Tom Vandyck

Si Trayvon Martin avait été blanc, il serait toujours en vie

Tom Vandyck Tom Vandyck est journaliste et correspondant aux États-Unis pour le Knack.be

Malgré les mythes, l’Amérique est loin d’avoir dépassé les oppositions raciales. L’acquittement de George Zimmerman prouve qu’aux États-Unis, être noir peut nuire gravement à la santé.

Aux États-Unis, il est toujours extrêmement dangereux d’être un jeune homme noir. Se trouver au mauvais moment au mauvais endroit peut vous coûter la vie. C’est la conclusion qu’il faut forcément tirer du procès contre George Zimmerman, le veilleur d’un quartier de Sanford (Floride) qui a tiré un coup de feu mortel sur le jeune Noir désarmé Trayvon Martin. Le jury a acquitté George Zimmerman de meurtre. D’un point de vue purement formel et juridique, il n’y a pas grand-chose à redire. Mais que cet acquittement soit conforme à la loi ne signifie pas qu’il soit juste pour autant.

Jouer au policier

Voici à nouveau un aperçu des faits. Le soir du 26 février 2012, pendant la mi-temps d’une rencontre All-Star Game de la NBA, Trayvon Martin était en route pour rejoindre la maison de son père. Il était passé par un magasin et comptait regarder la seconde moitié du match chez son père. Martin était désarmé. Il n’avait qu’une cannette d’ice tea et un sachet de bonbons sur lui. Bref, il ne faisait rien de mal.

Tout se serait bien passé, s’il n’avait pas croisé le chemin de George Zimmerman. Sanford se trouve en zone gravement touchée par la crise économique. Le quartier, qui compte de nombreux immeubles désaffectés, était sujet aux cambriolages. Depuis 2006, Zimmerman avait fait 46 fois appel à la police. La plupart du temps pour signaler des Noirs suspects. Un certain nombre de personnes du quartier approuvaient sa surveillance du secteur. D’autres le considéraient comme un mêle-tout autoritaire qui passait son temps à jouer à l’agent de police avec une arme à feu en poche. Ibrahim Rashada, un habitant noir du quartier travaillant pour la compagnie aérienne US Airways, raconte au quotidien The Miami Herald qu’il sortait de chez lui le moins souvent possible à cause de Zimmerman. « J’étais conforme au stéréotype décrit dans ses e-mails aux habitants » raconte Rashada. « Un Noir a fait ceci, un Noir a fait cela ». J’ai donc décidé de rester chez moi.

« Un Blanc effrayant »

Lorsque Zimmerman a croisé Trayvon Martin il a également appelé le numéro d’urgence de la police. « This guy looks like he’s up to no good » a-t-il dit à l’opérateur. Et un peu plus tard:  » These assholes always get away ». Même s’il n’a pas utilisé le mot en N qui rime avec »bigger », inutile de faire un dessin : pour Zimmerman, Martin était suspect à cause de sa couleur de peau.

Décidé à ce que Martin ne s’en tire pas, Zimmerman a commencé à le suivre en voiture. Ce qu’il a fait contre l’avis de la ligne d’urgence. Ensuite, il est descendu de sa voiture et bien que l’opérateur lui ait demandé de rester dans sa voiture et d’attendre la police, il s’est mis à filer Martin.

Ce qui suit n’est pas entièrement clair. Martin aurait dit à Rachel Jeantel, l’amie avec qui il était en ligne, qu’il était pris en filature par un  » a creepy-ass cracker », une insulte qui signifie « Blanc effrayant ». Puis, la confrontation a éclaté. L’un des deux a crié à l’aide. Zimmerman déclare avoir été dominé par Martin, qui pesait 25 kilos de moins que lui et avait dix ans de moins, qu’ensuite ce dernier lui a cogné la tête contre les pavés. Le médecin légiste a déclaré pendant le procès que les blessures légères à la tête de Zimmerman ne correspondaient pas à ce type de violence. Dans tous les cas, l’incident s’est terminé par un coup de feu tiré par Zimmerman (avec le pistolet 9 millimètres qu’il portait légalement) dans le coeur de Martin. Selon Zimmerman, il s’agissait de légitime défense.

Une obscénité de taille

On ne saura jamais ce qu’il s’est passé pendant les dernières minutes. On pourrait remâcher le procès à l’infini, comme c’est le cas dans les médias américains, mais cela n’aurait pas de sens. Que Zimmerman ait agi en légitime défense n’est pas essentiel dans cette affaire.

En revanche, il faut se demander si Zimmerman a poursuivi Trayvon Martin à cause de sa couleur de peau. Il a provoqué lui-même la confrontation. Pour Zimmerman, le jeune homme armé d’un sachet de bonbons était un criminel dès la première seconde parce qu’il se promenait dans le quartier en tant que Noir. Encore une fois : si Martin avait été blanc, il serait toujours en vie. Si Zimmerman avait été noir, il serait derrière les barreaux. L’histoire est aussi ancienne que l’Amérique elle-même. Même si l’acquittement était techniquement en ordre, il relève d’une obscénité de taille engendrée par de mauvaises lois.

La Floride compte parmi les nombreux états des États-Unis à faire régner la loi « Stand your ground »; celle de Floride stipule que quiconque sent que sa vie ou son intégrité physique est menacée a le droit à tout moment de se défendre en utilisant de la violence mortelle.

Cela veut dire que le principe que la personne menacée se retire si elle en a la possibilité ne vaut pas, qu’il n’y a pas de règle de violence proportionnelle et donc qu’on a le droit de se défendre avec une arme à feu contre un sachet de bonbons. En plus, peu importe qui a commencé. Ce genre de lois provoque des situations comme l’affaire Zimmerman où un homme armé provoque délibérément une confrontation, utilise cette arme pour tuer, déclare qu’il ‘était obligé de tirer pour se protéger et s’en tire sans aucune sanction.

En outre, en Floride, la charge de preuve incombe à la victime. Ailleurs, le tireur devrait prouver avoir agi en légitime défense, en Floride c’est à la partie adverse de prouver que le tireur n’avait aucune raison de craindre pour sa vie. C’est particulièrement difficile quand aucun témoin n’a vu l’incident et que la seule autre personne à connaître les faits – Trayvon Martin – n’est plus là pour les raconter.

Un simple adolescent américain

Les personnes violentes un peu intelligentes concluront qu’en Floride, du moment où elles sont sûres de ne pas avoir de témoins, il vaut mieux tirer en premier. Et si elles affirment haut et fort avoir agi en légitime défense, elles auront la certitude de s’en sortir.

Ces constatations nous mènent à nouveau aux lois sur les armes américaines. Cette affaire constitue l’énième argument contre la logique tordue des fanas d’armes à feu qui prétendent que davantage d’armes dans la rue augmentent la sécurité. Le contraire est vrai. Bien sûr on ne sait jamais, une bataille au poing peut également mal tourner, mais on peut affirmer que si George Zimmerman n’avait pas eu de pistolet en poche ce soir-là, Trayvon Martin serait toujours en vie.

Trayvon Martin venait d’avoir dix-sept ans. Il aimait le sport et le hip-hop. Il avait des bons points à l’école et envoyait des dizaines de SMS par jour à ses amies. De temps en temps, il fumait un joint. Bref, un adolescent américain ordinaire. Cependant, Trayvon Martin était noir et cette caractéristique reste un facteur de risque aux États-Unis. Se retrouver au mauvais moment au mauvais endroit peut vous coûter la vie.

Par ailleurs, il n’y a aucun Noir aux États-Unis qui ne soit pas au courant. Que l’on soit chômeur ou avocat, plombier ou banquier à Wall Street, on vous considère par définition comme dangereux.

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