© Valentin Bianchi

Razzia scientifique sur les légumes du potager pollué de Bressoux

Le Vif

Depuis dix heures ce lundi matin, une équipe de scientifiques de Gembloux et Tinlot a investi le jardin potager collectif de Bressoux, à Liège. Objectif : effectuer des prélèvements de légumes et de fruits – mais aussi de terre qui les a faits pousser – dans une trentaine de parcelles. Pour répondre à cette question : sont-ils toxiques ?

Carottiers, sécateurs, sachets plastiques, étiquettes, crayons et élastiques. Sans oublier de grands cabas pour transporter les échantillons. Voilà, en gros, le matériel qui accompagne les scientifiques venus sonder ce lundi le plus grand jardin potager collectif de Wallonie. Au total, 10% des 304 parcelles numérotées qui s’étalent sur plus de 4,5 hectares font l’objet de prélèvements multiples à des fins d’analyse.

Pour rappel, une étude révélée par Le Vif/L’Express la semaine passée a mis en lumière une forte pollution du sol en métaux lourds (plomb, cuivre, zinc, cadmium, mercure) en arsenic et en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Une pollution découverte en 2017 alors que le terrain est cultivé depuis 1926… L’hypothèse d’une « menace grave » pour la santé humaine « ne peut être écartée » concluait l’étude de risques commanditée par le Logis social de Liège, la société publique de logements sociaux propriétaire du terrain.

Cette dernière, avant même d’obtenir les résultats, avait recommandé à tous les jardiniers, au nom du principe de précaution, de ne plus cultiver ni consommer de produits provenant du site. Un drame pour les quelques 250 familles modestes de ce quartier populaire de Liège qui cultivent leur lopin de terre essentiellement pour se nourrir. Ce matin, l’affiche apposée par le Logis social il y a deux semaines à l’entrée principale du potager, avait été arrachée…

Seuils légaux dépassés ?

La pollution du sol aux métaux lourds étant avérée, il s’agit à présent d’étudier si les polluants migrent du sol vers les fruits et légumes. Et si oui, lesquels sont les plus impactés. Avec une question centrale : les seuils légaux pour ces polluants, en matière de protection de la santé humaine, sont-ils dépassés ou non? Bref, les légumes ingérés depuis près d’un siècle par des milliers de personnes sont-ils toxiques? C’est pour répondre à ces interrogations légitimes que le professeur Gilles Colinet, le docteur Amandine Liénard et un technicien, tous trois de l’unité Systèmes sol-eau de la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), ont débarqué à Bressoux ce matin.

Ils bénéficient du renfort d’un technicien de la Station provinciale d’analyses agricoles (SPAA) de Tinlot. Ce dernier leur prête main forte pour cette campagne inédite de prélèvements qui devrait durer toute la journée. Les légumes et les fruits récoltés prendront ensuite la direction du laboratoire provincial de l’Institut Ernest Malvoz à Liège. Les échantillons de terre, eux, seront ramenés par l’équipe du professeur Colinet à Gembloux.

Amandine Liénard, qui dirige les opérations de prélèvement sur le terrain, nous a confirmé qu’il faudra vraisemblablement attendre trois mois avant d’obtenir des résultats fermes et définitifs pour chaque type de fruits et légumes analysé. Des prélèvements complémentaires sont envisagés « fin août début septembre » lorsque d’autres espèces auront atteint leur maturité.

Des prélèvements « parallèles »

La scientifique ne comprend pas pourquoi le président du Logis social Jean-Pierre Hupkens a annoncé attendre des résultats préliminaires pour la mi-août. Selon des témoins cependant, sur le coup de 8h30 ce matin, le jardin potager a été visité par deux autres personnes dont le directeur technique du Logis social. Ils auraient eux aussi prélevé des échantillons de légumes et de terre… Contactés par Le Vif/L’Express, le président et le directeur technique du Logis social n’étaient pas joignables ce lundi.

Depuis que l’affaire a éclaté, ni la direction du Logis social ni son président n’ont pris contact avec les scientifiques de Gembloux. L’analyse de sol du Logis social n’a jusqu’ici été officiellement transmise qu’à l’Institut scientifique de service public (ISSeP) et à la Société publique d’aide à la qualité de l’environnement (SPAQuE). Les scientifiques de Gembloux travaillent pourtant depuis plusieurs années sur la pollution des sols wallons – dont les jardins potagers -, et ce dans le cadre d’un programme international (Urban Soils) cofinancé par le Service public de Wallonie (DGO3). Ils avaient déjà échantillonné le sol du potager communautaire de Bressoux courant 2016. Leur présence ce lundi sur le terrain s’inscrit dans la continuité de ces recherches.

Communication de crise

De son côté, la SPAQuE finalise sa réponse au Logis social. Elle va collaborer pleinement à la dynamique de recherche qui se met doucement en branle autour du potager de Bressoux, sous l’égide de la DGO3. « Un budget spécifique sera débloqué », annonce même le porte-parole de la SPAQuE. Créée dans la foulée du scandale de la décharge de Mellery à la fin des années 1980, la SPAQuE dispose d’une expertise certaine en matière de réhabilitation des sols. Elle a en outre coordonné les études Pollusol et Legumap qui tentaient de répondre aux mêmes questions que celles qui se posent aujourd’hui à Bressoux.

Mais à Liège comme à Namur, on marche sur des oeufs. « C’est vraiment un dossier emmerdant pour tout le monde, commente un fonctionnaire wallon qui suit le dossier de près. Cela crée des tensions sur le terrain, où beaucoup de gens sont dans le déni et où la théorie d’un complot immobilier s’amplifie. Cela empoisonne les politiques, car il s’agit d’un potager social pour un public précarisé qui a vraisemblablement été exposé à un risque sanitaire pendant des années. Et ça inquiète la Région, sur le qui-vive, car elle sait que le dossier de la pollution des sols wallons est une bombe potentielle. » Le dossier du jardin potager de Bressoux vient d’ailleurs d’être transmis à la responsable de la communication de crise du Service public de Wallonie…

Michaël Scholze, Michaël Pops et David Leloup

Cet article a été réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

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