tohu-bohu qui fait danser, dans tous les sens du terme et depuis maintenant quatre ou cinq ans, la plupart des médias généralistes « instantanés » (quotidiens, radios, télé et leurs sites respectifs), a repris ses droits. Ses privilèges, surtout : c’est lui qui dicte « l’actualité », « l’information », « le débat du moment », « ce qui fait polémique » et, parfois, encore, si, si, « ce qui fait sens ». Et là, en même pas sept petits jours, hors poursuite de la saga familiale, mais légitimement publique Albert/Delphine et échauffement des esprits avec la mainmise sur L’Avenir de la toujours plus tentaculaire Tecteo, ce sont évidemment les premières péripéties politiques qui agitent la presse traditionnelle, vecteur et facteur officiellement toujours important de ce qui façonne l’opinion publique.

Or, ces péripéties consistent, essentiellement, en deux baromètres d’intentions de vote pour les élections fédérales et régionales (le scrutin européen est ravalé au rang d’anecdote, pour l’instant) de mai prochain. Deux sondages donc, réalisés pour le compte des quatre plus grands médias francophones belges actuels : RTL-TVI et la RTBF (télé et radio) et Le Soir et La Libre Belgique (presse écrite quotidienne). Deux clichés de la réalité électorale du moment, somme toute. Mais que disent ces deux clichés ? Que relaient ces quatre acteurs/miroirs majeurs de notre société ? Tout et son contraire. Entre marges d’erreur, moment où les questions ont été posées (à quinze jours d’intervalles) et méthodes utilisées, on a : la N-VA qui perd des plumes, la N-VA qui augmente son poids ; le Vlaams Belang qui gagne 3 %, le Vlaams belang qui perd 0,1% ; l’Open-VLD qui se redresse, l’Open-VLD qui se tasse encore ; le MR qui progresse en Wallonie, le MR qui baisse en Wallonie ; le PS premier à Bruxelles, les libéraux leaders dans la région capitale. Pareil pour le FDF (une fois 3e, une fois 5e, à Bruxelles) et le PTB (en hausse en Wallonie, en baisse en Wallonie)…

Et donc, les commentaires, éditos (jusqu’ici, sur levif.be), réactions. « Mauvaise passe pour la N-VA », « La N-VA reste incontournable », « les troupes de De Wever obtiennent leur plus faible score depuis trois ans », « les nationalistes reprennent du poil de la bête », etc., etc.

De quoi garantir, dans l’esprit du lecteur/auditeur/téléspectateur/internaute/électeur une grande crédibilité à l’égard des instituts de sondage et des médias. De quoi confirmer aussi ce que Nicolas Baygert, chercheur au LASCO (UCL) et professeur de sciences politiques et sociales à l’IHECS, écrivait dans Le Vif/L’Express en décembre dernier :

« En court-circuitant tout débat constructif dans l’espace public, les sondages alimentent la névrose institutionnelle (…). Le présage s’érige en vérité virtuelle. Exit les « futurs possibles ». Dans cette atmosphère entre tarologie et bulletin météo, politologues et journalistes s’érigent en « experts », seuls capables d’analyser les variations saisonnières des « baromètres » politiques. A l’aide de graphiques didactiques, les journalistes dissèquent intentions et transferts de vote, potentiel électoral et marges d’erreur relativisées – aucun soubresaut de l’opinion n’échappe désormais aux instituts. La démocratie, science dure, est entrée dans un paradigme déterministe.

Or le pouvoir des sondages n’est pas à sous-estimer et encore moins à dénigrer. Il constitue un puissant levier dans la fabrique de l’opinion : des pourcentages peuvent faire et défaire une destinée politique, voire une élection. Souvenons-nous, en 2009, une phrase d’Elio Di Rupo: « Le tsunami contre le PS ne semble pas se produire », permit d’imposer une clé de lecture concernant l’ensemble des résultats du scrutin régional. Les communicants y reconnaîtront un effet de « spin »: une torsion apportée aux faits pour les présenter sous un certain angle. Intox? A l’époque, cette « victoire » sur des estimations catastrophiques suffit au PS pour se profiler en vainqueur politique.

Aussi, les sondages d’intentions de vote, réalisés en permanence – même si peu attaquables techniquement – renvoient la vie politique en situation d' »élection permanente ». Les scrutins n’interviennent plus que pour valider où contredire les courbes de popularité d’ores et déjà connues. La démoscopie se substitue à la démocratie, les électeurs devenant spectateurs de leur propre comportement prédit. L’anthropologue Lionel Tiger constate à ce sujet que « l’opinion publique n’est finalement pas ce que les gens pensent, mais ce que les gens pensent que les gens pensent ». »

Et les médias, tous à l’unisson, en file indienne, comme à la distribution de soupe populaire, font tourner en boucle ces pensées ( ?) qui n’en sont pas, remuant donc beaucoup de vent. Ne servant plus souvent que de mégaphones aux uns, de laquais aux autres et de cibles pour tout le monde. Quel que soit le groupe auquel elles appartiennent.

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