Le ministre des finances, Johan Van Overtveldt. © BELGA/Bruno Fahy

Servir puis attaquer l’Etat

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’ancien chef de cabinet de Johan Van Overtveldt propose aux multinationales concernées d’attaquer l’Etat belge dans le dossier des excess profit rulings condamnés par l’Europe. Ecolo y voit un probable conflit d’intérêt.

Une nouvelle épine dans le pied du ministre des Finances ? C’est le groupe Ecolo-Groen qui, à la Chambre, lève le lièvre. Mathieu Isenbaert, l’ancien chef de cabinet de Johan Van Overtveldt (N-VA), et Philippe Bielen, ancien collaborateur du même ministre, ont fondé ensemble, après leur expérience de cabinettards, un bureau d’avocats qui s’est spécialisé dans la défense des multinationales concernées par la condamnation des excess profit ruling par la Commission européenne. N’y a-t-il pas là un conflit d’intérêt ? C’est la question que les verts viennent de déposer en commission des Finances à l’intention du ministre Van Overtveldt.

On se souvient que, le 11 janvier dernier, l’exécutif européen a sévèrement pointé du doigt le mécanisme belge qui a permis à près de quarante grandes entreprises, telles qu’AB-Inbev, Proximus, BASF, Atlas Copco, etc., de se voir exonérer d’impôts, via une décision anticipée sur leurs bénéfices excédentaires. Ces cadeaux fiscaux ont été jugés illégaux par l’UE qui estime que cela s’apparente à une aide d’Etat déguisée. Les montants que l’Etat belge devrait récupérer auprès de ces contribuables s’élèvent à au moins 700 millions d’euros, l’année 2014 n’ayant pas encore été prise en compte dans les calculs de la Commission. De son côté, le Parlement européen a adopté un rapport recommandant que cet argent soit retourné, non pas à la Belgique, mais aux Etats lésés par ces rulings.

Or, depuis peu, le cabinet d’avocat Sintax, spécialisé dans le droit fiscal, ayant un bureau à Bruxelles et un autre à Genk, propose ses services aux entreprises qui se disent lésées par la décision UE. En clair : il s’agit de réclamer des dommages au gouvernement belge et aux conseillers fiscaux qui ont « vendu » l’excess profit ruling (EPR) aux multinationales. Tout cela figure dans un PowerPoint, daté du 3 février 2016, que l’on peut consulter sur le site sintax.be. Lequel précise d’ailleurs que, pour réclamer des dommages à l’Etat, on peut se baser sur la campagne internationale destinée à attirer des investisseurs étrangers avec ce système d’EPR. On se souvient du road show aux Etats-Unis, en 2006, de Guy Verhofstadt, alors Premier ministre, et Didier Reynders, aux Finances, pour vanter les intérêts notionnels et les EPR. Dans ce power point, Sintax affirme aussi que l’on peut réclamer des dommages en se basant sur le fait que les contribuables concernés n’ont pas été avertis du risque de condamnation pour aide d’Etat.

Il est piquant de constater qu’à la tête de ce bureau d’avocats se trouvent Mathieu Isenbaert et Philippe Bielen. Tous deux ont été collaborateurs au cabinet des Finances dès la nomination de Van Overtveldt au sein du gouvernement Michel, en octobre 2014. Ils l’ont quitté, en même temps, en avril 2015. Isenbaert était chef de cabinet. C’est lui qui a conçu la fameuse taxe Caïman qui permet d’imposer en Belgique les constructions étrangères des contribuables belges cherchant à éluder l’impôt. Piquant également : avant le cabinet Van Overtveldt, tous deux provenaient d’Ernst&Young, une des big fours qu’ils proposent désormais d’attaquer, vu que ce sont ces géants du conseil fiscal qui ont aidé les multinationales à obtenir des rulings avantageux sur leurs bénéfices excédentaires.

Ecolo-Groen s’émeut de ce mélange des genres vis-à-vis de l’Etat. « Au-delà du fait, qu’ils crachent dans la soupe, on est en droit de se demander si, lorsqu’ils étaient au cabinet, Messieurs Isenbaert et Bielen n’ont pas bénéficié d’informations de première main sur les sociétés concernées par les EPR, sur leurs conseillers fiscaux et le contenu des dossiers, d’autant que les informations qui figurent dans le PowerPoint du site sont très précises (NDLR : quand la Commission a signifié à la Belgique qu’elle ouvrait une enquête approfondie sur les EPR, par lettre du 3 février 2015, les deux fiscalistes travaillaient toujours bien au sein du cabinet ministériel). Ne devaient-ils pas signer une clause de non- concurrence par rapport à leur ancien employeur ? », s’interroge le député Ecolo Georges Gilkinet. C’est tout le sens de la question posée à Van Overtveldt.

Interrogé, Mathieu Isenbaert répond au Vif/L’Express : « Le gouvernement précédent avait confié le dossier EPR à un cabinet d’avocats externe pour répondre à la Commission, sous la supervision de l’administration. En tant que chef de cabinet, j’ai simplement veillé à ce que la collaboration entre l’administration et les avocats soit optimale. J’ai quitté le cabinet à la mi-mars 2015 (NDLR : sur son profil LinkedIn, il indique avril). Le PowerPoint que vous mentionnez a été publié après la décision finale de la Commission du 11 janvier 2016, qui rendait publiques les informations sur les rulings. Il n’y a pas de conflit d’intérêts d’autant que les éléments qui impliquent une responsabilité de l’Etat – dont le fait de ne pas notifier à la Commission en 2004 l’introduction des EPR – ne sont pas le fait de l’actuel gouvernement ni de moi-même. » L’avocat de Sintax nous fait également savoir qu’il n’a, à ce jour, aucun client lié aux EPR.

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