La rédaction du Vif

Sexisme,  » les brunes comptent-elles pour des prunes ? « 

Dans le dernier numéro du Vif L’Express, Pascal De Sutter revient sur le sexisme à Bruxelles. Sujet important, mais analyse un peu courte!

Par Assita KANKO (Conseillère communale MR à Ixelles)

La première chose qui m’a frappée c’est l’identité présumée des victimes de ce sexisme. Selon Pascal De Sutter, elles seraient surtout « des femmes aux cheveux et aux yeux clairs ». A la lecture de ce passage, moi la bruxelloise dont, ni les cheveux, ni les yeux ne sont clairs et qui ai déjà été confrontée au sexisme à Bruxelles, je me suis sentie pâlir. Et les brunes, elles, comptent-elles pour des prunes ? Le sexisme survient-il parce qu’on est femme ou parce qu’on est une femme d’une certaine origine ?

Les Bruxelloises qui aspirent à la liberté et qui décident que la longueur de leur jupe et la profondeur de leur décolleté sont leur affaire risquent d’être victimes de harcèlement dans certains quartiers. Peu importe qu’elles s’appellent Amélie, Sarah, Leïla, Fatou ou Assita. Au sein de certaines communautés, les réactions à l’insoumission peuvent être encore plus violentes : souvenons-nous de Samira Bellil, victime de tournantes en Seine St-Denis, du parcours de l’ex-députée néerlandaise Ayaan Hirsi Ali, de Sadia Sheikh, victime d’un crime d’honneur en Belgique,…

Il est vrai que l’attitude de certains jeunes ne peut pas s’expliquer exclusivement par la précarité ou les difficultés sociales contrairement à ce que prétendent de nombreux soi-disant progressistes. La vérité c’est que sur fond de valeurs religieuses et/ou culturelles on enseigne effectivement à ces jeunes que les femmes sont putes ou soumises. C’est aussi pour cela qu’elles sont parfois obligées de se couvrir le visage et le corps, qu’elles subissent des crimes d’honneur, des répudiations ou doivent se laisser brider selon le « guide de la femme musulmane » qu’on peut acheter dans certains quartiers de Bruxelles.

Mais même s’il est indéniable qu’une grande partie du sexisme dans nos rues est effectivement liée à l’échec de nos politiques d’intégration, d’autres facteurs plus insidieux doivent également être pris en compte. Le Vif évoquait par exemple l’étude de Marie-France Zicot (formatrice pour les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) qui observe la vision rétrograde de la femme et de l’homme véhiculée par nos manuels scolaires et notre littérature pour enfants.

En tant que femme, je sais qu’à côté du sexisme lourd et manifeste qu’on rencontre dans l’espace public il y a aussi le sexisme subtil et discret d’hommes apparemment bien élevés et qui ne sont ni d’origine étrangère ni de confession musulmane. DSK a t-il été élevé par une femme voilée qui lui a appris que les femmes qui ne se couvraient pas les cheveux et le corps étaient des putains et que l’homme n’était pas responsable de ses pulsions?

Pour moi, le sexisme auquel nous sommes confrontés aujourd’hui relève beaucoup plus de la misogynie que du racisme. C’est d’ailleurs pour cela aussi que la logique du choc des civilisations qui semble sous-tendre l’analyse de Pascal De Sutter m’a également fait pâlir. Car « envisager les relations humaines uniquement en termes civilisationnels est une telle simplification ! Comme si l’on pouvait classer les individus et définir leur identité en fonction d’un seul critère! », disait le prix Nobel Amartya Sen. En réalité nous appartenons à différents groupes simultanément et on ne peut pas nous figer sous un aspect de notre identité. Nous n’avons pas non plus le droit de nous cacher derrière un pan de cette identité plurielle pour justifier nos actes au sein d’une société régie par des lois universelles. C’est la volonté de liberté et nos choix individuels par rapport au contrat social qui nous positionnent en permanence par rapport aux autres. Le sexisme est un choix. Ce choix est inacceptable et doit être sanctionné.

Cependant, la sanction des insultes sexistes ne sera pas suffisante puisqu’elle ne pourra s’attaquer qu’aux symptômes d’un mal plus profond déjà ancré dans notre société. Pour commencer à résoudre ces problèmes de fond, il faut des mesures structurelles.

D’abord des changements seront nécessaires dans l’enseignement. Il faudra en refaire une priorité, repenser les manuels et impliquer les pères aussi de façon à promouvoir la neutralité de genre. L’école doit pouvoir continuer à avoir de l’influence en dehors de ses murs.

Ensuite il faut réussir l’intégration! L’adhésion à notre socle de valeurs communes qui implique que les femmes sont des citoyennes à part entière. C’est pour cela que nous devons refuser tant le relativisme culturel que l’enfermement identitaire, rester le continent des lumières et ne pas tomber dans l’obscurantisme. Mais pour y arriver il faut déjà avoir le courage politique d’admettre que l’intégration est un échec dans certains quartiers, ce que certains responsables politiques ne sont pas prêts à reconnaître publiquement, électorat communautaire oblige.

Un jour Mary Astell demanda à Locke : « Si tous les hommes naissent libres, comment se fait-il que toutes les femmes naissent esclaves ? » Trois siècles plus tard, cette question reste pertinente dans de nombreux milieux de notre société où l’on refuse encore de croire que la femme est l’égale de l’homme. Même si nous avons théoriquement les mêmes droits, le sexisme manifeste ou subtil persiste. Toutes les femmes peuvent en être victimes. Plus d’hommes qu’on ne le pense peuvent s’en rendre coupables.

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