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Réforme des pensions: qui perd, qui gagne?

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Le gouvernement Michel est engagé dans une vaste réforme des pensions qui commence à produire ses effets. D’autres conséquences se feront sentir plus tard et certaines mesures doivent encore être précisées. Mais un premier bilan permet déjà de faire le tri entre ceux qui tireront leur épingle du jeu… et tous les autres. Qui perd, qui gagne ? Les différents statuts sous la loupe.

Chômeurs : le dernier salaire perçu ne compte plus

Jusqu’ici, le montant de leur pension était calculé sur la base du dernier salaire perçu. A partir du 1er janvier 2019, les deuxième et troisième périodes de chômage (du 14e au 36e mois de chômage pour la 2e, à partir du 37e mois pour la 3e) et les périodes de chômage avec complément d’entreprise (les prépensions conventionnelles) ne seront plus assimilées à la carrière sur la base du dernier salaire perçu, mais sur la base d’un salaire mensuel forfaitaire de 2 000 euros brut (appelé  » droit minimum réel « ). Cette mesure ne touche toutefois pas les bas salaires (qui n’atteignaient pas ce montant forfaitaire), les chômeurs de plus de 50 ans (pour qui seule la 3e période de chômage générera les droits de pension sur la base du droit minimum réel), ni les prépensions octroyées avant le 1er janvier 2017, les prépensions pour entreprises en restructuration ou en difficulté et les prépensions pour raison médicale ou pour métiers lourds.

Métiers pénibles : une définition mais pas d’actions

Bonne nouvelle pour les métiers pénibles : ils vont bénéficier d’une reconnaissance ! Le Comité national des pensions a défini quatre critères que sont la pénibilité physique (y compris due à l’environnement), la pénibilité liée à l’organisation du travail (travail de nuit, service interrompu…), les risques de sécurité élevés et la pénibilité de nature émotionnelle et mentale. Partant de ces notions, les syndicats ont établi une vingtaine de catégories et cent sous-critères permettant de définir la pénibilité d’une fonction.

La concertation entre les représentants des travailleurs et employeurs a toutefois échoué dans le secteur privé, si bien que, pour l’instant, l’élaboration de ces critères n’est suivie d’aucune action concrète ni projet. Du côté du gouvernement, il était initialement prévu que la reconnaissance d’une certaine pénibilité permette la valorisation de la pension ou le départ anticipé à la retraite mais, à l’heure actuelle, rien n’a encore été fait dans ce sens.  » Entre la position minimaliste du patronat et celle des syndicats, qui ont défini des dizaines de critères en vue de qualifier un métier de pénible, il faudra trouver un compromis « , remarque Michel Wuyts, directeur de Fediplus, organisation experte en matière de pensions et de fins de carrière.  » Le problème est que, pour l’instant, les mesures du gouvernement imposent d’un côté de travailler plus longtemps en reculant l’âge de la retraite et, d’un autre côté, compliquent la fin de carrière. A partir de 2019, les crédits-temps de fin de carrière ne seront par exemple accessibles qu’à partir de 60 ans.  » Sans mesures adéquates concernant les métiers pénibles, les entreprises devront trouver des solutions pour adapter le travail de ces collaborateurs plus âgés.

Réforme des pensions: qui perd, qui gagne?
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Temps partiel : toujours pénalisant

Qu’il soit volontaire ou non, le travail à temps partiel est souvent désavantageux au niveau des pensions car les montants des retraites légales se basent entre autres sur les périodes d’emploi et les salaires perçus. Or, ceux-ci sont généralement inférieurs pour les travailleurs qui ne bénéficient pas d’un contrat à temps plein.

Bien que les emplois à temps partiels aient tendance à se développer, aucune amélioration ne semble se profiler au niveau de leurs retraites. La réforme des pensions vise en effet à renforcer le lien entre le travail réellement presté et la pension, ce qui privilégie les carrières les plus longues et les plus complètes. Une des mesures évoquées pour 2018 est le passage de trente à vingt années de carrière minimum pour accéder à la pension minimale, mais avec quelques ajustements. Jusqu’à présent, les 30 années de carrière imposées ne faisaient pas de distinction entre jours effectivement prestés, congés maladie, chômage, etc. Si la carrière minimum venait à passer à vingt ans, seul le travail effectif serait pris en compte, ce qui pourrait directement désavantager les travailleurs qui ont exercé un emploi à temps partiel. Même si le montant de la pension minimum a été augmenté, ces personnes devront en effet travailler plus longtemps pour avoir accès aux mêmes droits.

Si le gouvernement a supprimé le crédit-temps sans motif, il envisagerait par contre d’augmenter la période assimilée des crédits-temps motivés par l’administration de soins palliatifs, le soin des enfants jusqu’à 8 ans et l’aide à un proche atteint d’un handicap ou d’une maladie grave.

Jeunes : une carrière toujours plus longue

Ceux qui débutent leur carrière professionnelle aujourd’hui peuvent d’ores et déjà s’attendre à travailler plus longtemps que leurs aînés. Actuellement déterminé à 65 ans, l’âge légal de la pension va en effet passer à 66 ans en 2025, puis à 67 ans en 2030. La retraite anticipée, qui était encore possible à 62 ans après quarante ans de carrière en 2016, passera quant à elle à 63 ans et quarante-deux années de service dès 2019. Le gouvernement justifie ces mesures par l’allongement de l’espérance de vie et la nécessité de garantir un système de pensions viable financièrement.

Aucune amélioration ne semble se profiler au niveau de la pension des travailleurs à temps partiel

Les jeunes sont aussi directement concernés par les changements en matière de rachat des années d’études. Jusqu’à présent gratuit pour les employés du secteur public, celui-ci sera harmonisé avec le régime payant déjà d’application pour les indépendants et les salariés du secteur privé. La nouvelle mesure prévoit également des délais d’application identiques pour les différentes catégories de travailleurs. Ceux-ci pourront racheter l’équivalent d’un seul diplôme au prix de 1 500 euros par année d’étude – déductibles fiscalement entre 40 et 50 %. Durant la période transitoire qui s’étend jusqu’à 2020, tout le monde pourra se régulariser à ce prix mais seules les années après le 20e anniversaire seront prises en compte. Après, cet âge descendra à 18 ans et le tarif sera maintenu à 1 500 euros pour les démarches effectuées dans les dix années suivant la fin des études. En dehors de ces délais, le rachat restera possible mais à des prix bien plus élevés. A noter que le rachat d’une seule année d’études donne droit à un supplément annuel de pension de 267 euros brut, et qu’il faut entre cinq et sept ans de retraite pour récupérer l’investissement réalisé.

50 ans et plus : encouragés à travailler plus longtemps

Passé le cap des 50 ans, beaucoup se voient déjà à la retraite. Le gouvernement, lui, entend bien encourager les personnes en fin de carrière à travailler plus longtemps qu’autrefois. Ainsi, à partir de 2019, les travailleurs qui dépassent une carrière complète de quarante-cinq ans seront récompensés par la prise en compte des journées de travail supplémentaires prestées – alors qu’auparavant, ce travail supplémentaire n’était pas pris en compte dans le calcul. Résultat : le montant de leur pension sera normalement augmenté. Les travailleurs ayant atteint l’âge de la pension anticipée pourront également opter pour une pension à temps partiel, un système dans lequel ils perçoivent une pension tout en travaillant à côté. Les jours où ils exercent une activité professionnelle, ils continueront à se constituer des droits supplémentaires pour leur retraite.

Réforme des pensions: qui perd, qui gagne?
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Ceux qui souhaitent s’arrêter plus tôt de travailler ou ont eu une carrière incomplète ne seront, par contre, pas favorisés. Dès 2019, les crédits-temps de fin de carrière ne seront en effet plus accessibles qu’à partir de 60 ans, contre 57 ans actuellement. De manière générale,  » les droits de pension relatifs à des périodes de chômage et de prépension seront inférieurs aux droits de pension relatifs à des périodes de travail effectif « , résume le ministre des Pensions Daniel Bacquelaine. Il était ainsi question que les chômeurs de plus de 50 ans voient leur deuxième période assimilée à un droit minimum plutôt qu’à leur dernier salaire pour le calcul de la pension, mais cette mesure n’a finalement pas été retenue. En revanche, les chômeurs avec compléments d’entreprise (prépensionnés) devraient voir une partie de leur période de chômage assimilée à leur retraite sur la base du droit minimum.  » Le gouvernement considère que cette prépension est volontaire et il pénalise donc les travailleurs, alors qu’en réalité ceux-ci ont été licenciés « , regrette Michel Wuyts, directeur de Fediplus.

Fonctionnaires : l’alignement passera par les contractuels

Sauf pour les plus de 55 ans, le calcul de la pension des fonctionnaires s’effectue aujourd’hui sur la base du traitement moyen des dix dernières années contre les cinq dernières auparavant, avec un résultat moins favorable… même s’il reste plus avantageux que pour les salariés. En revanche, la suppression de la bonification du diplôme obligera les fonctionnaires statutaires à travailler progressivement plus longtemps. Et la pension à points s’imposera également aux travailleurs du secteur public. Quant aux fonctionnaires contractuels dont la pension légale est actuellement identique à celle des salariés du privé, ils auront accès à l’avenir à une pension complémentaire de type deuxième pilier. Sauf en Flandre, où de nombreuses administrations publiques offrent déjà cet avantage à leurs agents. Précisons qu’au niveau fédéral, le gouvernement voudrait que le régime statutaire devienne progressivement l’exception pour les fonctionnaires nouvellement engagés. A terme donc, le régime de pension des agents de l’Etat se rapprochera de plus en plus de celui des salariés du secteur privé.

Par Philippe Berkenbaum, Caroline Dunski et Marie-Eve Rebts.

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