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Rubens était un agent secret

En marge de l’exposition du Louvre-Lens (France), qui mieux qu’un maître-espion pour décrire la diplomatie secrète du grand peintre baroque ? Robin Libert, de la Sûreté de l’Etat, rappelle que Rubens a gagné une fortune en aidant les puissants à ne pas se faire la guerre.

Pierre Paul Rubens est né à Siegen en 1577, près de Cologne, en Allemagne. Son père, un avocat anversois protestant, s’y était installé pour échapper à la persécution des protestants dans les Pays-Bas espagnols. Après sa mort, Rubens revient à Anvers avec sa mère. Il est baptisé dans la foi catholique et apprend la peinture.

A 23 ans, il parachève sa formation dans les Etats italiens (Gênes, Mantoue, Venise, Rome). Pendant près d’une décennie, il s’imprègne des oeuvres de l’Antiquité et de la Renaissance (Raphaël, Le Caravage, Titien). « A Rome, il assimile les ficelles politiques du métier : le lobbying, la recherche de mécènes, les relations avec les évêques et les cardinaux », relève Robin Libert, numéro 3 de la Sûreté de l’Etat et fin connaisseur de la diplomatie secrète de Rubens.

Quand il revient à Anvers, son pays (l’Artois, la Franche-Comté et la Belgique actuelle sans la principauté de Liège, le duché de Bouillon et la principauté de Stavelot-Malmedy) est entré dans une nouvelle ère. Le roi Philippe II d’Espagne a délégué à son neveu et à sa fille, les archiducs Albert et Isabelle, la souveraineté sur les Pays-Bas espagnols. Déjà précédé d’une flatteuse réputation internationale, Rubens devient le peintre officiel de la Cour. Insigne privilège, il peut continuer à vivre à Anvers, dans son palais-atelier où il reçoit à sa guise et en toute discrétion des personnages chargés d’importants messages destinés à l’infante Isabelle.
Sa carrière de diplomate occulte a débuté lors de la Trêve de Douze Ans (1609-1621) qui a mis fin provisoirement aux hostilités entre les Pays-Bas du Sud et les Provinces-Unies protestantes, rebelles à l’autorité du roi d’Espagne. Jan Brant, le cousin de la première femme de Rubens, Isabelle Brant, vit en Hollande et est un intime du prince Maurice de Nassau. Celui-ci lui fait part de son désir de paix avec les provinces du Sud. A la faveur d’une visite de famille à Anvers, Jan Brant le répète à Rubens, qui communique l’information à une autre de ses relations familiales, Pierre Peck, dit Pecquius, le chancelier du duché de Brabant, lequel fait passer le message à l’Infante Isabelle. Au début, les activités de renseignement de Rubens s’appuient sur son réseau familial. Il rédige ses lettres en langage codé dans lequel Jan Brant, son cousin et correspondant, apparaît sous le surnom de el Catolico.

A la fin de la Trêve de Douze Ans, Bruxelles et La Haye ne communiquent plus que par ce canal. Ensuite, les intermédiaires s’effacent et Rubens devient l’unique interlocuteur. Il adresse directement ses rapports à l’archiduchesse et au commandant de l’armée espagnole dans les Pays-Bas méridionaux, le marquis Ambrogio Spinola. Dorénavant, Rubens est rémunéré mensuellement. Ainsi en a décidé par décret l’archiduchesse Isabelle « à cause de ses mérites, des services rendus au Roi et pour lui permettre de continuer à en donner la preuve avec plus de facilités ».

Après la mort de sa femme Isabelle Brant, la carrière parallèle de Rubens prend un nouvel essor. Son activité de peintre et de marchand d’art – c’était un grand collectionneur d’antiquités – est une couverture idéale pour dissimuler la véritable nature de ses déplacements et contacts incessants avec les puissants de l’époque. Alors qu’il peint à Paris La vie de Marie de Médicis, le grand cycle décoratif en l’honneur de la reine-mère destiné à orner la galerie de son palais du Luxembourg, il fait la connaissance de George Villiers, premier duc de Buckingham, flanqué de son homme de confiance, Balthazar Gerbier, également peintre.
« Après avoir fait le portrait du duc de Buckingham, Rubens fut invité moins d’un an plus tard à prendre part à une tentative de médiation entre l’Angleterre et l’Espagne alors en guerre, décrypte Robin Libert. Officiellement, Rubens devait acquérir des oeuvres antiques pour Buckingham et lui vendre une série de ses propres oeuvres par l’intermédiaire de Gerbier, qui l’attendait à Calais avant de réembarquer pour l’Angleterre. » Comme à son habitude, Rubens raconte tout à l’archiduchesse Isabelle et au marquis Spinola. L’info remonte jusqu’à l’Escurial, où règne le roi Philippe IV d’Espagne. Le résultat ne se fait pas attendre. Le peintre Gerbier est invité à Bruxelles. Il apporte à Rubens les courriers de Buckingham. Celui-ci propose de faire la paix simultanément entre l’Angleterre, l’Espagne, les Provinces-Unies et le Danemark. Trop difficile, retoque l’infante. Elle souhaite que les pourparlers se bornent à l’Espagne et à l’Angleterre.

Lorsque les Provinces-Unies reprennent l’offensive et conquièrent plusieurs villes des Pays-Bas méridionaux, Isabelle dépêche Rubens en mission secrète auprès des délégués du Stathouder Frédéric-Henri d’Orange-Nassau, en terrain neutre, dans la principauté de Liège. Vu le peu de résultat de sa médiation, elle convoque les Etats-Généraux des Pays-Bas du Sud, qui reçoivent le mandat officiel de négocier un traité ou, au minimum, une trêve. En décembre 1633, juste avant de mourir, l’archiduchesse Isabelle envoie encore son fidèle Pierre Paul à La Haye pour contrôler discrètement la façon dont la délégation des Etats-Généraux s’acquitte de son mandat. Mais les délégués se méfient de Rubens. Ainsi se termine sa carrière d’ « espion ».

L’exposition L’Europe de Rubens est accessible au Louvre-Lens jusqu’au 23 septembre.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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