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Radicalisme : « il faut une modification brutale dans nos contrôles »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016 arrive bientôt à son terme. Après le temps de l’investigation, le député Denis Ducarme (MR) demande des décisions radicales. En primeur, il nous dévoile les propositions du seul parti francophone de la majorité fédérale.

Contre toute attente, le troisième volet (radicalisme) de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016 à l’aéroport de Bruxelles-National et à la station de métro Maelbeek, à Bruxelles, a été aussi soigné que les deux précédents (services d’urgence et architecture de sécurité). Au départ, le PS était réticent à creuser les raisons de l’enracinement de l’extrémisme meurtrier dans notre pays. Chef de groupe MR à la Chambre, membre de la commission et coordonnateur, en 2007, d’un ouvrage collectif prémonitoire, Islam de Belgique. Entre devoir d’intégration et liberté religieuse (Luc Pire), Denis Ducarme y tenait particulièrement. Il livre au Vif/L’Express ses propres constatations et recommandations.

Les députés sont-ils convaincus de la dangerosité potentielle du radicalisme ?

C’était déjà une évidence pour le MR. La commission d’enquête parlementaire a connu des moments clés qui ont conforté les vingt recommandations que nous allons défendre en tant que parti. Je ne dis pas que celles-ci seront toutes reprises dans les recommandations de la commission mais le drame vécu par le pays et par les victimes exige de l’honneur et de la dignité. Pas question de querelles de bac à sable entre majorité et opposition.

Sur quels aspects insistez-vous ?

L'imam de Dison. La lutte contre les prédicateurs de haine doit être intensifiée.
L’imam de Dison. La lutte contre les prédicateurs de haine doit être intensifiée.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Pour nourrir notre réflexion, nous avons fait, nous, groupe parlementaire MR, trois déplacements à l’étranger : en Israël et à Paris, avant les attentats du 22 mars, puis à Aarhus, au Danemark. Partout, nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité d’une détection précoce des signaux faibles qui indiquent le basculement dans la radicalisation – ou pire. C’est une proposition que nous avions déjà faite il y a plus de deux ans. Chaque niveau de pouvoir dispose de son catalogue de signaux dits faibles : changement d’habitudes vestimentaires, voyages dans des zones suspectes, nouveaux discours ou comportements, par exemple, à l’égard des femmes. Nous proposons qu’une seule liste inter- fédérale soit établie pour l’ensemble des acteurs de terrain (sociétés de logements sociaux, sociétés de transport, enseignement, etc.) et que, sur cette base, les informations pertinentes soient transmises aux services de police et de renseignement, comme cela se fait déjà chez Fedasil ou à l’Office des étrangers. Certains de ces signaux faibles sont repris dans l’inburgering. Mais il n’y a rien de similaire au niveau du parcours d’intégration wallon mis en place en 2016 – le MR le réclamait depuis 2004 – alors qu’il n’y a même pas de parcours obligatoire à Bruxelles. Rien n’est prévu, non plus, au niveau des maisons de justice, alors qu’il existe un risque de glissement de la grande criminalité vers le terrorisme, comme le montre le cas des frères El Bakraoui. L’expérience de la préfecture de police de Paris prouve cependant qu’après des débats difficiles, les responsables des services sociaux, les services de police et le procureur de la république sont parvenus à se faire confiance et à travailler dans un intérêt commun de la sécurité.

Certaines communes wallonnes, comme Verviers ou La Louvière, ont des cellules de sécurité intégrées locales (CSIL) qui fonctionnent plutôt bien. Qu’en est-il à Bruxelles ?

La culture de récolte des signaux faibles n’est pas la même partout. Il y a 112 CSIL en Flandre, 21 en Wallonie et 13 à Bruxelles. A ce stade, certains en sont très contents, d’autres pas. On retrouve le même refus de communiquer que dans le débat sur le secret professionnel dans les institutions sociales (NDLR : lire aussi  » Les nouveaux surveillants du pouvoir  » dans Le Vif/L’Express du 17 février).

Les députés sont restés sur leur faim après l’audition d’un imam de la mosquée du Cinquantenaire. Irez-vous plus loin ?

Nous avons pu constater, je l’affirme, que cet imam ne nous disait pas la vérité. Sur le type d’islam qui est enseigné à la mosquée du Cinquantenaire, sur ses liens avec l’Arabie saoudite, sur le départ en Syrie de personnes qui l’ont fréquentée… Nous allons sans doute convoquer d’autres responsables pour obtenir des réponses à nos questions. En 2007, dans un ouvrage collectif, Islam de Belgique, je mettais déjà en avant la nécessité d’un contrôle du financement extérieur des mosquées et j’avais déposé une proposition de loi. J’attends que le ministre de la Justice soit plus proactif en la matière. Si l’on n’opère pas une modification brutale dans notre exercice de contrôle, on ne pourra pas venir se plaindre ensuite des influences salafistes, wahhabites ou des Frères musulmans qui continuent à se développer dans notre pays. Au-delà des lieux de prière – dont une majorité, c’est important de le dire, sont irréprochables – il s’agit de contrôler les associations culturelles, les soi-disant écoles coraniques… C’est un chantier sur lequel j’exige une véritable avancée lors de cette législature. On sait que certains lieux sont financés directement avec des valises de cash qui viennent de l’étranger. Il faut une transparence totale sur ces flux financiers et les sanctionner quand les règles ne sont pas respectées (NDLR : le ministre de la Justice doit marquer son accord pour tout don étranger supérieur à 100 000 euros).

Le Vif/L’Express a révélé qu’en 2014, la Ligue des musulmans de Belgique, considérée comme la coupole des Frères musulmans en Belgique, a reçu 1 081 940 euros de la Qatar Charity et 159 327 euros de la Kuwait Charity. Que faut-il faire ?

Confisquer !

En l’état, peut-on le faire ?

Denis Ducarme :
Denis Ducarme :  » L’imam de la mosquée du Cinquantenaire ne nous a pas dit la vérité sur l’islam enseigné, ses liens avec l’Arabie saoudite ou les départs en Syrie. « © THIERRY DU BOIS/REPORTERS

On pourrait activer certains outils mais je ne vois rien qui prend ce chemin d’efficacité souhaitée. C’est pour ça que je parle de modification brutale. On sait qu’un certain nombre de puissances étrangères continueront à se combattre pour mettre la main sur les communautés musulmanes d’Europe via des idéologies qui leur sont propres. Le radicalisme de certaines de ces idéologies a nourri le radicalisme violent. C’est clair depuis 2013… Alors, qu’est-ce qui freine ?

Y a-t-il encore à ce stade, dans le chef d’un certain nombre de personnes, un aveuglement ?

Non, pas uniquement : un manque d’identification du problème, aussi. Le récent rapport de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace sur la montée de l’influence salafiste montre qu’il y a urgence. Même si certains observateurs le contestent, je fais confiance à l’Ocam. Cela veut dire qu’il doit y avoir une réaction au niveau de notre architecture de sécurité. Nous avons reçu madame Toria Ficette, en charge de la radicalisation à la Région de Bruxelles- Capitale. Comment se fait-il que ce poste n’existe que depuis un an ? C’est stupéfiant. Nous devrons aussi nous demander si un certain nombre de nos recommandations ne doivent pas être adressées aux Régions et Communautés : elles sont au centre de la problématique via la prévention. Nous sommes en retard au niveau des maisons de justice, des parcours d’intégration… Quand on voit qu’en Flandre, ils ont 240 heures de cours de langue pour l’inburgering et qu’en Wallonie, c’est 120… Ils ont 60 heures de formation sur les droits et devoirs, chez nous 20. C’est quoi cette intégration à deux ou trois vitesses, puisqu’à Bruxelles, il n’y a toujours pas de parcours d’intégration obligatoire ?

Concrètement, que proposez-vous pour combattre le radicalisme ?

Mettre un terme au financement extérieur de la propagande salafiste ou des Frères musulmans constitue déjà un angle d’attaque. Il existe aussi une circulaire sur les prédicateurs de haine qui devrait être davantage activée. Quand on voit le cinéma autour de l’imam de Dison, ça heurte. Il faut être plus efficace et plus rapide. J’ai déposé au Parlement une proposition qui ne fera pas l’objet d’une recommandation de la commission d’enquête mais qui permettra aux bourgmestres de fermer les lieux sur lesquels pèsent de lourdes suspicions d’infraction terroriste. J’y ajouterai un amendement qui va encore plus loin : je souhaite que cette fermeture puisse également être décidée lorsque ces lieux accueillent des prédicateurs de haine. J’ai obtenu un avis favorable du collège des procureurs généraux et du ministre de l’Intérieur mais j’aurai probablement un avis défavorable de l’Union des villes et communes. Certains bourgmestres, comme à Verviers, Muriel Targnion, me disent avoir besoin de cette disposition. Je suis heureux de voir des socialistes comme elle…

N’est-ce pas faire courir au bourgmestre le risque de jeter l’opprobre sur certains fidèles ?

Je ne vise pas nécessairement les mosquées mais plutôt l’associatif. Il y a un élément central dans l’ensemble de notre démarche : c’est le respect de la liberté de tous les cultes et le refus de l’amalgame entre musulmans et islamistes radicaux. Cela a toujours été ma ligne rouge. Je considère d’ailleurs que les musulmans sont nos meilleurs alliés contre l’islamisme.

Faut-il pénaliser l’apologie du salafisme à l’instar du racisme et de l’antisémitisme ?

Je vais effectivement défendre cette idée mais je pense honnêtement qu’elle ne sera pas reprise par les autres groupes.

Pourquoi ?

Parce que certains ne sont pas prêts. De telles législations existent en France, en Espagne, en Italie et dans certains pays scandinaves. Mais chez nous, cela heurte la liberté d’expression. Il s’agit pourtant d’apologie du terrorisme ! Ce qui vaut pour le racisme et l’antisémitisme devrait, à mon sens, pouvoir s’appliquer à quelqu’un qui promeut des actes terroristes ou qui porte aux nues des acteurs qui en ont commis.

Cette législation aurait-elle pu s’appliquer à l’activiste Dyab Abou Jahjah, qui a qualifié de  » résistant  » l’auteur de l’attaque au camion bélier de Jérusalem, en janvier dernier ?

Oui, mais les Flamands, me semble-t-il, sont encore très attachés au freedom of speech anglo-saxon.

Pourtant, cette affaire a fait bouger les lignes. De Standaard lui a retiré sa chronique…

Certains programmes de déradicalisation me font penser à une nouvelle manière de capter des subsides »

C’est vrai. Mais autant les Flamands peuvent réagir dans l’immédiateté par rapport à un fait d’actualité isolé, autant ils feront une distinction sur le plan théorique quand on propose un débat de fond comme celui-là. Je défendrai cette proposition. Il faudra du temps mais les lignes bougent. Sur un certain nombre de sujets, la N-VA n’est pas forcément mon thé à la menthe mais, sur la sécurité, ils sont prêts à poser des actes qui vont dans le bon sens, toujours dans cet équilibre entre liberté et sécurité qui est notre autre fil rouge.

En 2010, vous vous étiez inquiété, dans Le Vif/L’Express, du radicalisme dans les prisons. En fait-on assez aujourd’hui pour lutter contre ce phénomène ?

Dans l’accord de gouvernement figure un programme qui va dans le bon sens. Je suis plutôt partisan de l’isolement des radicaux. A la fin du mois d’août dernier, on comptait environ 160 détenus inculpés ou condamnés pour des faits de terrorisme, dont 33 personnes revenant de Syrie. Il faut accélérer ce processus : le nombre de cellules Deradex dans les deux prisons pilotes de Ittre (13 détenus) et de Hasselt (10 détenus) est encore trop limité. Et on n’a pas encore déterminé ceux qui doivent aller à l’isolement parmi les 450 détenus présentant un profil à risque.

Internet joue un rôle certain dans la radicalisation des jeunes. Il est difficilement contrôlable…

Nous avons un vrai problème avec les plates-formes et les fournisseurs d’accès à Internet. Ensuite, ce n’est pas avec des petites fleurs qu’on attire le public visé par les radicaux. Il faut fonctionner comme eux…

C’est-à-dire ?

Bart Somers (Open VLD), bourgmestre de Malines et
Bart Somers (Open VLD), bourgmestre de Malines et  » meilleur bourgmestre du monde  » :  » Son action pour l’intégration peut inspirer d’autres communes. « © DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

En utilisant des jeux vidéo, comme aux Etats-Unis. C’est le seul exemple performant que je connaisse. Même la France, qui a produit un certain nombre de choses, n’est pas à la hauteur.

Les programmes de déradicalisation fleurissent. Efficaces ?

A ce stade, je ne crois pas aux processus de déradicalisation tels qu’ils sont mis en oeuvre en Belgique. Il n’y a que deux systèmes qui me convainquent : le travail marocain dans les prisons qui retourne d’anciens radicaux contre les radicaux et le modèle français d’accompagnement qui mélange familles, psychologues et repentis. Mais la théorisation présentée comme un traitement, je n’y crois pas. On est en train de faire fausse route. Certains programmes me font penser à une nouvelle manière de capter des subsides.

Le bourgmestre de Malines, Bart Somers (Open VLD), vient d’être nommé  » meilleur bourgmestre du monde « . Il n’a pas eu un seul départ pour la Syrie. Où est le secret ?

Sociologiquement, c’était une ville que tout portait à avoir des problèmes de radicalisme. Or, cela ne s’est pas passé. Il faut souligner les réussites en matière d’intégration et de prévention. Cela peut inspirer d’autres communes.

Quel est le message fort que vous voulez envoyer aux victimes du 22 mars ?

S’il y a eu des progrès dans l’accompagnement des victimes, on est encore loin du compte. Et le Premier ministre en est conscient. Pour le reste, nous parlons au pays. Certains voulaient que la commission d’enquête traque les fautes et responsabilités, je crois qu’on est sorti de ça. Notre objectif est assez humble : il faut que nous soyons meilleurs en matière de sécurité et de lutte contre les idéologies néfastes – même si nous ne sommes pas les plus mauvais. L’essentiel, ensuite, sera de veiller à l’application des recommandations que nous avons préparées pendant près d’un an.

Ne faut-il pas une union nationale à ce sujet ?

Le clivage entre majorité et opposition a été dépassé au moins une fois sur deux lors des votes relatifs à la sécurité. Il y a encore des efforts à réaliser dans le travail en commun, notamment, au niveau du comité de concertation des entités fédérées. On voit bien que tout est imbriqué et qu’il y a des responsabilités à tous les niveaux de pouvoir. Moi, humblement, je fais mon travail mais il pourrait y avoir plus de liant. Cet appel à l’union nationale pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une recommandation supplémentaire.

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