Le chantier de rénovation de l'Îlot Louvain, à Bruxelles, a plombé les finances de la SABH. Pour la sauver, la Ville et le CPAS ont injecté deux millions d'euros. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Samusocial, Cuisines bruxelloises… et maintenant la Société bruxelloise des habitations ?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Après le Samusocial et les Cuisines bruxelloises, voici la Société anonyme bruxelloise des habitations et ses 230 logements (peu) sociaux. Généreuse envers ses dirigeants MR et PS, elle capte aussi les ressources de Bruxelles-Ville et de son CPAS. Des liaisons dangereuses ?

C’est une très vieille dame de 149 ans, qui loge discrètement dans le bâtiment du CPAS de Bruxelles. Il y a fort longtemps, elle proposait un toit à la classe ouvrière, ainsi qu’aux ménages à faibles revenus. Mais avec l’âge, tout est devenu plus compliqué. Ses immeubles ont pris un coup de vieux, eux aussi, et quelques chantiers ont plombé ses finances. A tel point que les 230 logements qu’elle possède encore ne sont plus si sociaux – d’ailleurs, elle n’aime plus cet adjectif. Aujourd’hui, elle les réserve à des  » revenus moyens « . De temps à autre, la Ville de Bruxelles et son CPAS l’aident à renflouer ses caisses. Il y a deux ans, elle a reçu deux millions d’euros de leur part. Et heureusement, car la vieille dame aime beaucoup dépenser : 324 590 euros en 2016. C’est 20 000 euros de plus que l’année précédente.

Cette vieille dame, c’est la Société anonyme bruxelloise des habitations (SABH), ancienne Société anonyme des habitations ouvrières dans l’agglomération bruxelloise. Dès sa création, en 1868, elle a acquis plusieurs dizaines d’immeubles répartis sur Bruxelles, Molenbeek, Anderlecht et Schaerbeek. Comme il s’agit d’une coupole (pseudo) privée, ses 230 logements ne seraient pas soumis aux restrictions imposées par le Code bruxellois du logement, qui interdit, entre autres, de fixer un montant minimal de revenus pour les candidats locataires.

« Profondément antisocial »

Cette disposition agace particulièrement les deux actionnaires publics de la SABH : le CPAS de Bruxelles (67,2 % des parts) et la Ville (32,4 %). En mars 2015, le CPAS, défendu par l’avocat Marc Uyttendaele, avait d’ailleurs attaqué le Code devant le Conseil d’Etat, sans obtenir gain de cause sur cet aspect. De son côté, la SABH prévoit que les candidats doivent disposer de revenus nets, dettes déduites, correspondant à minimum trois fois la valeur du loyer.  » Pour ne pas mettre en péril des ménages avec des loyers trop importants par rapport à leur revenus « , précise son directeur, Gregory Marque.  » C’est profondément antisocial « , réplique le député Ecolo Alain Maron, qui interpellera prochainement la ministre bruxelloise du Logement, Céline Fremault (CDH).

Dans les faits, la SABH est bien moins une affaire privée qu’elle le prétend. D’abord parce qu’elle est détenue à 99,6 % par un tandem public. Ensuite parce que tout ce qui s’y décide est le résultat de tractations politisées, souvent schizophréniques. Son administratrice déléguée, Vanessa Issi, est la cheffe de cabinet d’Alain Courtois (MR), premier échevin à Bruxelles. La présidente n’est autre que Pascale Peraita (PS), au coeur du scandale du Samusocial. Le socialiste Yvan Mayeur, déchu du mayorat de Bruxelles pour les mêmes raisons, y a aussi siégé à ce titre en 2013, comme indiqué récemment par le journal La Capitale. Deux mandataires se partagent la vice-présidence : il s’agit de Michel Barnstijn (PS), actuel président ad interim du CPAS bruxellois, et de Christophe Pourtois (MR). Neuf autres membres, essentiellement étiquetés PS ou MR, complètent le conseil d’administration. Tous sont désignés sur proposition des pouvoirs publics. Quant au directeur de la SABH, il est par ailleurs responsable des propriétés au CPAS.

« A Bruxelles, la majorité s’assied sur les règles régionales dès qu’elle en a l’occasion », critique le député Ecolo Alain Maron.© Philip Reynaers/PHOTO NEWS

40 407 euros de jetons en 2016

Tout comme au Samusocial, d’ici peu au centre d’une commission d’enquête parlementaire, la SABH a mis en place un bureau pour assurer sa gestion. On y retrouve l’administratrice déléguée, la présidente et les deux vice-présidents. Aucun article dans les statuts de la société n’encadre son fonctionnement, ni le nombre de réunions. A cet égard, la désignation et la rémunération de vice-présidents ne reposent visiblement sur aucune base statutaire. La SABH se montre assez généreuse envers les membres du bureau. L’article 11 indique que le conseil d’administration  » peut déterminer la rémunération fixe ou variable de l’administrateur(trice) délégué(e), imputée sur les frais généraux, avec la possibilité de prévoir également la rémunération du (de la) président(e) « . En 2016, Pascale Peraita et Vanessa Issi, rémunérées par ailleurs pour leurs autres mandats, ont chacune perçu 12 541,20 euros brut en jetons de présence. Pour les vice-présidents, ces émoluments s’élèvent à 6 000 euros brut. Le montant unitaire des jetons de présence octroyés aux membres du conseil d’administration, qui s’est réuni quatre fois en 2016, ne figure pas davantage dans les statuts. Au total, la SABH a affecté 40 407 euros pour ce poste de dépense l’année dernière.

Dans les faits, la SABH, détenue à 99,6% par un tandem public, est bien moins une affaire privée qu’elle le prétend

Mais d’autres lignes budgétaires posent question dans cette structure dont les finances vacillantes ont été sauvées, en mai 2015, par une augmentation de capital de deux millions euros via le CPAS et la Ville de Bruxelles, proportionnellement à leur poids respectif. Alors que la SABH ne compte que 3,3 équivalents temps plein, les frais de personnel s’élèvent, en 2016, à 218 910 euros pour les deux temps-pleins et à 105 681 euros pour les trois temps partiels. Soit un total de 324 590 euros.  » Les salaires et appointements sont de plus ou moins 200 000 euros, commente Gregory Marque. Le reste du poste comptable correspond aux charges sociales ONSS, aux assurances loi et pension, aux chèques repas, aux déplacements et aux frais de gestion du secrétariat social.  »

Outre la hauteur des salaires et avantages liés, Alain Maron s’interroge sur le faible nombre de travailleurs au regard de la taille du parc immobilier gérés par la SABH. Le CPAS consacrerait-il une partie de ses ressources publiques à la gestion de cette société privée ? Grégory Marque conteste :  » Depuis quelques années, nous utilisons un software pour la gestion des loyers, des entrées, des débiteurs et des indexations, ce qui a augmenté notre productivité. De plus, il y a relativement peu de départs de locataires, car les loyers sont démocratiques et le vide locatif est faible. Ce sont également des éléments qui facilitent grandement la gestion.  » De son côté, le directeur dispose de deux contrats distincts pour les fonctions qu’il exerce en parallèle à la SABH et au CPAS. Mais la proximité entre les deux structures, à commencer par leur siège social commun, reste pour le moins troublante.

Samusocial, Cuisines bruxelloises... et maintenant la Société bruxelloise des habitations ?
© DR

Des subsides et un partenariat

Ce qui amène une autre question, selon Alain Maron : si la SABH capte des ressources publiques, comme ce fut au minimum le cas lors de sa recapitalisation, son parc de logements ne doit-il pas répondre aux restrictions du Code bruxellois du logement, notamment par rapport aux conditions d’admission ? Le député veut aujourd’hui faire la lumière sur d’éventuelles distorsions permettant à la SABH de bénéficier de subsides publics via le CPAS, notamment lors de rénovations de certains immeubles. Le député pointe notamment le partenariat, conclu en juin 2008, entre la SABH et le CPAS dans le cadre de la rénovation de l’îlot Louvain, à Bruxelles. Situé entre la chaussée de Louvain, la rue du Carrousel, la rue Charles Quint et la rue de Pavie, cet ensemble de bâtiments constituait jusqu’il y a peu l’un des patrimoines les plus anciens de la SABH.  » Le CPAS, qui prenait les immeubles à bail emphytéotique, devait se charger d’en concevoir, d’en organiser et d’en financer la rénovation, partiellement au moyen de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale et en recourant à l’emprunt, confirme Grégory Marque. De son côté, la SABH se voyait confier un mandat de gestion locative de l’ensemble immobilier, incluant le droit de fixer les conditions locatives.  » Or, pour Alain Maron, le recours partiel à des subsides induisait inévitablement l’obligation de soumettre ces immeubles aux critères du Code bruxellois du logement.

Mais la convention s’est soldée par un échec. Confrontée à des coûts de chantier de 18 millions d’euros au lieu des 11 annoncés, la SABH a finalement dû se résoudre à revendre l’îlot Louvain au fidèle CPAS.  » Avec ce projet immobilier, la SABH a accusé un déficit significatif qui ne pouvait en aucun cas être compensé par les loyers des autres logements, poursuit son directeur. Depuis lors, la SABH n’a plus rien à voir avec ces immeubles.  » A ce stade, aucune distorsion impliquant la perception de subsides publics n’est avérée pour les autres biens appartenant à la SABH.  » L’entretien et la rénovation de ces logements ne font l’objet d’aucune subvention « , souligne Grégory Marque. Une affirmation qui aurait été fausse si le projet de l’îlot Louvain avait atterri dans les conditions fixées initialement.

La SABH devait-elle vraiment être sauvée par les pouvoirs publics ? A-t-elle encore une raison d’être, au-delà de la volonté du CPAS et de la Ville de Bruxelles de distribuer quelques mandats et de défier la Région en sortant quelque 230 logements du carcan public ?  » C’est révélateur du comportement de la majorité à Bruxelles, qui s’assied sur les règles régionales dès qu’elle en a l’occasion « , critique Alain Maron. Jean de La Fontaine le raconte autrement dans la conclusion de l’une de ses fables :

« Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,

Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages. »

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