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Siamu : Les confidences du patron (suspendu) des pompiers

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Thierry Mercken, le patron des pompiers bruxellois privé de ses pouvoirs, sera auditionné ce 16 janvier par le Parlement régional. Il se confie au Vif/L’Express sur la gestion défaillante du service d’incendie.

La « commission Siamu » du Parlement bruxellois, qui se penche sur les lacunes et irrégularités dans la comptabilité du Service d’incendie et d’aide médicale urgente de la capitale, auditionne, ce 16 janvier, les anciens et actuels directeurs administratifs et opérationnels de cet organisme d’intérêt public. Parmi eux, l’ex-directrice générale Chantal Jordan (PS), très contestée naguère parmi les hommes du feu – elle a démissionné en 2015 et a été recasée au cabinet du ministre-président Rudi Vervoort -, et son successeur faisant fonction, Thierry Mercken (PS), dont la délégation de compétences a été suspendue le 18 décembre dernier par la secrétaire d’Etat bruxelloise Cécile Jodogne (DéFI). Thierry Mercken a été privé de ses pouvoirs suite aux révélations d’un représentant des pompiers, Eric Labourdette (SLFP), sur des frais jugés abusifs octroyés par le directeur général à des agents administratifs. Avant de témoigner, ce mardi, devant les parlementaires, Thierry Mercken répond à nos questions.

Le Vif/L’Express : Dans son audit accablant sur la gestion du Siamu, la Cour des comptes révèle une impressionnante série d’irrégularités lors de la passation de marchés publics entre 2012 et 2015. Vous êtes-vous rendu compte de ces dérives lors de votre arrivée à la tête du service d’incendie, en 2015 ?

Thierry Mercken : Evidemment ! Mais ce n’était pas à moi de jouer les Sherlock Holmes, à mener une enquête interne sur ces marchés publics et le respect des procédures. Je posais des questions, mais on me répondait qu’il ne fallait pas perdre de temps. J’ai essayé de bloquer ce qui me semblait problématique, mais les officiers pompiers en charge des marchés publics venaient toujours me voir au dernier moment, en catastrophe, en me disant qu’il était urgent de signer les dossiers. Sinon, c’était tout un drame : certains m’accusaient, en tant que directeur du service administratif, de bloquer le fonctionnement du service opérationnel.

Vous laissez entendre qu’il n’y a pas eu de malversations au Siamu. Etes-vous sûr qu’il n’y a pas eu de prise d’intérêt personnel lors de la passation de marchés ?

Ça, je ne peux pas le dire. Je ne suis pas là pour ça. Je n’ai pas eu le temps de m’occuper de cela. J’ai été un manager de crise. Je ne pouvais mettre trente-six moyens en branle. C’est comme si on me disait qu’il y a le feu et que je dois trouver une solution. Je n’étais pas là pour mener des enquêtes sur les marchés publics passés par le service logistique. Je n’étais, je le rappelle, que directeur général faisant fonction. Je me suis retrouvé très seul aux commandes du Siamu, car il y manquait cinq mandataires : deux autres fonctionnaires de rang A5 ont démissionné et les trois A4 prévus par le cadre administratif n’ont jamais été nommés. De plus, je suis juriste de formation, donc pas vraiment préparé à traiter les questions financières.

La Cour des comptes a fait savoir que, faute de personnel disponible, elle ne pourrait entreprendre un audit sur la gestion du Siamu entre 2015 et 2017, période pendant laquelle vous avez dirigé le service d’incendie bruxellois. Soulagé ?

Les audits ne me dérangent pas. Ils permettent de voir où se situent les problèmes. Je n’ai rien à me reprocher. J’ai pu commettre des erreurs, mais je n’ai eu aucun intéressement personnel dans les contrats passés par le Siamu. Je me suis défoncé comme un malade pour cette maison ! Et voilà que, depuis le début du mois de décembre et la diffusion par le MR bruxellois du rapport de la Cour des comptes, les attaques se multiplient, et cela juste au moment où je postule pour la future fonction de coordinateur administratif du Siamu ! Pas un hasard !

Chantal Jordan, qui vous a précédé à la tête du Siamu, est plus directement visée par les accusations de la Cour des comptes, qui concernent l’époque de son mandat. Elle affirme qu’elle n’avait aucun droit de regard sur les dossiers d’achats. Elle n’aurait été qu’une simple « boîte aux lettres » entre les officiers pompiers et le cabinet des secrétaires d’Etat successifs ayant la tutelle sur le Siamu, qui signaient les marchés publics. C’est aussi votre défense ?

De fait. En 2015, quand je suis devenu directeur général, la Cour des comptes était en train de mener son enquête sur la gestion du Siamu. Je sais qu’il y a eu des obstructions en interne lorsque les auditeurs de la Cour se sont présentés chez nous. Des dossiers n’ont pas été transmis par les agents concernés. Depuis que nous avons pris connaissance du rapport de la Cour des comptes, il y a quelques mois, nous avons pris des mesures pour mettre un peu d’ordre.

Cinq employés administratifs du Siamu peuvent se faire rembourser 1 000 euros par an de vêtements, accessoires et maquillage. Les justificatifs posent question, selon Eric Labourdette, du syndicat SLFP : doudoune à près de 300 euros achetée dans un magasin de luxe de l’avenue Louise, parfums, bracelets… Les pompiers, eux, n’ont droit qu’à 400 euros par an pour renouveler leur uniforme. Normal ?

Ils n’y a pas eu cinq bénéficiaires, mais quatre : l’un des cinq agents n’était pas en poste. Ces quatre personnes travaillent à l’accueil. L’intervention financière du Siamu se justifie car elles sont en contact avec le public. Elles sont la première image que le visiteur a de notre service. Elles ne gagnent que 1 600 à 1 700 euros net par mois. Les 500 euros par semestre qu’elles reçoivent pour leurs frais vestimentaires depuis la mi-2017 ne représentent que 83 euros par mois. Il est normal qu’on leur laisse le choix de leurs acquisitions, si elles sont destinées au service. Libre à elles d’acheter deux paires de chaussures ou un blouson matelassé pour affronter le froid. Qui suis-je pour leur interdire tel achat plutôt qu’un autre ?

L’une des factures concerne des t-shirts, blouse et pull de différentes tailles, de M à XL, achetés dans le même magasin. Un abus ?

J’ai demandé des explications à la personne concernée. Elle m’a assuré que ces vêtements étaient tous pour elle, et non pour ses proches. Les marques n’ont pas toujours les mêmes références de taille.

La réforme des structures dirigeantes du Siamu devrait entrer en vigueur en mars prochain. Cette réorganisation permettra-t-elle d’éviter les dérives et le manque de communication entre la direction opérationnelle et la direction administrative ?

La nouvelle structure, inédite, inverse la situation actuelle. Elle en est même l’exact négatif : le chef de corps des pompiers et son adjoint vont se retrouver à la tête du Siamu et le poste actuel de directeur général est remplacé par une fonction de coordinateur administratif. C’est un choix politique. Ce n’est pas à moi de le commenter. Par ailleurs, ce n’est pas moi qui avais des problèmes de communication avec l’ancien chef de corps des pompiers, c’est lui qui ne communiquait pas avec moi. Du temps du prédécesseur du commandant Dubus de Warnaffe, c’était l’enfer !

Vous êtes suspendu de vos fonctions de directeur général du Siamu. Que faites-vous à présent ?

Je suis toujours au Siamu : je dirige le service juridique, fonction qui était la mienne avant 2015. Une remarque : vous laissez entendre, dans votre article du Vif/L’Express du 14 décembre Pompiers : le naufrage, que je suis un « parachuté », que mon passage dans plusieurs cabinets socialistes pendant dix ans a été un accélérateur de carrière pour accéder aux fonctions dirigeantes du Siamu. Je conteste cette analyse. J’ai commencé ma carrière en 1997 au Siamu et j’ai été nommé fonctionnaire dès 2002. Puis, j’ai été détaché dans des cabinets PS. A l’époque, j’ai refusé des mandats rémunérés : je n’ai pas travaillé dans ces cabinets pour de l’argent. Ma progression dans l’administration jusqu’au niveau A5 n’a rien de spectaculaire : j’ai été promu au Siamu en 2014, douze ans après ma nomination. Je ne nie pas les parachutages socialistes dans l’administration bruxelloise et les organismes d’intérêt public, mais m’inclure dans ce schéma est un amalgame.

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