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Sans la N-VA, pas de réveil wallon ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La seule présence des nationalistes flamands constitue un électrochoc susceptible de doper le développement francophone. Par la voie des réformes libérales. Ou par la mobilisation des forces vives, en réponse à la menace confédérale. Jusqu’à recréer un front PS-MR ?

Tremblez, bonnes gens de Wallonie et de Bruxelles, le spectre du confédéralisme est de retour ! La N-VA, déchirée par une crise interne et affectée par le départ de ses députés fédéraux Hendrik Vuye et Veerle Wouters, remet le communautaire sur la table. C’est écrit : les deux prochaines années seront tendues. Bart De Wever ne dit-il pas que  » tôt ou tard, la pression sur le PS deviendra intenable  » ? N’insiste-t-il pas sur le fait que la politique menée au fédéral est  » bonne pour la Flandre  » ?  » Quand De Wever se réjouit de la flamandisation de l’Etat, ce n’est pas le PS qu’il insulte, mais 4 millions de francophones « , rétorque le président du PS, Elio Di Rupo. On se croirait revenu au temps du bras de fer stérile entre les deux principaux partis du pays. Une menace. Un cauchemar.

Pourtant, il est une autre grille de lecture possible pour aborder ce nouvel épisode chaud de la politique belge. Car les temps ont changé. La suédoise a enraciné l’alternance au pouvoir, les ministres N-VA deviennent populaires en Wallonie et les réformes socio-économiques entreprises ont le mérite de la clarté. Pour les partisans de la droite, la politique menée est celle menant au redressement tant attendu de la Belgique.

 » Horreur « , crie-t-on à gauche ? C’est une autre source de motivation pour la Wallonie et Bruxelles. La N-VA est aussi devenue au fil du temps un aiguillon pour les francophones. Sa simple présence, diabolisée par moments, est une piqûre de rappel : le fédéralisme belge est évolutif, une nouvelle réforme de l’Etat sera, à terme, inéluctable. Pour la Wallonie et Bruxelles, une seule issue face à cette  » flamandisation « , celle du redressement économique et de la modernisation institutionnelle en interne. L’urgence est là, la mobilisation des forces vives indispensable au sud du pays.

Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois (PS), propose de réduire le nombre d'élus régionaux. Une réaction aux critiques flamandes.
Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois (PS), propose de réduire le nombre d’élus régionaux. Une réaction aux critiques flamandes.© BART DEWAELE/IMAGEDESK

Il en est même un, le ministre-président wallon Paul Magnette (PS), qui demande à son homologue nationaliste, Geert Bourgeois, d’investir en Wallonie, en prenant pour modèle la façon dont la Flandre a recomposé son tissu économique (Le Vif/ L’Express du 23 septembre). Au-delà du repoussoir politique qu’elle représente un peu facilement, la N-VA peut être perçue comme un moteur nécessaire au développement wallon.

La N-VA en mutation

Reprenons le raisonnement. La N-VA est en crise, critiquée par l’aile plus radicale du Mouvement flamand pour avoir renoncé temporairement à ses aspirations communautaires. Son président a exaspéré Hendrik Vuye et Veerle Wouters, les deux députés en charge d’une réflexion sur les modalités à suivre pour atteindre le confédéralisme.  » Pourtant, Bart De Wever n’a rien dit de neuf par rapport à 2014 « , tempère Carl Devos, politologue à l’université de Gand. En substance, les termes de la stratégie présidentielle restent les suivants : poursuivre la suédoise sans le PS en 2019 si c’est possible, redégainer le confédéralisme si le PS revient à la table. Insuffisant pour Vuye et Wouters, qui ont claqué la porte. La rupture consommée avec les nationalistes pur jus ouvre, potentiellement, une zone de turbulences pour la majorité fédérale. Car la N-VA devra donner des gages de radicalité à son aile dure.

 » A première vue, ce qui se passe à la N-VA n’est pas une bonne nouvelle pour le MR, acquiesce Carl Devos. Jusqu’ici, la réflexion sur le confédéralisme était un passe-temps octroyé à Vuye et Wouters, ce n’était pas politiquement très important. Maintenant, c’est autre chose avec leurs deux remplaçants, Sander Loones et Matthias Diependaele (NDLR : respectivement vice-président et chef de groupe au parlement flamand, des personnalités qui montent). Bart De Wever a d’ailleurs insisté sur le fait qu’il allait mettre le sujet à l’agenda. Mais tout le monde sait, en Flandre, que les chances sont infimes pour la N-VA de négocier le confédéralisme en 2019. Dans ces conditions, le MR restera son choix préféré. La chance reste grande de continuer avec un Michel II.  »

La voie des  » bonnes  » réformes

Dans les rangs libéraux, cette actualité interne à la N-VA désarçonne, certes.  » Je ne sais pas encore si cette crise est bonne pour nous ou si c’est le début des emmerdes, lâche un député fédéral. Il y a un malaise croissant au sein du MR sur le volet séparatiste.  » Mais le vice-président du MR et député régionaliste wallon, Jean-Luc Crucke, minimise dans un entretien au Vif/L’Express :  » Bart De Wever parle aux Flamands…  » C’est la ligne de défense habituelle quand le président des nationalistes flamands joue la provocation. Il insiste, aussi : la politique menée au fédéral par la suédoise est  » bonne pour Bruxelles et la Wallonie autant que pour la Flandre « . D’autant que la N-VA reste  » loyale  » à la majorité.

Une correction qui s’explique, selon Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol, le service d’études du MR :  » Quand nous sommes montés au fédéral, beaucoup d’éléments indiquaient que la N-VA était en train de muter. Elle met désormais la prévalence sur la gouvernance socio-économique. C’est un repositionnement indispensable si elle veut garder des scores équivalents. Le fait que la N-VA ait une telle audience en Flandre est surtout révélateur d’un malaise économique, notamment lié à la question des transferts nord-sud. Le gouvernement actuel est en train d’inverser la tendance en redressant l’économie belge. De ce point de vue, la N-VA marque des points auprès de la part la plus significative de son électorat.  » Sa conviction : Bart De Wever instrumentalise désormais le communautaire pour obtenir des réformes structurelles.

Le séparatisme écarté

 » Le poids grandissant du PTB va contraindre le PS à devenir plus radical, note encore Carl Devos. Cela risque d’être un frein supplémentaire à une coalition fédérale avec le MR et la N-VA. Après vingt-cinq ans de PS au pouvoir, le MR, la N-VA et l’Open VLD ont, en outre, besoin de temps pour aller au bout de leurs réformes.  » Traduction : une suédoise 2 permettrait de terminer le travail, sans le PS.  » Une chose est acquise : les électeurs sont maintenant en mesure de juger que l’on peut gouverner sans les socialistes, dit-on au MR. La présence du PS au fédéral n’est pas indispensable pour la survie de l’Etat. En réalité, aucun parti n’est indispensable. Toute cette peur véhiculée de façon quasiment hystérique selon laquelle gouverner sans le PS serait une catastrophe, c’est un discours qui ne marchera plus. Le PS doit trouver d’autres arguments.  »

Une comparaison naturelle s’impose avec les deux législatures de gouvernement Verhofstadt, dans les années 1990. Après avoir rejeté les partis chrétiens dans l’opposition, libéraux et socialistes (aidés un temps par les écologistes) avaient pris le temps de deux législatures pour mener leur révolution éthique : mariage homosexuel, dépénalisation de l’avortement et de l’euthanasie… Pour les défenseurs de la suédoise, un tel cap de réformes aurait en outre la vertu de ne pas raviver le démon communautaire.  » La volonté séparatiste était intimement liée à la toute-puissance de l’appareil PS, résume Corentin de Salle. Même si les socialistes ne sont pas des séparatistes, ils ont indirectement nourri ces velléités. Sans le PS, le danger du séparatisme s’éloigne. C’est ce qui fait dire à certains que le prolongement du gouvernement Michel est possible, voire probable. Cela dépend d’un certain nombre de paramètres, mais la tendance générale est bonne.  » Il reste deux ans pour le démontrer. Une éternité…

Une autonomie plus grande

Cette conviction selon laquelle les réformes entreprises au fédéral sont favorables pour la Wallonie repose sur des considérations philosophiques fortes.  » L’intention première des partis flamands, N-VA en tête, c’est évidemment le bien-être des Flamands, pas celui des Wallons, ni le sauvetage des régions industrielles, reconnaît Corentin de Salle. Il reste des leviers importants au fédéral pour mener cette politique-là : droit du travail, fiscalité… Mais ce qui profite à la Flandre profite également à la Wallonie. Pour paraphraser Adam Smith, la recherche d’un intérêt propre peut coïncider avec la poursuite de l’intérêt général.  »

Le raisonnement rejoint pratiquement celui tenu par les pays riches à l’égard de ceux en voie de développement : c’est en apprenant à pêcher que l’on assure son avenir, pas en recevant chaque jour son aumône.  » Paradoxalement, c’est peut-être lorsqu’on n’a pas envie de secourir la Wallonie qu’on l’aide le mieux, insiste le directeur scientifique du Centre Jean Gol. On accorde aux gens une plus grande autonomie et on réveille les forces vives. Ce n’est pas en étant penché en permanence sur le lit d’un malade qu’on arrivera à le guérir.  »

Elio Di Rupo (PS) et Charles Michel (MR) lors de leur passation de pouvoir il y a deux ans. Et s'ils se retrouvaient ?
Elio Di Rupo (PS) et Charles Michel (MR) lors de leur passation de pouvoir il y a deux ans. Et s’ils se retrouvaient ?© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Le numéro un wallon Paul Magnette ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme ne plus vouloir dépendre des transferts venant de Flandre. Ou lorsqu’il veut s’inspirer pour la Wallonie de la façon dont la Flandre a recomposé un tissu de PME couvrant tout le processus de production, pour enraciner la valeur ajoutée dans la Région. C’était la teneur de son discours à Geert Bourgeois dans nos colonnes : les francophones ont le droit de nourrir une démarche  » patriotique  » pour se relever.

Une mobilisation contre la montre

 » Comment peut-on imaginer que la N-VA pourrait contribuer à redresser la Wallonie ? s’insurge Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne et régionaliste convaincu. Nous avions publié en début d’année une étude démontrant que la politique fédérale est encore plus négative pour la Wallonie que pour la Flandre. Dans les faits, la flamandisation de la politique belge exprimée par Bart De Wever se vérifie sur le terrain.  »

C’était en février 2016, la FGTB dénonçait pêle-mêle l’impact aggravé en Wallonie du contrôle des chômeurs, des économies dans les services publics, de l’augmentation des accises sur le diesel, des intérêts notionnels, voire de la baisse des recettes engendrées par le tax-shift fédéral. Du lourd. C’est notamment pour dénoncer ces  » dégâts  » que des milliers de francophones manifestent ce jeudi 29 septembre à Bruxelles.  » Les dernières déclarations du président de la N-VA sont une peau de banane sous les pieds du MR, plus que jamais larbins des nationalistes flamands « , estime Thierry Bodson.

La présence de la N-VA au pouvoir a le don de provoquer des vagues sur le terrain politique wallon. En réponse à la suédoise, le secrétaire fédéral de la FGTB, Marc Goblet, a plaidé pour une union sacrée à gauche entre le PS, Ecolo et le PTB. Significativement, l’idée n’a pas été balayée du revers de la main par Elio Di Rupo. Sur le plan institutionnel, ça phosphore dans tous les sens pour rendre l’espace francophone davantage performant. La question de la régionalisation de certaines compétences – enseignement, culture… – a été soulevée tant au sein du PS que du MR. Et en réponse aux critiques émanant de Flandre, le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS) a présenté un projet de réforme des institutions avec une diminution du nombre d’élus et des listes bilingues.  » La pression de la N-VA oblige les francophones à être plus autonomes et plus responsables, décode Carl Devos. Un jour ou l’autre, il y aura une nouvelle réforme de l’Etat, c’est inévitable. Il est donc positif que les francophones soient obligés de réfléchir à une contre-stratégie. On ne peut pas rester éternellement demandeurs de rien…  »

 » Ce ne sont pas des éléments de stratégie d’un parti dictés par les pertes dans les sondages, parce que c’est de cela dont on parle, qui réveillent les forces vives wallonnes, réfute Thierry Bodson. Ce qui provoque cette mobilisation, c’est l’urgence : il reste huit ans avant que la nouvelle loi de financement n’enclenche ses effets négatifs.  » C’est l’éternelle histoire de la Belgique depuis son évolution fédérale : la pression engendrée par le nationalisme flamand induit des réformes qui poussent la Wallonie à se prendre en main. Et à tourner la page industrielle.

La sixième réforme de l’Etat, négociée par les partis traditionnels en 2010-2011 sous la pression des nationalistes flamands, induira une perte structurelle de 300 à 400 millions pour la Région avant que, progressivement, la solidarité nord-sud ne disparaisse.  » C’est une évolution dont les politiques ont enfin pris la mesure, salue le secrétaire régional de la FGTB. Même si l’on manque encore d’ambition. Je plaide pour un ministre wallon des Finances et une grande réforme fiscale. C’est impossible pour l’instant en raison des difficultés entre partenaires de la majorité et de leur crainte du MR, prêt à dénoncer toute hausse d’impôts.  »

Une grande alliance PS-MR wallonne

Ce blocage renvoie à un autre scénario : la nécessité d’allier les deux principales forces politiques wallonnes pour enclencher le grand braquet du réveil régional. Cela a échoué en 2014, alors que certains plaidaient en ce sens, tant au MR qu’auprès du ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS). Une autre hypothèse en vogue pour 2019, c’est que cette union sacrée pourrait naître de l’effet conjoint d’une radicalisation de la N-VA et d’une envolée du PTB.  » En 2019, le PS risque de ne pas avoir la main, acquiesce un député libéral. Le MR pourrait revenir au pouvoir en Wallonie, peut-être même avec le PS, ce qui change la perspective à tous les niveaux.  » Et pas un peu…

Les députés dissidents de la N-VA, Hendrik Vuye et Veerle Wouters, mettent ce danger en avant quand ils dénoncent le  » cordon sanitaire  » décidé par Bart De Wever autour du PS.  » Le CDH perd tellement (NDLR : dans les sondages) que la poursuite de la coalition wallonne PS-CDH est impossible, écrivent-ils dans une opinion sur levif.be. Si ce sondage est confirmé par les élections, il y aura une majorité PS-MR en Wallonie. Un accord PS-MR pour le gouvernement wallon et le gouvernement de la Communauté française signifiera très certainement que les deux partis entreront ensemble dans le gouvernement fédéral. Dans ce cas, le SP.A sera sûrement de la partie du côté flamand. Fini le scénario d’un Michel II sans PS.  » Et adieu le rêve confédéral.

Ce ne serait pas le moindre des paradoxes : dans sa croisade confédérale, la N-VA pourrait finalement réveiller les forces vives wallonnes au point de ressouder les liens entre ceux qui se sont entre-déchirés il y a deux ans. Qui a dit que le nationalisme flamand n’a pas d’influence sur le redéveloppement de la Wallonie ?

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