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« Rouge » et cheminot ? Dehors !

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’ultra-gauche et la SNCB ne font pas forcément bon ménage, les dernières grèves du rail l’ont rappelé. Il fut un temps où l’incompatibilité poussait même les chemins de fer belges à virer un travailleur  » rouge  » fliqué pour prétendues sympathies communistes. C’est l’histoire du cheminot C. contée par son dossier ouvert en novembre 1934.

C., ouvrier aux chemins de fer affecté à la station de Gand-Saint-Pierre dans les années trente, file du mauvais coton. Il se laisse aller à frayer avec des gens jugés peu recommandables. Voilà cinq mois qu’il est placé sous surveillance par la Sûreté publique pour « ses fréquentations avec des communistes avérés. » Le 1er août 1934, il pousse le vice jusqu’à assister, du début à la fin, à un meeting communiste à Gand. Les agents de la Sûreté ont repéré son manège, ils notent : « au cours de ce meeting, il a salué à la manière communiste ; il a applaudi bruyamment les orateurs et il a montré une sympathie très vive pour les thèses exposées. »

Voilà le cheminot pris la main dans le sac. Le tuyau remonte jusqu’à l’employeur, la société des chemins de fer. Son compte est bon : suspendu le 31 août, c’est une démission honorable qui attend C., par application d’un Ordre général numéroté 44 du 18 mai 1934 qui prohibe ce genre d’accointances subversives.

L’intéressé a l’occasion de contester la sanction proposée et de plaider sa cause devant un conseil d’appel. Il ne comprend pas les raisons que l’on a de lui en vouloir. Il prétend tout ignorer des instructions de cet Ordre général n°44, « il n’est pas affilié au parti communiste, il ne l’a jamais été ». Il est certes pacifiste et anti-fasciste mais pas communiste. D’ailleurs « le salut communiste n’existe pas, mais bien le salut anti-fasciste ». Et puis il a des témoins à décharge : « ses camarades de travail attestent qu’il ne parle jamais de politique », et qu’il est un ouvrier exemplaire.

Le CV de ce père de famille doit achever d’écarter tout soupçon : engagé comme volontaire de guerre à l’âge de 18 ans, « il est ancien combattant » et aligne les décorations parmi lesquels la croix de guerre avec palme.

Le Conseil d’Appel croit à la bonne foi du sieur C., estime les faits non établis et désavoue la proposition de punition de la direction du rail. Laquelle n’en démord pas, le rapport de la Sûreté qu’elle a sous les yeux est parole d’Evangile : C. est un habitué du local communiste, un abonné aux réunions communistes qui a même pris part au cortège lors du congrès des pionniers communistes. Pas de doute : C. « fait profession d’opinions révolutionnaires », délit passible de la démission honorable lorsqu’on est agent « affilié à un groupement ennemi de l’Etat. » Inutile enfin de feindre l’ignorance des instructions, « celles-ci ont été publiées dans les journaux et dans les organes syndicaux », leur publicité n’est donc pas contestable. Et la direction de maintenir sa proposition de sanction : la porte de sortie. « Rouge » et cheminot, il fallait choisir.

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