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Restitution des oeuvres? « Leur exposition en Europe en a fait des chefs-d’oeuvre universels »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts en France, une plus grande circulation des oeuvres est préférable à des restitutions massives.

La France est confrontée, comme la Belgique, à la question de la restitution du patrimoine culturel africain (voir « Repère » ci-dessous). Mais elle a pour spécificité de garantir par la loi l’inaliénabilité des collections nationales.L’Académie des beaux- arts s’est fondée le 28 novembre dernier sur ce principe pour exprimer ses fortes réticences à des restitutions. Son secrétaire perpétuel, le compositeur et chef d’orchestre Laurent Petitgirard, explique au Vif/L’Express cette position.

L’Académie des beaux-arts insiste sur l’inaliénabilité des collections nationales. Qu’implique ce principe?

Ce principe d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité des collections nationales garantit la protection et l’intégrité de l’ensemble du corpus des biens culturels acquis par l’Etat français au cours des siècles afin de les préserver en premier lieu de toute spéculation. Il protège le propriétaire public, y compris contre lui-même, et assure la pérennité des collections. Ce n’est pas la première fois que la question de l’inaliénabilité des collections nationales est remise en cause depuis que l’édit de Moulins de 1566 en a consacré la notion, réaffirmée par la Révolution française de 1789 et sans discontinuer depuis… Au cours des dix dernières années, de nombreux rapports, y compris parlementaires, ont déjà proposé des évolutions du Code du patrimoine contre lesquelles l’Académie s’était déjà prononcée. Combien de trésors, aujourd’hui exposés ou conservés dans nos musées, auraient simplement et à jamais disparu sans cela?

Ne doit-on pas se réjouir que le Louvre s’apprête à dépasser les dix millions de visiteurs pour l’année 2018?

En rappelant ce principe d’inaliénabilité et en réduisant la possibilité de déclassements « au cas par cas » tout en vous montrant favorable à une plus grande circulation des oeuvres, n’adressez-vous pas une fin de non-recevoir polie aux partisans de la restitution du patrimoine culturel africain?

Je me réjouis tout d’abord que le point de vue défendu par l’Académie des beaux-arts est désormais soutenu par le ministre français de la Culture, Franck Riester, qui prône également la circulation plutôt que des restitutions massives. Notre position se veut à la fois ferme et ouverte. Etre fermement attaché au principe, celui de l’inaliénabilité, ne veut pas dire que des aménagements voire des exceptions ne doivent pas exister. Des exceptions sont d’ailleurs déjà prévues par la loi, le déclassement en étant la forme la plus définitive. Mais oui, nous considérons en effet que ces déclassements doivent être appréciés avec mesure et « au cas par cas ». Quant aux aménagements au principe, nous souhaitons les encourager et qu’ils se développent. Qu’il s’agisse par exemple des prêts, y compris de longue durée, des mesures de dépôt ou d’expositions organisées en partenariat, les solutions juridiques existent déjà et la circulation des oeuvres, voulue à juste titre par le président français, est donc non seulement souhaitable mais aussi d’ores et déjà possible en l’état actuel du droit. Que ces pistes soient sous-utilisées? Manifestement. Cela implique peut-être qu’un dialogue plus intense et plus apaisé soit noué avec les pays concernés et que les initiatives prises par la France soit par ailleurs discutées avec nos partenaires européens.

Laurent Petitgirard, compositeur et chef d'orchestre, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts en France.
Laurent Petitgirard, compositeur et chef d’orchestre, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts en France.© DR

La précarité des institutions muséales dans certains pays d’Afrique est-elle un argument qui a motivé votre décision?

La question des conditions de conservation et d’exposition ne peut naturellement pas être mise de côté. Les oeuvres dont nous parlons, souvent anciennes voire très anciennes, peuvent aussi être extrêmement fragiles et méritent que nous prenions toutes les précautions pour assurer leur intégrité. Les grands établissements culturels français ont acquis une solide compétence en matière muséale, une technicité internationalement reconnue. Il faut donc naturellement encourager fortement toutes les coopérations visant à aider les pays en question à construire les équipements propres à accueillir ces oeuvres, dans des conditions optimales de présentation, mais aussi de sécurité. C’est ce que fait notamment le musée du Quai Branly – Jacques Chirac avec le Bénin (NDLR: une première liste de 26 oeuvres destinées à être rendues a été arrêtée). Cette démarche doit assurément servir d’exemple. Les initiatives locales doivent être soutenues. Ce qui est vrai en matière patrimoniale l’est d’ailleurs tout autant en matière de création artistique. C’est un ensemble cohérent qu’il faut construire et que nous appelons de nos voeux.

Sur le principe, n’est-il pas légitime pour les responsables des pays d’origine de ces joyaux de réclamer la restitution d’oeuvres pillées et volées? Si oui, comment y répondre?

La réponse de notre Académie est sans détour: oui, il est naturellement légitime de donner accès à tous les peuples aux chefs-d’oeuvre artistiques de leur civilisation sur leurs propres territoires. Il s’agit là d’une revendication juste et compréhensible, qui fait en même temps appel à des considérations mémorielles, donc forcément sensibles, que nous ne pouvons ignorer. Mais nous estimons néanmoins que le musée universel, inventé par la France, est une idée généreuse, moderne et plus que jamais nécessaire en ce qu’elle participe au dialogue entre les cultures et les civilisations. Le fait que des oeuvres majeures du patrimoine culturel africain aient pu être exposées en Europe dans des institutions telles que le musée du Quai Branly – Jacques Chirac a changé le regard sur ces oeuvres et contribué à ce qu’elles soient reconnues aujourd’hui comme des chefs-d’oeuvre non seulement « africains » mais universels. Ne doit-on pas se réjouir que le Louvre s’apprête à dépasser les dix millions de visiteurs pour l’année 2018, des visiteurs qui, venus du monde entier, ont pu admirer les trésors de l’humanité qu’expose le plus grand musée du monde? Assurément oui. Mais cela n’empêche naturellement pas de favoriser au maximum la circulation des oeuvres, bien au contraire.

Repère: Légitime ou dangereux?

La question de la restitution du patrimoine culturel africain à sa terre d’origine revient dans l’actualité par deux biais. La réouverture du Musée de l’Afrique centrale de Tervuren sous l’appellation AfricaMuseum, le 8 décembre, après quatre ans de travaux relance le débat. En septembre, un collectif de professeurs d’université, d’experts et de responsables d’associations demandait au gouvernement belge la restitution des trésors volés à l’Afrique (Le Soir du 26 septembre dernier). Conservateur chargé des collections ethnographiques du musée, Julien Volper estime que « certains courants de pensée, investis d’une mission visant à condamner des actes du passé selon les lois et, surtout, la morale actuelles, sont dangereux » (Le Monde du 30 novembre dernier). Autre actualité, l’historienne de l’art Bénédicte Savoy et l’écrivain Felwine Sarr ont remis, le 23 novembre, à Emmanuel Macron le « rapport sur la restitution du patrimoine africain » qu’il leur avait commandé. Il préconise une modification du Code du patrimoine français pour permettre la restitution des oeuvres spoliées pendant la période de la colonisation.

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