La presse du XIXe siècle fait ses choux gras de l'assassinat, en particulier le quotidien La Nation. © ARCHIVES LA NATION

Récit : Gustave Vandersmissen, premier député belge à avoir été accusé d’assassinat

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Il était jeune député, promis à une belle carrière politique. Sa passion aveugle pour son épouse volage en fait un mari assassin. Il y a 130 ans, Gustave Vandersmissen connaissait la descente aux enfers.

 » Mon malheur, c’est de l’avoir trop aimé.  » Face à ses jurés, Gustave Vandersmissen sait trouver les mots justes pour expliquer l’irréparable commis sur Alice, l’épouse chérie jusqu’à la folie. L’homme qui a pris place sur le banc des accusés est devenu une attraction nationale. Jamais en Belgique un élu de la nation en activité, avocat de belle notoriété de surcroît, n’avait encore eu à répondre d’un assassinat. En 1886, Gustave Vandersmissen, 32 ans, fait date dans les annales parlementaires. Triste privilège que partage, 130 ans plus tard, un autre représentant du peuple : Bernard Wesphael.

La presse d’alors est au rendez-vous, habituée à faire ses choux gras de cette passion sentimentale muée en descente aux enfers. Quoi de plus scandaleusement croustillant à offrir à la société bien-pensante de la fin du XIXe siècle, que les amours sulfureuses entre un fils de bonne famille devenu homme public, et une comédienne aux moeurs peu conformistes ? A fortiori lorsque le scandale culmine dans le sang.

Gustave Vandersmissen, issu de la grosse bourgeoisie alostoise, avait tout pour réussir. Il est brillant, ambitieux, promis à un bel avenir professionnel dans les prétoires. Tout au plus est-il peu familiarisé avec le beau sexe envers lequel, dit-on, il fait montre de naïveté. La vie est aussi affaire de sentiments. Le jeune homme n’a pas 25 ans lorsqu’il s’éprend d’une jeune et jolie comédienne qui officie au Théâtre de la Monnaie. La liaison entre Gustave et Alice Renaud s’installe dans la durée, jusqu’à se transformer en projet de mariage. Consternation chez les Vandersmissen : épouser une actrice forcément infréquentable, quelle horreur ! Les frères ont beau égrener au frangin amoureux les noms des amants supposés de la comédienne, l’artiste Félicien Rops en tête, Gustave n’en a cure. N’en déplaise à la famille, l’entêté amoureux convole en justes noces avec sa dulcinée. Mariage religieux aux Pays-Bas en 1879 afin d’échapper au consentement parental obligatoire jusque 25 ans. Union civile un an plus tard à Saint-Josse, où le couple s’installe.

Le vicomte escroc et maître-chanteur fait tomber le député amoureux

En 1988, Le Soir revient sur l'affaire du député Vandersmissen et publie trois photos de la comédienne Alice Renaud, victime des coups de feu de son mari.
En 1988, Le Soir revient sur l’affaire du député Vandersmissen et publie trois photos de la comédienne Alice Renaud, victime des coups de feu de son mari.© ARCHIVES LE SOIR

Gustave plane. Se persuade d’avoir épousé une jeune fille au-dessus de tout soupçon, laquelle lui donne une fille, Madeleine, en 1881. L’époux, désormais avocat en vue sur la place bruxelloise, ne pense qu’à s’élever socialement pour les beaux yeux de sa femme, avide de faire taire les mauvaises langues et de triompher des siens qui l’ont repoussé. La politique est une voie royale : conseiller communal en 1881, conseiller provincial un an plus tard, le voilà député en juin 1884, élu sous l’étiquette d’un parti des  » Indépendants  » mais rallié aux catholiques. Un portefeuille ministériel n’est peut-être pas inaccessible.

Entre-temps, un individu est entré par le plus grand des hasards dans l’existence professionnelle de Vandersmissen. Le vicomte Edgard Dupleix de Cadignan, petit hobereau français, croise la route de l’avocat au palais de justice, où le conduit une de ses énièmes malversations financières. Non content de devenir le client de maître Vandersmissen, l’escroc devient l’intime du couple. D’Alice en particulier.

La relation tourne au vinaigre et verse dans le sordide lorsqu’elle vire à la tentative de chantage sur le mari trompé. Le divorce s’impose pour tenter de restaurer l’honneur bafoué qui fait des gorges chaudes. Car la presse, mise au parfum par le margoulin indélicat, s’empare du scandale pour mieux le récupérer politiquement.  » Les feuilles de droite prennent le parti du député honteusement trompé, les gazettes de gauche se moquent de lui, le taxent de bêtise et de naïveté, quand ce n’est pas de complaisance et même de complicité avec l’amant  » (1).

Dix ans de prison, au bout d’un double procès spectacle

En pleine tourmente, Gustave aggrave son cas : il ne résiste pas à l’envie de revoir sa femme en secret, quitte à se rendre coupable de parjure. Piégé par Alice qui menace à son tour de le faire chanter, acculé, il commet l’irréparable lors d’une ultime dispute : dans la nuit du 8 au 9 avril 1886, il abat son épouse de cinq coups de revolver.  » Je suis son mari. C’est moi qui l’ai tuée. Vous pouvez m’arrêter. Je suis le représentant Vandersmissen « , déclare l’assassin, l’arme au poing, au policier occupé à recueillir la victime couverte de sang, et qui succombera à ses blessures treize jours plus tard.

Gustave a tout perdu. L’amour de sa vie, son honneur, sa carrière, ses ambitions. Ne l’attend plus qu’un procès spectacle qui se déroule en deux temps et que la presse élève en feuilleton judiciaire. Il écope de quinze ans de prison aux assises du Brabant, peine réduite à dix ans à Mons après que la Cour de cassation ait cassé le verdict pour vice de procédure. Vandersmissen est un homme libre au bout de deux ans, à la faveur de la toute récente  » loi Lejeune  » sur la libération conditionnelle, oeuvre du ministre de la Justice qui fut un de ses avocats. Pour l’ex-député, vient le temps de refaire sa vie en France : il y réendosse la toge et se remarie à deux reprises. L’affaire qui fit couler tellement d’encre survivra à son décès en 1925, pour faire les délices d’un genre littéraire bientôt en vogue, le roman judiciaire.

Van Eyken sur les traces de Wesphael ?
Christian Van Eyken, l'autre député actuellement poursuivi pour assassinat.
Christian Van Eyken, l’autre député actuellement poursuivi pour assassinat.© KRISTOF VAN ACCOM/BELGAIMAGE

Il préfère ne pas s’épancher sur les déboires judiciaires qui pourraient le mener à se retrouver, lui aussi, dans la peau d’un parlementaire face à un jury populaire. Christian Van Eyken, 62 ans, unique élu francophone du parlement flamand depuis plus de vingt ans, est un objet de curiosité politico-institutionnelle. Le voilà aussi sujet d’intrigue judiciaire depuis que la justice le soupçonne d’avoir sur la conscience la mort par balle, en juillet 2014, de l’époux de son assistante parlementaire, qui serait devenue sa maîtresse. Jusqu’à être inculpé d’assassinat en janvier 2016, comme la veuve de la victime, et de connaître un passage éclair par la case prison : l’oubli par le magistrat instructeur de signer le mandat d’arrêt a valu au député son bon de sortie.

Homme libre jusqu’à un probable procès d’assises, Christian Van Eyken clame son innocence en dépit des images accusatrices des caméras de surveillance de l’immeuble de la victime. Il poursuit son travail parlementaire et son combat en faveur des droits des francophones de la périphérie. Tenu à distance par DéFI qui l’a suspendu de ses fonctions au sein du parti, sans avoir obtenu sa démission d’élu de l’Union des francophones.

(1) Les Grandes Affaires criminelles de Belgique, par Liliane Schraûwen, éd. De Borée, 2014, 384 p.

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