© Eric Herchaft/Reporters

Réforme de l’Etat: Ces bombes à retardement qui pourraient provoquer l’accident

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La scission du pays est improbable, mais pas totalement exclue, mettent en garde des constitutionnalistes francophones. Le vrai danger, toutefois, c’est un Etat fédéral « coquille vide ».

Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel aux facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, tacle sans réserve ceux qui assurent que la Belgique ne peut pas se séparer. « Il y a, certainement du côté francophone, un attachement profond à la Belgique. Mais on ne peut pas dire aux gens :  »Dormez, bonnes gens, tout ira bien… » Il faut être franc : l’Etat belge est d’une extrême fragilité. »

La priorité rationnelle au lendemain des élections de 2014, ce sera évidemment de mettre en oeuvre loyalement la sixième réforme de l’Etat, souligne-t-il. Mais les « bombes à retardement » qu’elle contient sont nombreuses. « En matière d’allocations familiales, par exemple, on va avoir des allocations différentes selon les enfants et on craint à court terme que les moyens financiers de la Commission communautaire commune (Cocom) à Bruxelles ne pourront pas couvrir les besoins. Il n’est donc pas exclu que Bruxelles se retrouve assez vite en sous-financement structurel. Un autre risque, c’est la poursuite du découpage de compétences en dentelles. C’est un nid à procès et la Cour constitutionnelle a de beaux jours devant elle. Il faut aussi se méfier, j’insiste, du fait que l’on pourra avoir des juges N-VA au sein de cette Cour constitutionnelle. »

« On sent monter en puissance un dilemme révélateur, exprimé par l’Open VLD, prolonge Hugues Dumont. On veut bien renoncer au confédéralisme, mais en supprimant les règles de la parité au Conseil des ministres et du consensus, la sonnette d’alarme ou les lois spéciales, autant de choses auxquelles les francophones tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. En d’autres termes, l’avenir de l’Etat belge sera radieux, mais c’est la majorité flamande qui décidera. L’article 35 de la Constitution (qui vise à ne maintenir qu’un liste réduite de compétences au fédéral – Ndlr) reste au programme des partis flamands. Et si la N-VA se rend incontournable en 2014 par un score monstre, ou via une alliance avec le CD&V, historiquement imprévisible, que faisons-nous ? Si, du côté flamand, on veut absolument continuer à défédéraliser des pans entiers de la Sécu, tous les spécialistes disent qu’il faut un échelle plus large que Bruxelles ou la Wallonie pour pouvoir gérer cela. Bruxelles devrait donc pouvoir se solidariser avec les francophones en échange d’une scission touchant l’assurance-maladie ou les indemnités de chômage. On aurait une fédération Wallonie-Bruxelles à l’intérieur d’un Etat minimal. » Il est donc « urgent de créer un espace francophone Wallonie – Bruxelles à la hauteur des enjeux. Même si ce ne sera pas facile : trop peu de Bruxellois sont conscients que la solidarité avec la Wallonie est importante. Ils pensent qu’ils pourront s’en sortir seuls, mais c’est impossible. »

Une scission « en un jour »

Caroline Van Wynsberghe, politologue à l’UCL et auteur d’un ouvrage récent consacré au Fédéralisme belge (éd. L’Harmattan), croit elle aussi que la sixième réforme de l’Etat n’élimine pas le risque d’une séparation de la Belgique. « Il est loin d’être exclu que l’on connaisse à nouveau une situation de blocage comme en 2010 – 2011, avec au bout du compte un gouvernement en affaires courantes perpétuelles. On a vu que cela pouvait fonctionner, faire tourner la boutique au day to day et que cela permettait même de prendre des décisions comme l’envoi de F16 en Syrie. Mais avec quelle qualité pour la fin de vie de la Belgique ? Il serait alors temps d’en tirer des conclusions et de négocier en parallèle la scission. Sinon, ce serait de l’acharnement thérapeutique. »

Oui, ce sera très dur de scinder la Belgique, reconnaît-elle. « Mais le confédéralisme, dans les faits, cela reviendrait à la scinder. On pourrait à la limite passer du fédéralisme au confédéralisme en un jour. Parce que ce sont les mêmes interlocuteurs qui décident de tout. Les présidents de parti dissoudraient la Belgique pour recréer immédiatement une confédération d’Etats indépendants avec à sa tête une conférence interministérielle. C’est intellectuellement possible. Même si je crains le blocage plus qu’autre chose. J’ai l’impression qu’avec cette sixième réforme de l’Etat, on a arrêté de réfléchir à l’après-2014. Or, nous sommes dans un continuum de transferts de compétences et il arrivera un moment où l’on se demandera si cela a encore un sens. »

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec

– Pourquoi la Belgique n’éclatera pas

– Pourquoi les francophones n’évoquent plus le plan B

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire