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Roland Duchâtelet : Imposteur ou génie ?

Le Vif

Marqué par les huées de milliers de supporters, Roland Duchâtelet prépare ses adieux au Standard de Liège. Énigmatique, souvent incompris, l’homme d’affaires flamand veut surtout retrouver la sérénité. Portrait d’un inclassable idéaliste en avance sur son temps.

D’un pas décidé, Roland Duchâtelet traverse la pièce en direction d’un espace de travail parfaitement ordonné. C’est ici, à Sclessin, que le président du Standard de Liège a vécu dans une rare adversité ces derniers mois. Il arrive que la passion triomphe de la raison. A tort, vous dira l’ingénieur de 66 ans. Qu’importe : bientôt, la page sera tournée. L’ouragan de critiques et d’insultes proférées le 27 juin dernier par plus de 5 000 supporters a emporté ses dernières illusions.

Accusé de dépouiller son club de 20 millions d’euros, traité de paria suite à l’éviction maladroite de l’entraîneur Mircea Rednic au lendemain d’une victoire écrasante contre Gand (7-0), Duchâtelet entendait mettre fin pour de bon à la tourmente. Intention suivie d’effet le 1er juillet : lassé, menacé, il annonce alors son intention de remettre le Standard.

Trois mois plus tard, les « Duchâtelet, démission ! » ont cédé le pas à un bilan sportif presque parfait. Tant et si bien que le doute s’est immiscé parmi ses détracteurs les plus virulents : le « imposteur » se serait-il mué en génie ? Plus que jamais, le businessman aux multiples success-stories surprend, intrigue.

Qui est-il vraiment ?

A ceux qui voient en lui un dictateur, pour reprendre le qualificatif de Louis Smal, ex-président de la Famille des Rouches, l’intéressé se borne à répondre que ces « personnes-là ne le connaissent pas ». Beaucoup d’observateurs, au Standard ou ailleurs, lui reconnaissent la faculté d’écouter les arguments des uns et des autres. « Mais s’il estime avoir la meilleure proposition, il ne changera pas d’avis », admet Jean-François De Sart, le directeur sportif du Standard.

Lors des réunions stratégiques, le pragmatisme de Duchâtelet l’incite à aborder toute décision importante en notant les « pour » et les « contre » sur une feuille de papier. L’achat et la revente du Standard n’échappent pas à cette règle implacable. Idem lorsqu’il s’agit de revoir l’organisation des places du stade. « Et si l’analyse n’aboutit pas sur une conclusion quantitative, je demande des compléments d’informations pour décrocher un consensus dans la mesure du possible. »

A 21 ans, après des études d’ingénieur civil à Louvain, il enseigne à mi-temps les mathématiques dans un collège, entre ses cours en sciences économiques appliquées. Mais c’est son flair imparable dans le secteur des technologies de l’industrie automobile qui lui assurera un avenir doré. Jusqu’à faire de lui un incontournable businessman dès le début des années 1990. Aujourd’hui, sa fortune personnelle avoisine les 500 millions d’euros. Pas moins de 5 000 personnes à travers le monde travaillent pour l’une des sociétés dans lesquelles il s’investit. « Ce que j’attends de mes employés ? De la bonne humeur pour commencer, sourit Duchâtelet. Et de la créativité. »

Mais le monde du business ne lui suffit pas. Cultivé, amateur de sciences, d’économie et d’histoire, Roland Duchâtelet veut partager ses acquis pour révolutionner la société qui l’entoure à travers un savoir de plus en plus pointu. Il fonde son parti politique, Vivant, en 1997. « Roland était assurément un visionnaire, progressiste et pragmatique à la fois », se rappelle Nele Lijnen, sénatrice Open VLD issue de la mouvance Vivant. Ironie du sort, l’instauration d’un seuil d’éligibilité condamnera Duchâtelet et son équipe à rejoindre la droite flamande classique, sous l’impulsion notamment de Guy Verhofstadt. « Il y a bien sûr eu des affinités de personnes. Mais surtout, l’Open VLD était d’accord de reprendre les trois grandes lignes de notre programme. Même s’il les a un peu oubliées aujourd’hui. »

Roland Duchâtelet est exigeant envers lui-même, insatiable. « Le principe qui me conduit dans la vie, c’est d’être heureux. J’essaie d’y parvenir en me lançant dans des challenges intéressants, créatifs et difficiles. » En 2004, il reprend un peu par hasard les commandes du club de football de Saint-Trond, en proie à des difficultés financières. Son agenda et son carnet d’adresses s’épaississent, autant que son portefeuille de placements immobiliers et financiers.

Déçu jadis par « l’univers dysfonctionnel » de la politique, Roland Duchâtelet s’est heurté à nouveau, cette année, à l’incompréhension dans le monde du football. A l’image de son plaidoyer pour la fusion des championnats de football belge et néerlandais, via l’instauration d’une « Beneligue ». Ou de la méfiance que suscitent ses acquisitions immobilières autour du stade de Sclessin. Chacune de ses explications revêt pourtant un ancrage historico-culturel. « C’est la preuve d’une très grande intelligence, remarque un observateur avisé. Il a probablement rencontré bien plus de cons que de personnes à sa hauteur. »

Plusieurs coups d’avance

Duchâtelet, visionnaire en avance sur son temps ? Beaucoup d’interlocuteurs en sont persuadés. « Il veut faire des choses auxquelles les autres n’osent même pas penser », confirment Yves Lejaeghere et Rudi De Winter, un businessman qui le connaît depuis plus de trente ans. L’homme se sent à l’étroit dans un monde qui n’évolue pas assez vite. « Il y a toujours ce réflexe connu, cité par Machiavel : quand vous souhaitez opérer un changement, vous avez contre vous tous ceux qui profitent du système actuel, et vous n’avez pas le soutien de ceux qui profiteront du système que vous tentez d’instaurer, puisqu’ils ne savent pas encore ce que votre nouveauté apportera. » Trop souvent, la frustration frappe à la porte. En naviguant à contre-courant, il s’expose, comme tant d’autres idéalistes avant lui, au risque d’être pris pour un fou. Et de ne plus être écouté.

Va-t-il rester dans le football ? Aucune promesse de sa part. « Je verrai bien », glisse-t-il en guise d’ultime énigme, avant de jeter un dernier regard sur sa montre et de quitter la pièce. Bientôt, il s’accordera une nouvelle trêve silencieuse. Loin des coups de sifflet réprobateurs. Bientôt, la sérénité retrouvée, dans l’ombre. Enfin.

Par Christophe Leroy

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