La radicalisation du jeune passe souvent par Internet. © MERLIN MEURIS/REPORTERS

Radicalisation : « La sécurité ne résoudra jamais le problème, il faut de la prévention »

Stagiaire

Ce mardi, Isabelle Seret et Vincent De Gaulejac étaient présents à Schaerbeek pour présenter leur ouvrage « Mon enfant se radicalise. Des familles de djihadistes et des jeunes témoignent ».

Qu’est-ce qui pousse les jeunes à s’engager dans le djihadisme ? Par quels processus peuvent-ils basculer dans la radicalisation violente ? Comment surmonter le départ d’un enfant pour la Syrie ? C’est à ces questions que Isabelle Seret, journaliste et sociologue clinicienne, a tenté de répondre avec Vincent de Gaulejac, professeur et président du Réseau international de sociologie clinique.

Pour comprendre ces processus, ils sont partis à la rencontre de jeunes qui avaient pour projet de rejoindre des mouvements islamistes radicaux, mais aussi de familles confrontées à ce phénomène. Ces échanges sont à la base de leur ouvrage « Mon enfant se radicalise », publié aux éditions Odile Jacob.

« Lors des premiers départs de mineurs vers la Syrie, j’ai ressenti le besoin de m’engager pour faire face à ce sentiment d’impuissance qui m’habitait », témoigne Isabelle Seret. « J’ai voulu comprendre à la fois cet engagement, le processus, c’est-à-dire le terreau de frustration à la base de cette envie, et aussi les ressources qui auraient pu les empêcher de basculer dans cette idéologie djihadiste ». Pour ce faire, elle a recueilli les témoignages de jeunes qui se sont radicalisés et qui ont été arrêtés dans leur parcours.

En quête de sens et de reconnaissance

Le livre « Mon enfant se radicalise » tente d’identifier les facteurs à la source de ce basculement. Bien que le phénomène soit multifactoriel et que les histoires soient toujours singulières, les auteurs ont pu identifier certaines constantes qui leur sont apparues en se plongeant dans les parcours de ces jeunes « repentis » ou revenus.

« Le « choix » du djihadisme s’inscrit avant tout dans une quête de sens », explique Vincent de Gaulejac. Pour les jeunes, « c’est une façon d’apporter des réponses aux questionnements et aux contradictions auxquelles ils sont confrontés à un moment donné ».

« Ils basculent dans un autre imaginaire, dans un radicalisme qui correspond à une réponse au besoin de croire ». Cet engagement répond aussi, selon le sociologue, à une quête de reconnaissance, de revalorisation. Ils vont être « attirés par un destin plus glorieux que par la vie sans espoir à laquelle ils se pensent assignés ». Plusieurs témoignages traduisent ce sentiment des jeunes qui n’entrevoient aucune perspective d’avenir dans leur société.

Ainsi, d’après le sociologue, « ceux qui basculent dans le radicalisme violent, ce sont les perdants de la lutte des places ». Une lutte inégale qui, d’après lui, s’exacerbe de plus en plus dans un monde globalisé : chaque individu se retrouve renvoyé à lui-même pour se faire une place dans la société. Une lutte individuelle pour obtenir un statut, une reconnaissance, pour exister socialement.

Rien à faire, rien à perdre

L’ouvrage est le prolongement d’un projet conçu par Isabelle Seret : « Rien à faire, rien à perdre ». Les récits de vie, que l’on retrouve dans le livre, sont présentés sous forme de capsules vidéo. Elles servent de support pédagogique pour approcher le phénomène de radicalisme violent avec un jeune public, à travers un travail d’animation dans les écoles.

En retraçant les processus de décisions qui ont amené les jeunes à se rapprocher du radicalisme, en donnant à voir les difficultés qu’ils éprouvaient à trouver leur place dans leur société, cet outil permet une réflexion avec les jeunes et participe à la prévention de la radicalisation.

Car la prévention est au coeur de toute cette démarche entreprise par Isabelle Seret et Vincent de Gaulejac. Ce dernier souligne : « la sécurité ne peut fonctionner qu’à court terme, mais à long terme, ça ne résoudra jamais le problème. Il faut faire de la prévention. Et il ne faut pas opposer l’un à l’autre, mais mener les deux de front ».

La prévention, une affaire collective

« Il faut développer une intelligence collective, à partir des différences, qui permet de comprendre, c’est-à-dire de revenir aux causes pour pouvoir agir ». Les auteurs défendent l’intime conviction que, pour qu’elle soit efficace, la prévention doit mobiliser les jeunes et les familles qui ont été personnellement confrontés à ce phénomène.

Les familles de djihadistes en détresse, « déchirée entre leur loyauté affective et un sentiment dévastateur de honte », ressentent le besoin d’agir et de s’associer à cette lutte préventive contre la violence. Ce fut le cas, notamment, pour Saliha Ben Ali, qui a fondé l’ASBL « Save Belgium « .

Son outil de prévention a d’abord été son propre témoignage : « celui du départ de mon fils, du processus de radicalisation et de son décès ». Un récit difficile à raconter pour cette mère, qui de plus, voulait « apporter autre chose, apporter une note d’espoir. Je voulais que les jeunes travaillent certains processus d’embrigadement, qu’ils décortiquent et qu’ils travaillent l’esprit critique et le libre arbitre. » C’est ainsi qu’elle est devenue responsable des animations « Rien à faire, rien à perdre ». En parlant de cette thématique dans les écoles, le but était « de libérer la parole, de permettre aux jeunes de dire ce qu’ils ont envie de dire et, surtout, qu’il n’y ait plus de tabou du tout ».

« Nous ne sommes pas les bonnes victimes »

La situation des familles de djihadistes est loin d’être évidente : pourtant victimes du phénomène de radicalisation, leur position n’est pas facilement comprise, ni reconnue, ni acceptée. « Tout ce que je voulais, c’est qu’on m’entende, qu’on reconnaisse ma souffrance et ma douleur », explique Saliha Ben Ali. « Et cette souffrance, on n’a pas l’autorisation de la montrer, de la partager avec les autres. Parce que nous ne sommes pas les bonnes victimes. C’est ce qu’on nous disait souvent. On est les parents d’auteurs. »

Dans cette position-là, où trouver une écoute ? Au début, « j’ai galéré pour être entendue », explique Saliha Ben Ali. « Alors j’ai créé un groupe de parole pour que les familles puissent avoir un espace pour déposer ce que les gens n’étaient pas prêts à entendre, cette douleur, ces émotions-là ».

Saliha Ben Ali est donc l’une de ces mères qui a transformé ses sentiments en action. « Certaines personnes nous demandent d’oublier, tout simplement. Mais c’est impossible d’oublier. Donc on décide de continuer à vivre, de construire quelque chose de nouveau. Et j’ai inventé un slogan « la victimisation active » : c’est-à-dire que rien ne nous empêche d’être victimes, mais tout nous permet d’être actives pour aider les autres. Et c’est ce qui m’a sauvé, en quelque sorte ».

Rassembler les familles

Face à ce phénomène relativement nouveau, les outils pour les familles touchées par la radicalisation se mettent en place petit à petit. A la suite des groupes de paroles, ce sont des soirées rassemblant les familles concernées et le tout public qui ont vu le jour. « On a vu naitre une solidarité », témoigne Saliha Ben Ali. « Des ponts se sont formés et des gens de l’extérieur ont proposé leur aide. C’est ce qui nous a permis de sortir de l’entre nous, il y a d’autres personnes qui sont là pour tendre la main ».

Les initiateurs du projet, convaincus par l’importance de retisser du lien social, ont ensuite réuni les victimes des attentats et les parents des auteurs, le vendredi 23 mars. « Une première en Belgique ». S’il s’agissait là d’un test avec un petit groupe, leur but est pour plus tard « d’impliquer toutes les familles qui le désirent, des deux côtés ». Et, à travers ces rencontres, « essayer de construire un destin commun ».

Oriane Renette.

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