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Scission: la Flandre seule, ce ne serait pas le Pérou

Livré à lui-même, le nord du pays ne se tirerait pas à si bon compte d’une scission de la Belgique. Après avoir payé le prix d’un coûteux divorce, la Flandre devra s’assumer et se faire accepter. Ce ne sera pas gagné.

Par PIERRE HAVAUX

Recevable mais à ce jour non fondée : la question d’une Flandre indépendante est hors de propos. Ce sont ceux-là mêmes qui en font leur but ultime qui le soulignent. Pas sots, Bart De Wever et ses séparatistes : triomphante, la N-VA sait bien qu’il n’a pas les moyens de réaliser cette ambition. Partie remise ? L’avènement d’un Etat flamand figure toujours parmi les dix commandements de la N-VA comme du Vlaams Belang. Il fait rêver une frange de l’électorat chaufféà blanc. Il alimente vaguement des réflexions dans certains milieux académiques ou économiques. Mais les Flamands en restent là, divisés sur le sujet.

L’affaire paraît fort mal emmanchée. Avant de songer à voler de ses propres ailes, la Flandre devra briser le ménage belge. Elle ne pourra obtenir le divorce qu’en le négociant à l’amiable avec les francophones, wallons et bruxellois. Et en y mettant le prix, à l’heure de solder les comptes.

1 Le poids indigeste de la dette

Le ménage belge est lourdement endetté. Surendetté même. Les Flamands devront assumer leur part du passif. Le partage du fardeau promet bien du plaisir. « Belgique et Pays-Bas ont mis plus de dix ans à se partager la dette publique commune en 1830 », rappelle Robert Deschamps, économiste aux Facultés universitaires de Namur. L’opération, faisable, exigera de douloureux comptes d’apothicaire qui ne feront qu’alourdir la facture.

Le Pr Deschamps prédit « une hausse des charges d’intérêts de la dette publique due à une négociation certainement difficile du partage de cette dette ». Il se trouve bien l’un ou l’autre économiste flamand pour espérer trouver la parade : si la Wallonie et Bruxelles décidaient dereprendre à leur compte le label « Belgique », ces deux Régions auraient à prendre en charge les actifs et les passifs de l’Etat défunt. Trop facile. La dette publique devra se partager selon des paramètres équitables, à définir. « Cela fera l’objet de négociations d’ordre politique », répond en bottant en touche Danny Pieters, professeur à la KUL et nouveau sénateur N-VA. La Flandre, proche du désendettement avant que la crise économique ne plombe ses finances publiques, héritera d’un boulet financier.

2 La perte du bijou bruxellois

Bruxelles, capitale de la Flandre, rapporte gros au nord du pays : quelque 15 milliards d’euros par an. « Un moteur économique » qui fait aussi tourner à plein régime les 250 000 navetteurs flamands venus bosser tous les jours à Bruxelles. Bonne affaire pour la Flandre, qui n’envisage pas de se passer d’une telle source de profits. Encore faudrait-il, en cas de séparation, demander l’avis des Bruxellois. La réponse risque de faire peu de doutes. « C’est se faire des illusions de croire que Bruxelles pourrait se laisser inféoder à la Flandre. Même les Flamands de Bruxelles s’y opposeraient », estime Sylvain Plasschaert, professeur émérite d’économie à l’université d’Anvers et à la KUL (1).

Les règles fiscales internationales feront tomber de haut une Flandre qui perdrait le filon bruxellois dans son aventure indépendantiste : place à la taxation des navetteurs flamands sur le lieu de travail. Perte sèche estimée en impôts et cotisations sociales : autour des 5 milliards d’euros par an. Dur, dur.

3 La Flandre prospère… youpla, boum !

La Flandre indépendante mise sur des recettes fiscales et parafiscales alimentées par son dynamisme économique. Le calcul n’est pas faux. Mais se heurte toujours à cette règle fiscale internationale rappelée par lePr Deschamps : « L’impôt des personnes physiques et les cotisations sociales sont prélevés au lieu de travail et non au lieu de résidence. Cela modifie substantiellement la répartition actuelle des recettes », vu l’interdépendance économique étroite entre les Régions du pays. Les patrons flamands redoutent ainsi de perdre la nationalité belge.

« Un tiers des entreprises de plus de 100 travailleurs ont des sites de production dans au moins deux Régions », rappelle encore l’économiste namurois. Et puis la roue tourne. « L’économie en Flandre a sans doute mieux évolué que celle en Wallonie. Mais comme les effets de la crise internationale actuelle sur des secteurs industriels en Flandre nous le rappellent crûment, il n’y a guère lieu de pavoiser », relève le Pr Plasschaert. Opel Anvers l’a prouvé : la machine économique flamande et son tissu industriel sont largement sous contrôle étranger. Le colosse économique a des pieds d’argile.

4 Une sécu en noir et jaune, charge des pensions comprise.

Cette fragilité ne dissuade pas les milieux nationalistes flamands de rêver d’un système social en noir et jaune. La N-VA a enrôlé sous sa bannière un expert en la matière : Danny Pieters, ancien élu VU, mais encore professeur en droit de la sécurité sociale à la KUL. « La N-VA ne prétend pas que la sécurité sociale serait débarrassée de tous problèmes si elle devenait flamande. Mais la sécu est un supertanker que l’on ne peut faire changer de route que progressivement », estime Danny Pieters. A ses yeux, le conduire à bon port exige de larguer les amarres avec le modèle belge, parce que « les francophones ont une image totalement différente de la « sécu » ».

Et vogue la galère ? « Une sécu flamande ne poserait pas plus de problèmes qu’une sécu belge en difficulté. Des Etats plus petits, comme le Luxembourg, parviennent à faire fonctionner une sécu viable économiquement. Je ne vois pas de raison d’en douter pour la Flandre. Sinon, je ne serais pas à la N-VA », assène le spécialiste. Qui envisage le processus par étapes… D’abord scinder soins de santé et allocations familiales. Puis la politique de l’emploi et les allocations de chômage. Enfin, comme par hasard, les pensions : le morceau le plus dur à avaler pour une Flandre confrontée à un vieillissement rapide et prononcé de sa population.

5 La dure reconnaissance de l’indépendance.

Résolue à prendre son envol, la Flandre ne serait pas encore au bout de ses peines. Il lui faudra se faire accepter dans le concert des Etats européens. Ce serait loin d’être une formalité. Gênant, estime Vincent Laborderie, chercheur de l’UCL qui compare les situations d’indépendance : « Vu la structure de l’économie flamande (tertiaire et très ouverte à l’international), une reconnaissance rapide de l’ensemble des autres Etats membres de l’Union européenne est indispensable. »

Elle risque de se monnayer, selon l’ex-Premier ministre et ancien chef de la diplomatie belge, le CD&V Mark Eyskens confiant ses inquiétudes au journal Le Soir : « Ce qu’on sous-estime en Flandre, c’est qu’en cas de sécession la Wallonie et Bruxelles continueront à former une « petite Belgique » sur le plan international, membre de l’Union européenne et des Nations unies. Cette « petite Belgique » sera représentée par un ministre des Affaires étrangères francophone qui risque alors de s’opposer à l’entrée de la Flandre dans l’UE. » La Flandre mise au ban des nations, sur la voie d’une « sorte de Kosovo », dixit Mark Eyskens, sortie affaiblie d’une séparation douloureuse avec les francophones. Pauvre Flandre indépendante…

(1) Sylvain Plasschaert, La Belgique dans tous ses états, éd. Le Cri.

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