Nicolas De Decker

Siegfried Bracke, une certaine idée du temps

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

On ne sait plus qui disait que gouverner, c’est prévoir et il avait foutrement raison, qui qu’il fût. Parce que le temps politique s’accélère et qu’il faut décider toujours plus vite, le politique décide toujours plus mal. La dictature du court terme est au pouvoir, et elle règne sans partage.

Les visionnaires, les patients, les méticuleux et les besogneux s’effacent, avalés dans le vortex d’une actualité toujours plus rapide donc toujours plus bruyante donc toujours plus futile.

Les criards, les hyperactifs, les histrions et les girouettes les ont renversés. Ils sont les rois de ce monde qui tourne toujours plus vite sur lui-même, échappés nez dans le guidon loin devant un peloton qui, lui, essaie de trouver une ligne d’arrivée à poursuivre. Il faut toujours plus réagir et surréagir, et plus jamais anticiper ni même agir.

Il y en a assez, ce n’est plus tenable. Tout le monde en a assez. Il faut faire quelque chose.

Ca tombe bien.

Car enfin quelqu’un fait quelque chose. Quelqu’un ose.

Aujourd’hui, un homme, un seul, a eu le courage de se dresser contre la dictature de l’immédiateté. L’histoire retiendra son geste fondateur.

Ce premier homme, ce révolté camusien, cet Einstein de la relativité politique, a décidé de serrer le poing très fort, de remettre la main sur ce temps politique, de rendre de la solidité aux montres molles de Dali, auxquelles sa volonté de fer rendra une armature.

Et ce n’est pas n’importe lequel, ce Copernic de notre époque.

C’est Siegfried Bracke, l’homme qui a enfin, le premier, osé dire non, tenant droit dans la tempête, maintenant le cap sans que les puants vents contraires ne dévient un seul de ses cheveux d’acier de leur historique direction.

C’est le président de la Chambre des représentants. Le premier politique de l’ordre protocolaire du Royaume de Belgique.

On l’y a un peu poussé, aussi, il faut dire, Siegfried Bracke.

Parce que c’est dans cet aujourd’hui très urgent, pas dans le lointain demain, que Siegfried Bracke est embêté :

On lui reproche aujourd’hui d’être l’homme politique le mieux payé du pays et c’est incontestable.

On lui reproche aujourd’hui de cumuler ses indemnités d’homme politique le mieux payé du pays avec des activités privées, les dît-il bénévoles depuis peu, auxquelles ni son expertise ni son travail ne semblaient le rendre éligible, et c’est impossible à nier.

On lui reproche aujourd’hui d’avoir trop longtemps caché cumuler ses indemnités d’homme politique le mieux payé du pays activités privées, les dît-il bénévoles depuis peu, auxquelles ni son expertise ni son travail ne semblaient le rendre éligible, et c’est scientifiquement prouvé.

Alors, Siegfried Bracke accomplit un geste fort. Un geste d’une puissance surhumaine, qui le libère de cette insupportable contrainte du temps, un de ces gestes que l’histoire érige en tournant.

Au profit de sa camarade Elke Sleurs, il se démet de sa fonction à Gand. Il ne veut plus en être le prochain mayeur.

C’est-à-dire donc que Siegfried Bracke conserve à dater d’hier, 20 février 2017, son poste d’homme politique aujourd’hui le mieux payé du pays, président de la Chambre des représentants, et qu’il renonce à un mandat qui ne l’aurait doté demain que d’une rémunération décente ou à peu près, celle de bourgmestre de Gand, et auquel il n’était pas certain d’accéder en octobre 2018.

Aujourd’hui donc en attendant demain, Siegfried Bracke continuera à thésauriser autant que depuis hier, parce que, pour expier les erreurs commises hier dans sa fonction d’aujourd’hui, il démissionne aujourd’hui de la fonction qu’il allait, peut-être, exercer demain.

On pensait que Siegfried Bracke était un homme de télévision.

Il est bien plus fort que ça.

Il est, en fait, un personnage de cinéma qui voyagerait à travers les époques. Plus fort que Camus, plus puissant que Dali, plus costaud qu’Enstein, plus visionnaire que Copernic. Siegfried Bracke, c’est Marty Mc Fly avec une moustache plus drue.

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