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Schizophrénie au MR

Doublement meurtris par les scrutins de 2009 et de 2010, les libéraux francophones ne parviennent plus à souffrir en silence. Vives tensions, noms d’oiseaux, disputes pour des places devenues chères. Le déballage en cours trahit des failles plus profondes. Qui font que la planète bleue ne tourne plus rond.

Par PIERRE HAVAUX

Parti groggy, président poussé vers la porte de sortie, fronde interne et linge sale lavé en place publique. Les bleus en ont déjà vu d’autres, des vertes et des pas mûres. Ils ont même déjà tâté du divorce : au début des années 1970, quand les chemins des libéraux wallons et bruxellois ont été jusqu’à se séparer. Il avait fallu tout le dynamisme et la poigne d’un Jean Gol pour les réinstaller dans une maison commune : le PRL en 1979.

Trente ans après la pendaison de la crémaillère, les lieux ont bien changé. Le parti libéral s’est offert un nouveau toit pour abriter une famille élargie. D’autant plus remuante. PRL + FDF + MCC : ça déménage au MR. Surtout depuis le très mauvais bulletin électoral ramenéà la maison le soir du 13 juin, qui pourrit l’ambiance. Pour un peu, les tendances « au suicide collectif » resurgiraient, agitées par des pensionnaires alarmistes. Derrière la mauvaise passe que traversent les libéraux s’accumulent de vraies fragilités. Les séances sur le divan s’annoncent longues et douloureuses.

Leur discours : il a tout pour plaire mais ne rassure pas. Echouer comme il vient de le faire ne ressemblait plus au MR, habituéà de bons résultats électoraux. 1999, 2003, 2007 surtout : autant de succès. Puis ce coup de mou aux régionales de 2009. Avant le coup de massue du 13 juin. Interpellant. « Cet échec est d’autant plus intrigant que certaines idées typiquement libérales ont gagné du terrain dans l’opinion », selon Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp. Modération fiscale, soutien aux entreprises, questions de société. Le message libéral a même percolé dans les programmes des autres partis. Mais la crise économique est là. « Il semble que le MR, dans ces moments d’inquiétude sociale, ne parvienne pas à rassurer. » A rendre assez audible son discours social. De quoi en perdre des voix. « Le MR vient d’encaisser son plus mauvais score depuis quinze ans. » Depuis les premiers pas de cette alliance entre PRL et FDF qui fait jaser.

Leur parti : un côté »fourre-tout » inachevé. Je suis plus qu’un cartel ou qu’une fédération, mais moins qu’un parti intégré : qui suis-je ? Le Mouvement réformateur. Curieux « bidule », fruit d’un chantier non abouti. Premier coup de pelle le 14 septembre 1993 : le parti réformateur libéral s’associe au FDF. Dans l’esprit de l’architecte libéral Jean Gol, ce n’était que la pose de la première pierre, avant une fusion des deux partenaires. Coup du sort : sa disparition brutale en septembre 1995 l’empêche de mieux cimenter l’édifice. Louis Michel puis Daniel Ducarme ne pourront faire mieux que de resserrer les boulons. Mars 2002 : la fédération PRL-FDF, enrichie d’une chapelle, le MCC de Gérard Deprez, se mue en Mouvement réformateur. « Un petit pas supplémentaire vers une intégration plus forte des trois composantes de la fédération », observe Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Mais ce petit pas ne suffit pas à parachever la construction. Qui reste bâtie sur une équivoque : jusqu’où est-on MR ?

Leur fêlure : le FDF fait chambre à part sous un même toit. Alors que le pilier libéral a mis l’étiquette PRL en veilleuse pour prendre résolument la carte du MR, le FDF a jalousement gardé son enseigne intacte. Donc sa visibilité. « Le FDF a toujours exprimé son refus d’une intégration extrême et sa volonté de garder sa liberté sa parole », rappelle Pascal Delwit. Un mini-Etat FDF dans l’Etat MR. Moins toléré quand l’adversité exigerait que l’on se serre les coudes.

Leur désespoir : la reconquête manquée de la place forte bruxelloise. Une délicate cohabitation entre le FDF et le PRL, pour un objectif jugé crucial mais manqué : « le MR n’a pas réussi à se rendre incontournable en région bruxelloise », relève le politologue. Il croupit au contraire dans l’opposition depuis 2004. Vrai coup dur.

Leur poisse : un agenda obstinément communautaire. BHV, réforme de l’Etat : les libéraux ne sont pas dans leur élément. Leur core business, c’est le socio-économique. Là où ils peuvent faire la différence. Comme à l’issue de cette belle victoire électorale de novembre 1981, portée par la vague néo-libérale. Le PRL la transforme politiquement dans un gouvernement d’austérité budgétaire sans précédent qui frappe les esprits, où son homme fort Jean Gol donne le ton. Aujourd’hui au MR, seul le FDF trouve ses marques et s’offre une vitrine sur le terrain communautaire labouré par nationalisme flamand. De quoi agacer un peu plus les libéraux pur jus. Bart De Wever et la N-VA, semeurs de zizanie au sein du MR.

Leur tuile : le scrutin de 2007, quand le meilleur tourne au pire. Le MR ne s’en est toujours pas remis, de cet authentique exploit électoral qui s’est achevé en cuisante défaite politique. D’abord l’extase du scrutin de juin 2007. Les libéraux détrônent le PS de sa première place en Wallonie, entrent dans l’Histoire. Puis la déconvenue. Didier Reynders ne deviendra pas l’artisan d’une orange bleue (libérale-démocrate-chrétienne) rêvée. Plus modestement, il devra gouverner en compagnie d’un PS revenu dans le parcours. Echec politique d’une stratégie de rupture électoralement payante. Mais qui présentait le risque d’isoler le MR sur l’échiquier francophone. Echec personnel : « Didier Reynders a raté la transformation du penalty », résume Pascal Delwit. Prié de rentrer au vestiaire, le président du MR peut refaire le match dans sa tête. Pester contre Joëlle Milquet, cette coriace « Madame Non » qui lui a fait perdre la partie, en l’empêchant de tourner la page socialiste.

Leur cauchemar : le CDH version Joëlle Milquet. PSC, CDH : l’éternel caillou dans la chaussure des libéraux. Ils ont pourtant tenté de s’en débarrasser. Façon Louis Michel au milieu des années 1990, en draguant le monde chrétien. Alors politologue à l’ULB, l’actuelle figure de proue du PS Paul Magnette avait étudié de près la man£uvre. « Le but était de conduire à l’éclatement du parti social-chrétien et de donner ainsi à la partie francophone du pays une physionomie bipolaire. » Le grand dessein libéral : devenir la principale force d’opposition au PS, à la faveur d’un nouveau mode de scrutin majoritaire. Pari doublement perdu. Les libéraux n’ont pas trouvé la majorité nécessaire pour changer la règle électorale. Et n’ont pu avoir raison du monde politique social-chrétien. « Alors qu’ils espéraient rayer les catholiques de la carte politique, les libéraux ont paradoxalement contribuéà donner vigueur à un nouveau centrisme – plus petit mais politiquement cohérent. »

Incarné par un CDH déconfessionnalisé, maintenu en vie grâce au système proportionnel, et chevillé au PS par la volonté de Joëlle Milquet. Le MR s’y est bien cassé les dents. Comble de l’infortune : le CDH lui a repris sur l’échiquier la position de pivot qui avait permis aux libéraux de Louis Michel de renvoyer le PSC dans l’opposition en 1999 et de gouverner avec le PS. Une histoire de fous ? Paul Magnette le suggérait lourdement quand il diagnostiquait, au milieu des années 2000, des libéraux en « situation schizophrénique. » Bigre : cela ne se guérit pas facilement.

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