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Régionalisation de l’impôt : « Francophones, n’ayez pas peur ! »

Expert financier du SP.A, Frank Vandenbroucke fait la leçon aux francophones : ils ne doivent pas craindre l’autonomie fiscale. Mais zéro pointé à Bart De Wever et à la N-VA pour leur avoir flanqué la frousse par une « bourde » monumentale.

Le Vif/L’Express : Autonomie fiscale, responsabilisation financière : les chiffres se contredisent, les experts s’empoignent. Flamand, wallon ou bruxellois, le contribuable y perd son latin. Où est le fond du problème ?

Frank Vandenbroucke : L’enjeu, surtout posé par les partis flamands, porte sur un équilibre correct à trouver entre le juste retour, c’est-à-dire la récompense que l’on peut retirer des effets positifs d’une politique régionale, et une solidarité liée à des différences de contexte dans lequel évoluent les Régions.

Faut-il passer nécessairement par l’autonomie fiscale ?

Non. On peut responsabiliser les Régions en leur versant des dotations liées aux performances économiques. C’est déjà largement le cas.

Qu’apporte de plus l’autonomie fiscale, tant désirée par la Flandre ?

Un principe de légitimité démocratique : les Régions récoltent elles-mêmes une partie de leur budget en imposant leurs propres citoyens. Si le gouvernement de Kris Peeters veut dépenser de l’argent, il devra annoncer lui-même aux citoyens flamands qu’il va lever des impôts. Alors qu’aujourd’hui une bonne partie de l’argent dépensé par le gouvernement flamand est récolté par un autre gouvernement, le fédéral. En politique, le symbolisme est important.

La perspective ne semble pas enchanter les responsables politiques francophones…

Je ne les comprends pas. Ils craignent un contexte de concurrence fiscale. Alors qu’en soi le principe de l’autonomie fiscale n’est pas dangereux.

A quelles conditions ?

En mettant des balises qui réduisent de façon très significative ce risque de dumping fiscal. En garantissant la progressivité des tarifs régionaux qui empêche des actions sélectives en faveur des riches. Sans cette garantie, le gouvernement flamand pourrait diminuer de façon ciblée les taux d’impôts supérieurs pour attirer les Bruxellois les mieux nantis en Flandre. Cette garantie était reprise dans la note de Bart De Wever.

Comment donc De Wever et la N-VA ont-ils fait leurs comptes pour appauvrir à ce point la Wallonie ?

Ce qui créait un vrai problème financier pour la Wallonie, c’est que le mécanisme de solidarité entre Régions y était réduit de façon très significative. La note de Bart De Wever surestimait les recettes fiscales de la Wallonie et sous-estimait celles de la Flandre. Elle semblait présupposer que le gouvernement wallon augmenterait la pression fiscale, que les Wallons allaient payer plus d’impôts. De ce fait, la réduction du mécanisme de solidarité ne causait pas trop de dégâts à la Wallonie.

Ce mauvais calcul aurait coûté cher aux francophones. Comme par hasard ?

Je ne suis pas sûr que la N-VA ait agi consciemment. Je crois qu’ils se sont trompés. Ils ont cru que les recettes fiscales seraient proportionnelles à la base taxable. Ce qui n’est pas le cas : la Flandre dispose de recettes fiscales plus importantes par rapport à la base taxable que la Wallonie, en raison de la progressivité des taux. L’erreur était importante et politiquement lourde de sens, effectivement.

La Flandre réclame plus d’autonomie fiscale alors qu’elle n’utilise pas pleinement celle dont elle dispose déjà. Pourquoi ?

La Flandre n’a pas les marges budgétaires pour cela. Le gouvernement Peeters II a dû limiter le « jobkorting » [NDLR : une remise d’impôt aux travailleurs] après le scrutin régional de 2009, car la mesure était trop coûteuse. Cela montre bien que la crainte des francophones de voir la Flandre diminuer immédiatement ses impôts reste très théorique. Elle n’a pas les sous pour organiser un dumping fiscal. Il est temps de dédramatiser la situation.

PIERRE HAVAUX

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