© Facebook/Caroline Fourest

« Sans engagement, la vie est égoïste »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Cent ans après la Première Guerre mondiale, quelles sont les causes qui nous poussent encore à l’engagement ? Et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour les défendre ? C’est l’objet de la grande enquête Radio France – RTBF – Le Vif/L’Express menée jusqu’au 4 avril. Aujourd’hui, l’avis de Caroline Fourest, essayiste, féministe et journaliste.

Le Vif/L’Express: À vos yeux, s’engager pour soutenir et défendre une cause a-t-il toujours du sens aujourd’hui ?

Caroline Fourest: Oui, que ce soit en démocratie ou dans les pays non démocratiques. Sans cela, on ne peut que mener une vie égoïste. En Biélorussie, par exemple, mais aussi beaucoup plus près de chez nous, des gens se battent tous les jours, en prenant des risques, pour défendre leur droit à la liberté d’expression et à la liberté de penser. Mais la lutte pour la liberté a évidemment un coût beaucoup plus élevé dans les pays non démocratiques.

Un engagement, quel qu’il soit, peut-il se concevoir, selon vous, en dehors d’une réflexion religieuse, philosophique ou spirituelle ?

Bien sûr. C’est ça, l’humanisme. On ne s’engage pas forcément au profit des autres pour des motifs spirituels, mais parce que l’on souffre trop de vivre dans un monde de domination ou de censure. C’est, en ce sens, une faculté ouverte à tous.

On sait que l’individualisme a beaucoup progressé dans la société, ces dernières décennies. Malgré cette nouvelle donne, y a-t-il des valeurs susceptibles d’emporter l’adhésion d’une majorité de citoyens ? L’individualisme n’a pas progressé tant que cela… Quoiqu’il en soit, il s’agit toujours de trouver la juste mesure entre des valeurs communes et la liberté individuelle : c’est la condition indispensable pour que ce modèle convienne à tous. Ce serait un peu court de dire que la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre. Et la démocratie, ce n’est pas que la loi de la majorité. C’est aussi une exigence d’esprit critique et citoyen qui permette de vivre tous ensemble. D’où le principe de la laïcité politique à la française, respectueuse des croyances de chacun. Sans ce principe de laïcité, on assiste d’emblée à la domination d’un ensemble de valeurs sur un autre ensemble de valeurs et cela vire à la guerre de religions. Plus un état est neutre par rapport aux différentes croyances, c’est-à-dire plus il se tient à équidistance de toutes, plus il est juste.

Avez-vous le sentiment que la valeur de la vie a changé au fil de ce dernier siècle ? On chérit plus la vie et la qualité de vie aujourd’hui que ne l’ont fait les générations précédentes. Se battre jusqu’à la mort aujourd’hui n’en est que plus douloureux. Il ne faut donc le faire que quand il n’y a pas d’autre choix possible.

Comment comprenez-vous le choix de ceux qui optent volontairement pour la mort, dans des attentats suicides par exemple ? Les kamikazes qui se font exploser pensent qu’ils seront plus heureux dans le paradis qui leur est promis qu’ils ne le sont sur la terre. Ils sont fanatisés. Il faut voir ce qu’on leur promet…

Peut-on juger une société à l’aune des engagements qu’elle manifeste ?

La propension d’une société à s’engager dit d’elle-même soit le meilleur, soit le pire. Le pire quand elle pousse les gens à protester parce qu’ils n’ont plus rien à perdre ; le meilleur si cette protestation atteste que cette société est parvenue au degré le plus élevé de la démocratie.

À titre personnel, donneriez-vous votre vie pour défendre une cause qui vous est chère ? Si je vivais sous un joug totalitaire, qui m’interdisait de parler et de penser, je le ferais, oui.

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