Travailler de chez soi en tant que rédacteur, graphiste, traducteur...: des prestations soumises à rude concurrence. © Xavier Arnau/Getty Images

Sept pistes pour « Ubériser » vos revenus

L’essor des plates-formes pour indépendants préfigure un monde où le « jobbing » risque de devenir la norme. Comment s’accorder un petit extra après ses heures en profitant de la jungle numérique ?

1. Artisan du bâtiment

Avant, il y avait le bottin. Désormais, il y a le Web : avec les sites de services  » à la demande  » pour les particuliers, il suffit de quelques clics pour trouver un professionnel capable de déboucher l’évier, mettre en place une clôture dans le jardin ou repeindre le plafond de la salle de bains. Bricoler n’est pas jouer. Sauf qu’aux côtés des vrais artisans, on retrouve de plus en plus de particuliers à la recherche de compléments de revenus. Avec un peu d’habileté dans leurs mains, ils peuvent proposer les mêmes services sur ListMinut, Frizbiz ou YoupiJob. Sur ce dernier, qui se veut le TripAdvisor des prestations de service, c’est au particulier de décrire son besoin et de déposer son offre. Ensuite, chaque jobber – des livreurs, des électriciens, des chauffagistes, des jardiniers en herbe ou de profession – postule à tour de rôle. La plupart s’avèrent des artisans  » professionnels « , mais dont certains préfèrent réaliser les travaux  » en qualité de particuliers « . Dès que la mission est accomplie, le jobber est  » noté  » (comme sur TripAdvisor), ce qui lui permet de gagner en crédibilité. Présentés comme des  » coups de main « , la plupart de ces jobs sont rémunérés une centaine d’euros. Mais certains travaux proposés s’apparentent à de véritables prestations, comme cette rénovation d’une studette proposée à 1 500 euros. En toile de fond, la question des assurances et de la garantie de ces travaux réalisés par des particuliers parfois sans qualification.

Bricolage ou jardinage, donner
Bricolage ou jardinage, donner « un petit coup de main » peut s’avérer payant. © Philippe Renault/Belgaimage

www.frizbiz.com, www.listminut.be, www.youpijob.be

2. Guide touristique

Passionnés d’histoire, d’architecture ou d’arts, vous pouvez monnayer la connaissance de votre ville en vous improvisant guide touristique sur des plates-formes comme Cariboo ou Guidelikeyou. Les guides, de simples particuliers, proposent des visites personnalisées, tarifées librement. Un algorithme suggère aux touristes les profils qui leur ressemblent. A charge pour le guide d’élaborer un programme adapté aux attentes du touriste. Le tarif pouvant varier entre 8 et 20 euros de l’heure, auquel s’ajoutent des frais de réservation destinés à financer le site, l’affaire n’est pas très rémunératrice et est à considérer comme un revenu d’appoint. Mais certains guides spécialisés, ou offrant des prestations VIP, peuvent gagner jusqu’à 100 euros. Comme ailleurs, les plates-formes prennent une commission de 20 %. Ces start-up collaboratives garantissent la qualité de leurs guides par système de notation, qui exige des participants une bonne fiabilité et un réel investissement dans leur mission. Elles misent par ailleurs sur l’esprit de communauté qu’elles désirent créer entre leurs membres, notamment à travers l’organisation d’événements.

Faire découvrir la ville à des touristes branchés permet d'arrondir ses fins de mois, pourvu qu'ils n'oublient pas le guide.
Faire découvrir la ville à des touristes branchés permet d’arrondir ses fins de mois, pourvu qu’ils n’oublient pas le guide.© Monty Rakusen/Getty Images

www.cariboo.co, www.guidelikeyou.com

3. Coursier

Le marché de la livraison explose. Et, en ville, les coursiers  » ubérisés  » rivalisent désormais avec les DHL, TNT Express et autres pros de la livraison. Dernier chic de la consommation branchée : se faire livrer ses repas à bicyclette ou en véhicule électrique. UberEats, aux Etats-Unis, livre le déjeuner dix minutes après la commande. Les coursiers de Deliveroo, appelés les Roomen, se déplacent principalement en vélo, également en scooter. Pour la start-up bruxelloise Take Eat Easy, c’est uniquement à vélo que le transport se faisait, jusqu’à sa mise en redressement judiciaire le 25 juillet dernier, laissant le champ libre à ses concurrentes étrangères qui entendent bien s’engouffrer dans la place – le patron de Deliveroo a confirmé début août son intention de conquérir la Wallonie. Pour ces coursiers 2.0, aucun diplôme n’est exigé : il suffit de posséder un vélo et une bonne condition physique. Assurances et équipement sont aussi à charge du coursier. En pratique, on consulte un planning en ligne et on s’inscrit dans les créneaux horaires disponibles. Mais il faut le savoir : en réclamant une livraison d’urgence, sur certaines applis, chaque consommateur vote pour le transporteur. Souvent à son insu. Le prix de la sueur, quant à lui, varie selon la boîte et… l’humeur du client. Chez UberEats, les clients sont libres de vous laisser un pourboire ou pas. Chez Deliveroo, la rémunération se caractérise par une commission auprès des restaurateurs de l’ordre de 30 % en moyenne. Soit, en cash, un tarif horaire fixe de 7,50 euros brut chez Deliveroo (contre une rétribution à la course de 2 à 5 euros chez feu Take Eat Easy). Pour leurs contrats de travail et leurs cotisations, les coursiers des deux start-up passent soit par la coopérative SMart soit par un statut d’indépendants complémentaire. Pour cinq soirées de travail par semaine, comptez un revenu net de 500 euros mensuels en moyenne.

www.ubereats.com, www.deliveroo.be

Etienne Wéry : « Encourageons ce nouveau modèle économique »

Sept pistes pour
© DR

En France, selon un rapport de la Commission des finances du Sénat cité par L’Express, le revenu moyen d’un hôte sur AirBnB serait de 3 600 euros par an. De quoi arrondir ses fins de mois, sans plus. Chez nous aussi, d’après le ministre De Croo, la grande majorité des bénéficiaires de revenus occasionnels de l’économie collaborative ne gagne pas plus de quelques milliers d’euros par an. Actuellement, ces revenus doivent être déclarés à titre de revenus divers dans votre déclaration et sont taxés au taux unique de 33 %. Ils ne sont en revanche frappés d’aucune cotisation sociale et ne procurent donc aucune couverture particulière : pas de droit au chômage, pas de cotisation pour la pension, pas d’assurance maladie-invalidité. Dans la pratique, beaucoup ne les déclarent pas. Ce sont les nouvelles formes du travail au noir. Gare à ceux que le fisc parvient à identifier.

Mais faut-il tout déclarer ? Pour l’avocat Etienne Wéry, spécialiste des nouvelles technologies, c’est moins une question de quantité que de régularité. « Si vous vendez une croûte héritée de votre grand- père pour 1 million, vous ne devez pas le déclarer, mais si vous en vendez 100 à 80 euros sur l’année, vous serez considéré comme professionnel. » Reste que le fisc n’est pas outillé pour scruter toutes les plates-formes. Certaines sont plus faciles à contrôler que d’autres : eBay, AirBnB, Uber, par exemple. « Lorsque les services sont totalement dématérialisés, c’est une autre paire de manches. » Comme tout ce qui est conseil juridique, médical… ou fiscal, par exemple. Ou les webcams qui sont devenues « les vaches à lait de l’industrie porno ».

Mais pour Etienne Wery, la vraie question porte moins sur les « petites mains » de l’économie collaborative que sur les entrepreneurs, « ceux qui créent les plates-formes en commençant avec des bouts de ficelle et peuvent devenir milliardaires en quelques années sans avoir pratiquement rien investi. » Tous les géants du Web ont commencé petit et c’est sur ce modèle que repose la reconversion économique de nos sociétés, poursuit l’avocat. « Ce qu’il faut savoir, c’est si on veut l’encourager ou lui mettre des bâtons dans les roues. Je le vois avec mes clients : tant qu’ils démarrent, ils restent en Belgique mais quand ils commencent à se développer, ils partent dans la Silicon Valley. » Là où on salue leur réussite et où les investisseurs sont prêts à prendre le relais. Hasard du calendrier, juste après la déconfiture de la belge Take Eat Easy, sa concurrente britannique Deliveroo a annoncé, le 6 août, qu’elle venait de lever 275 millions de dollars sur les marchés pour assurer son développement. Notamment en Wallonie…

4. Prof particulier

Mieux que la consultance : le partage des connaissances. Face à la mutation des métiers, la course à la formation est lancée. Et le numérique aidant, le champ des possibles s’ouvre aux audacieux. Les MOOCs, ces cours en ligne ouverts à tous, font désormais partie du paysage. Sur la plate-forme d’Udemy, tout un chacun peut créer des cours en ligne et les monnayer. Ainsi, 40 000 cours payants sont déjà disponibles. Et si leurs cours fonctionnent bien, les instructeurs gagnent effectivement de l’argent. En 2012, les 10 enseignants les mieux payés de la plate-forme ont engrangé plus de 1,6 million de dollars au total en rémunération de leurs cours. Quelle que soit la plate-forme utilisée (Udemy, Khan Academy, EdX ou Coursera), la démarche pédagogique se limite à un support numérique. Parfois, le cours s’accompagne d’interactions directes avec le formateur ou d’exercices corrigés avec commentaires personnalisés. La cible principale reste le lycéen, l’étudiant en business et l’ingénieur, rarement le manager. Du coup, par effet d’aubaine, des MOOCs  » corporate  » voient le jour. Les  » Coos  » (corporate on-line seminar) imposent un modèle premium avec un contenu sur mesure, adapté au public spécifique d’une entreprise. A côté de l’e-learning, les plates-formes de mise en relation entre particuliers comme gpaltemps.com, youpijob.be, starofservice.com ou listminut.be proposent un modèle plus traditionnel. Le formateur s’inscrit, remplit une liste de critères, affiche ses disponibilités et fixe son prix. En général, le montant des commissions varie en fonction du prix offert (de 10 à 20 %). La rémunération perçue, quant à elle, varie en fonction de la matière et du nombre d’heures prestées. Comptez, en moyenne, 15 euros/heure pour un cours de maths de niveau secondaire.

Livrer des repas en peaufinant sa condition physique, une activité en plein boom.
Livrer des repas en peaufinant sa condition physique, une activité en plein boom.© Eric Feferberg/Belgaimage

www.udemy.com, www.gpaltemps.com, www.starofservice.com

5. Rédacteur

Rédiger des annonces publicitaires, des billets de blog, des articles optimisés SEO, une brochure en néerlandais ou mettre en forme un rapport annuel, voilà des casse-tête que rencontrent souvent les entreprises. Paradoxalement, les prestataires capables de résoudre ces problématiques ont du mal à trouver des clients. Pour aider ces deux communautés à se rencontrer, plusieurs plates-formes ont intégré des services de rédaction, de traduction et de correction à leur offre. Sur Frizbiz, les tarifs des rédacteurs oscillent entre 100 et 1 000 euros selon la prestation. Rayon traducteurs, la start-up TextMaster propose l’un des réseaux les plus importants au monde, avec des traducteurs dans 40 langues, disponibles 24 heures sur 24. D’aucuns jugeront que l’entreprise tire les tarifs vers le bas. Le prix peut ainsi varier de quelques euros pour la traduction simple d’un texte à plusieurs dizaines d’euros pour la traduction de sites Web. D’autres font jouer la concurrence, à la rude, comme StarOfService. L’algorithme développé par la société met en relation les professionnels les plus proches du demandeur, en choisissant ceux pour lesquels le site dispose du maximum d’informations. Après avoir rempli un seul et unique formulaire de demande de devis, le demandeur peut sélectionner jusqu’à cinq artisans. Il reçoit leur proposition vingt-quatre heures après. Ensuite, il ne lui reste plus qu’à les comparer et choisir. Le modèle économique de StarOfService repose en effet sur les réponses des professionnels référencés apportées aux particuliers. A chaque mise en relation, le professionnel paie le site en  » crédits  » qu’il aura auparavant achetés sur la plate-forme. Ces auteurs, traducteurs et correcteurs sont soit des travailleurs en free-lance, auxquels le site apporte un canal supplémentaire, soit des étudiants ou des professeurs, qui trouvent là un revenu d’appoint.

Témoignage : De Take Eat Easy à Deliveroo, en passant par la case SMart

Sept pistes pour
© François Corbiau

Le 26 juillet dernier, Take Eat Easy s’arrête brusquement, victime d’une fringale budgétaire. En course depuis septembre 2013, la start-up belge de livraisons de repas à domicile n’est pas parvenue à boucler une troisième levée de fonds. Elle laisse des centaines de coureurs dans le fossé. C’est le cas de Willy, 24 ans, cycliste professionnel. « Je l’ai appris avec stupéfaction, comme beaucoup de coursiers », confie-t-il. Willy roulait depuis janvier 2016 pour Take Eat Easy. Il avait même intégré l’équipe qui a lancé la plate-forme à Liège au mois de mai. « J’étais chef coursier. Je donnais des formations et je faisais aussi des livraisons. A Liège, ça cartonnait. Il y avait des commandes tous les midis et tous les soirs. » En France, la plupart des coursiers de Take Eat Easy n’ont pas été payés pour leurs prestations du mois de juillet. En Belgique, Willy et 400 autres coureurs passaient par l’agence SMart. Considéré comme salarié, il était couvert par un contrat de travail. Fin juillet, cette coopérative a confirmé qu’elle verserait bien le salaire de ces coursiers, pour un total d’environ 340 000 euros. Elle tentera ensuite de récupérer une partie de cette somme auprès du curateur de l’entreprise en redressement judiciaire. « J’avais trois ou quatre dates début juillet. Et j’ai déjà été payé », confirme Willy. Mais pour les coureurs indépendants, la route est encore longue. Ils risquent de ne jamais recevoir leur salaire.

Willy, lui, ne compte pas quitter le peloton. Il s’est tourné vers Deliveroo, le principal (ex-) concurrent de Take Eat Easy. « Un ami m’a recommandé, ils m’ont contacté et j’ai eu une séance d’information quelques jours plus tard. Il a fallu postuler rapidement car, même si la demande va augmenter, beaucoup de coursiers ne seront pas repris. » Lui, en tout cas, y tenait. « J’adore le vélo, c’est mon moyen de transport principal, s’enthousiasme le coureur. Mais ce qui m’intéresse, c’est d’avoir différents métiers, essayer différentes choses. Je suis aussi technicien lumière, je gère l’éclairage d’une pièce d’opéra par exemple. Je pense qu’il est possible de vivre uniquement de ce travail, mais il faut avoir une bonne condition physique. Le midi, j’avalais 20 à 30 km en moyenne. Le soir, jusqu’à 50 km. En roulant bien, on pouvait gagner 2 000 euros brut par mois. Avec un job sur lequel on pouvait compter, quand et comme on voulait. » Vu les projets de développement de Deliveroo en Belgique, Willy espère retrouver très vite sa vitesse de croisière.

www.starofservice.com, www.textmaster.com

6. Graphiste

Le numérique a ouvert le champ des possibles aux pourvoyeurs de savoirs.
Le numérique a ouvert le champ des possibles aux pourvoyeurs de savoirs.© Yuri Arcurs/Getty Images

Comme la plupart des métiers de services, la création artistique connaît aussi la désintermédiation. Grâce à des algorithmes, il est à présent très simple d’identifier rapidement et très facilement le bon graphiste parmi des milliers de profils inscrits sur des sites comme Graphiste.com ou Creads, une agence collaborative qui compte près de 50 000  » créatifs  » indépendants. Des entreprises à la recherche d’un slogan, d’un nom, d’un logo ou d’une charte graphique formulent leur demande et leur prix. La plate-forme la relaie ensuite auprès des internautes créatifs (graphistes, webdesigners…). Ces derniers présentent leur proposition, et le client donneur d’ordres fait son choix. Pour ses détracteurs, Creads casse les prix et favorise le travail  » spéculatif « . Basé sur l’appel à la foule (crowdsourcing), le travail ressemble à un concours permanent : sur 50 personnes à tenter leur chance, seule une sera primée. Les autres auront travaillé pour rien !

www.graphiste.com, www.creads.be

7. Métiers du digital

A l’instar des autres services aux entreprises, les places de marché des prestations informatiques sont en plein boom. Certains de ces réseaux préfèrent centrer l’offre sur des projets liés à l’IT et se prêtant à la collaboration, plutôt que sur l’individu. Un système spécial de fiches relie alors les membres aux projets qui leur conviennent. Sur Codeur.com, le porteur définit son besoin et attend les propositions des free-lances visibles par tous. Ensuite, il fait son choix. Mais les plates-formes généralistes comme Twago, Freelancer, Upwork s’ouvrent aussi aux développeurs. Les sites fonctionnent sur le principe de l’e-réputation : à la manière d’Amazon, ils proposent des systèmes de notation (étoiles, mentions…) basés sur des témoignages des entreprises clientes. Les free-lances peuvent augmenter leurs tarifs au fur et à mesure qu’ils acquièrent de bons témoignages de clients. Toujours vérifier les conditions générales, la domiciliation du site, ses références, pour éviter les désagréments. Sur Digikaa, les missions proposées commencent à 1 000 euros et les compétences des experts sont certifiées grâce à un portfolio social.

www.freelancer.com, www.twago.fr, www.upwork.com, www.digikaa.com

Par Dorian Peck

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