Claude Demelenne

Seraing la rouge: la vie sans Mathot est-elle possible ?

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

A la veille du scrutin communal, le ciel est tombé sur la tête des socialistes liégeois. Miné par des accusations de corruption, Alain Mathot se retire de la vie politique. Seraing la rouge vit peut-être ses dernières semaines.

Seraing, l’une des villes emblématiques du socialisme wallon, traverse un tsunami. Son député-bourgmestre, Alain Mathot, a été, selon ses propres termes, « massacré » par le tribunal correctionnel de Liège. Le jugement rendu fin juin concerne des actes de corruption liés au marché de l’incinérateur d’Intradel. Alain Mathot n’était pas poursuivi, car son immunité parlementaire n’a pas été levée. Mais les juges sont formels : dans cette affaire, Alain Mathot aurait touché des pots de vin pour un montant de 700.000 euros. Il clame son innocence. Et il jette – temporairement ? – les gants : il ne se représentera ni aux élections communales du 14 octobre 2018, ni aux élections fédérales du 26 mai 2019.

Sortir Seraing de sa déprime

Le scrutin communal à Seraing constitue un test important pour l’ensemble du PS. Alain Mathot est le prototype du municipaliste PS, caricaturé par ses adversaires en nabab vautré dans le socialisme alimentaire. Un champion du clientélisme, régnant sans partage sur son troupeau d’obligés. La réalité est sensiblement différente. Alain Mathot, comme la plupart des barons socialistes, en Wallonie, n’entre pas dans la catégorie « gauche caviar », qui a fait tant de mal au PS français. Sans nier les excès d’un certain clientélisme, Mathot & Co ont enraciné un socialisme de proximité qu’il serait simpliste d’assimiler à une gestion d’indécrottables parvenus contre le peuple.

Seraing la rouge: la vie sans Mathot est-elle possible ?

Parlons-en, du peuple. A chaque rendez-vous électoral, il plébiscite les municipalistes socialistes. Il les considère, à l’instar d’Alain Mathot, comme compétents et à l’écoute des habitants. Lors du scrutin communal précédent, en 2012, la liste PS à Seraing a décroché la majorité absolue (50,35% des voix et 24 sièges de conseillers communaux sur 39). Un scénario identique s’est reproduit dans une trentaine d’autres villes et communes, dans les provinces de Liège et de Charleroi. Sur « ses » terres, le PS règne quasiment sans partage. Le fait d’avoir été égratigné par quelques peu glorieuses « affaires « , n’empêche pas le PS de capitaliser le vote populaire.

Socialisme bling-bling ?

A Seraing, Mathot est en train de transformer le visage misérabiliste – sinistré même – de sa ville. Il la rend plus attractive et accueillante, aussi pour les investisseurs. C’est le but du « Master Plan » de requalification et de rénovation urbaine, lancé il y a plus d’une décennie. Un méga projet, censé sortir de sa déprime une ville au riche passé industriel, ravagée par la crise sidérurgique.

On apprécie ou pas le socialisme à la Mathot – qualifié de « bling-bling » par le PTB – et sa politique de grands travaux. Son habileté pour décrocher des dizaines de millions de subsides pour sa ville n’est niée par personne. Peu contestable, aussi, l’air du temps change, à Seraing. Nombre d’ habitants retrouvent la fierté d’être sérésiens. Menée parfois à la hussarde, la modernisation de la vieille Cité du Fer ne fait pas l’unanimité, mais est globalement appréciée par de larges couches de la population. Longtemps, celle-ci a eu le sentiment d’être abandonnée par la classe politique. A défaut de résoudre tous les problèmes de pauvreté, Alain Mathot a permis à une part importante de ses administrés de redresser la tête. Le phénomène déroute les politologues : dans son fief, malgré ses frasques supposées, le fils de Guy Mathot est encore plus populaire qu’hier feu son père.

Faire du Mathot … sans Mathot

.Alain Mathot a pris la porte. Et après ? Privé de son maïeur charismatique, Seraing la rouge vit-elle ses dernières semaines ? La perte de la majorité absolue – elle existe, sans discontinuer, depuis 1952 – aurait valeur de symbole pour l’ensemble du PS. Certes, dans la banlieue rouge liégeoise, d’autres majorités absolues socialistes (Herstal, Grâce-Hollogne, Flémalle…) marchent sur un fil et pourraient passer à la trappe. Mais aucune de ces communes n’a le poids de Seraing, seconde ville de la province de Liège et bastion réputé imprenable du PS. Seraing sans sa majorité absolue socialiste, ce serait vraiment la fin d’une époque.

Pour limiter les dégâts, le PS a choisi l’actuel président du CPAS, Francis Beckaert – l’homme de la continuité – pour tirer la liste, la députée wallonne Déborah Geradon et la conseillère communale, Laura Crapanzano, restant en embuscade. Même en recul, le PS pourrait rester le premier parti (il y a six ans, ses plus proches challengers étaient le MR, avec 15,69% des voix et le PTB, 14,07%).

Tout change pour que rien ne change ? Paradoxalement, la vie sans Mathot sera possible à Seraing, à condition de… faire du Mathot sans Mathot. La prochaine équipe (PS-MR?) qui dirigera Seraing aura-t-elle un autre choix que de parachever les chantiers de rénovation d’un Master Plan qui affiche l’ambition rien moins que de réinventer une ville post-industrielle ? Pour l’essentiel, on voit mal un parti, quel qu’il soit, dynamiter le puzzle du Master Plan. Et cela, même si le socialisme « bâtisseur » d’Alain Mathot a généré son lot de mécontents, estimant sa politique trop éloignée des préoccupations quotidiennes des « petites gens ».

L’impossible alliance avec le PTB

Le cas de Seraing illustre également le gouffre existant entre le PS et le PTB. Tout au long de la législature, les deux partis de gauche se sont mutuellement diabolisés, à Seraing, sur fond de désaccord idéologique profond. Le PTB a une tout autre conception de la ville que le PS, à qui il reproche de gérer Seraing comme une entreprise privée, privilégiant le gigantisme et négligeant la question sociale. Le PS dénonce pour sa part l’opposition peu constructive du PTB, accusé de nier l’évidence : le volontarisme urbanistique de la majorité socialiste reconstruit pas à pas un nouveau tissu économique et social, au profit de tous les habitants

Seraing servira de test : dans l’hypothèse – retenue par certains sondages – où le PTB doublerait son score de 2012, égalant voire dépassant le PS, que feront les deux partis de gauche ? Mathématiquement, un rapprochement tiendrait la route mais dans les faits, il y a peu de chance que Seraing serve de laboratoire à une alliance rouge-rouge. A quelques mois des élections fédérales du 26 mai 2019, le PS n’offrira pas cette vitrine à un PTB triomphant.

L’exemple de l’Eros Center

S’il est un dossier que la nouvelle équipe devrait piloter dans la continuité, c’est celui de l’Eros Center. Un peu partout, en Wallonie (Charleroi, Liège) et à Bruxelles (Saint-Josse, Bruxelles-ville), les quartiers « chauds »- essentiellement dévolus à une prostitution de vitrine – ont été fermés par les bourgmestres en place, poussant dans la clandestinité les travailleuses du sexe (TDS), souvent parmi les plus précaires. Avec Schaerbeek, où le bourgmestre Bernard Clerfayt (Défi) a régulé plutôt efficacement la prostitution dans la célèbre rue d’Aerschot – Seraing a choisi une voie plus progressiste. Elle a mis sur les rails un projet d’Eros Center dont la construction est prévue d’ici fin 2019.

Actuellement, les TDS à Seraing, sont entassées, dans des conditions inconfortables dans la tout sauf « cosy » rue Marnix. Pour améliorer leur cadre de travail, et encadrer la prostitution sur son territoire, les socialistes sérésiens ont donc choisi le modèle anversois : dans la ville portuaire la « Villa Tinto », Eros Center sécurisé et plus accueillant pour les TDS, offre une alternative intéressante, quoi que partielle, à la politique anti-TDS appliquée en Wallonie et à Bruxelles.

L’Eros Center de Seraing serait le premier en Wallonie. Il enverrait un double message. D’une part, les TDS méritent mieux que l’indifférence voire le mépris d’une partie de la classe politique. D’autre part, la gauche réformiste peut proposer une approche constructive en matière de prostitution, comme à Seraing, loin des discours moralisateurs du lobby abolitionniste. Sous prétexte d’ éradiquer la prostitution », dans les faits, ce lobby s’en prend au gagne-pain des TDS, sans jamais écouter leurs attentes. Il serait logique qu’à Seraing et ailleurs, la gauche se range aux côtés de cette population fragilisée qui réclame des droits et un statut, comme les autres travailleurs.

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