Philippe Suinen © Belga

« Signons le Ceta, puis ajustons le tir »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

En s’opposant au traité transatlantique avec le Canada, la Région wallonne en bloque la conclusion imminente, au grand dam de la Commission européenne. Pour sortir de l’impasse, Philippe Suinen propose une solution.

L’ancien chef de cabinet d’Elio Di Rupo favorable aux traités transatlantiques ? Alors que l’actuel président du PS fustige le TTIP et le Ceta et que le premier wallon, Paul Magnette (PS), rechigne fièrement à accorder les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour parapher le Ceta, Philippe Suinen, lui, affirme que la Wallonie ne peut se permettre de refuser et donc de bloquer ce traité de libre-échange négocié entre l’Union et le Canada qui doit être signé fin octobre. S’il porte l’étiquette socialiste, il n’en a pas pour autant sa langue en poche. En juin dernier, dans La Libre, il critiquait la Wallonie gréviste…

L’exportation wallonne reste son cheval de bataille, même s’il a quitté, il y a deux ans, la tête de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex). Aujourd’hui, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Wallonie, il défend toujours les entreprises du sud du pays, a fortiori celles qui exportent. Pour sortir de l’impasse actuelle sur le Ceta, il propose un dénouement au gouvernement Magnette : signer maintenant, puis ajuster le tir d’ici à la ratification par les parlements. Une solution qui vient à point nommé ?

Pourquoi êtes-vous préoccupé par le refus wallon de signer le Ceta ?

Parce que la Wallonie risque de se condamner à un isolement économique. Face au refus de signer le Ceta, j’entends des réactions négatives des autorités québécoises, ainsi que des réactions courroucées d’autres membres de l’Union européenne. La Wallonie est pleinement dépendante de ses exportations, qui représentent la moitié du PIB régional et deux tiers du chiffre d’affaires de nos entreprises. On ne peut pas se tirer une balle dans le pied comme ça… La Wallonie qui fait la fine bouche sur la levée des obstacles internationaux à l’exportation, c’est mauvais pour nos entreprises.

En avez-vous déjà parlé avec Paul Magnette ou d’autres responsables wallons ?

Ecoutez, par rapport au Ceta, il y a des préoccupations de la société civile qui concernent nos valeurs de base, comme la diversité culturelle, le service public, le développement durable, le principe de précaution… Le texte du traité n’est pas si explicite sur tous ces points. Il reste de la marge. Qu’est-ce qui empêche le gouvernement de signer, puis d’engager, jusqu’à la ratification par les parlements nationaux, un processus permettant de négocier des textes interprétatifs ?

Mais le Ceta sera applicable provisoirement dès la signature par les gouvernements. Ce sera trop tard…

On peut très bien remettre cette application provisoire en question et prévoir, à la place, une période de réflexion, impliquant les gouvernements, les parlements, dont celui l’Union européenne, et la société civile. Plutôt que de tout rejeter, donnons-nous un peu de temps.

Vous n’avez pas répondu à la question : en avez-vous parlé à Paul Magnette ? Vous connaissez bien les socialistes.

J’ai exprimé notre position sur le site Internet de la Chambre de commerce wallonne, qui est représentative des entreprises de la Région. Les responsables politiques sont désormais au courant. Je suis prêt à en parler avec eux, quand ils veulent.

Comprenez-vous les préoccupations des parlementaires wallons de la majorité ?

On ne peut pas nier les préoccupations de la société civile, à travers le vote du parlement. La vraie question est : les valeurs fondamentales de notre société sont-elles remises en causes par le Ceta ? Personnellement, je n’en ai pas l’impression. Mais prenons le temps qu’il faut pour le vérifier de manière démocratique et pour compléter ou préciser certaines choses par une déclaration liminaire qui constituerait une interprétation du traité allant dans le sens de la défense de nos valeurs. Le résultat de ce processus serait intégré dans le mécanisme de ratification. Lequel ne pourrait être enclenché tant que le processus n’est pas terminé.

Parmi les préoccupations, il y a le tribunal arbitral que le Ceta prévoit d’instaurer, comme le TTIP. Un tribunal qui permettrait aux multinationales de faire condamner les Etats à leur verser de lourds dommages.

Un tribunal arbitral aura le mérite de faire gagner du temps. Les entreprises ont besoin de solutions rapides. Le tribunal prévu par le Ceta n’est pas le même que celui évoqué dans le TTIP. Il s’agit davantage d’une juridiction classique avec des juges permanents. Chaque partie désignera son arbitre. Il n’y a pas là de partialité organisée.

Mais les arbitres seront partiellement rétribués par les parties. On est encore loin d’un tribunal public…

C’est un système qui permet de gagner du temps. Et le temps c’est de l’argent pour les entreprises.

Le Ceta ne va-t-il pas surtout profiter aux multinationales ? Que va-t-il apporter aux PME wallonnes qui représentent 9 entreprises sur 10 ?

Il faut arrêter de voir les choses de manière aussi manichéenne. Il y a des tas de PME wallonnes créatives qui commencent à trouver des débouchés sur le continent américain. Les PME qui percent outre-Atlantique sont aussi efficaces qu’une multinationale, voire plus, car leur structure est plus légère. Et le Canada se situe dans le top 20 des exportations wallonnes (NDLR : en recul de 26 % néanmoins en 2015, et de 55 % en 2014).

Plusieurs études universitaires ont montré que ce genre de traité n’était pas synonyme de croissance. Qu’en pensez-vous ?

Il y aura des situations différentes. Car, dans certains grands pays, les entreprises en dessous d’une certaine taille se contentent du marché domestique pour prospérer. Ce n’est pas le cas de la Belgique, et encore de moins de la Wallonie dont le marché domestique est exigu.

Y a-t-il quelque chose qui vous déplaît dans le Ceta ?

Il y a des choses qui ne sont pas dites et qu’il est nécessaire de confirmer. On a parlé du manque de transparence. C’est vrai que, pour ce genre de traité, il faudrait avoir des moments de rencontre pour expliquer où en sont les négociations. Il y a un meilleur équilibre à trouver entre la publicité et l’efficacité des négociations. Le besoin d’information est légitime. D’où ma proposition de processus avant ratification. Répondons aux questions en donnant des garanties aux gens.

C’est ce que vous diriez à Paul Magnette ?

Oui, c’est cela. Je lui propose une solution. Nous ne pouvons pas donner l’impression de ne pas considérer les entreprises wallonnes qui exportent.

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