Rachid Benzine © Tim Dirven/Reporters

Rachid Benzine: « Il faut réconcilier les jeunes musulmans avec leur passé »

Stagiaire Le Vif

Dans le cadre de « la politique de prévention du radicalisme violent et du dialogue interculturel », un séminaire était organisé au Centre Communautaire Maritime de Molenbeek, ce lundi 12 septembre. Le maître de conférences, monsieur Rachid Benzine, est un islamologue, politologue et enseignant franco-marocain qui défend l’islam libéral.

L’importance de l’imaginaire dans la religion

Cette initiative organisée par Sarah Turine, échevine de la jeunesse, de la prévention et de la cohésion sociale et du dialogue interculturel, était destinée aux travailleurs sociaux de terrain. C’est donc fort logiquement que l’assemblée était composée de directeurs d’école, de professeurs et autres membres d’associations de quartier.

Le maître de conférences, monsieur Rachid Benzine, est un islamologue, politologue et enseignant franco-marocain qui défend l’islam libéral. Il se définit lui-même comme un chercheur voulant fournir un travail rigoureux et scientifique. Pour ce faire, il se questionne sur le Coran et le remet en question. Il s’interroge sur les idées et l’imaginaire véhiculés par le Coran et la Sîra, la biographie de Mahomet, dernier prophète de l’Islam.

Dès le départ, Rachid Benzine insiste sur l’importance de l’imaginaire dans la religion. L’imaginaire est différent pour chaque civilisation, chaque peuple voire pour chaque individu. Il souligne la différence fondamentale qui existe entre le Mahomet de l’Histoire et le Mahomet de la foi (le même constat est établi pour Jésus).

La représentation du prophète est propre à chaque génération et évolue en fonction du contexte politico-social et des projections de chacun. L’évolution d’une croyance est donc liée à ses modalités. Aujourd’hui, il serait impossible d’écrire une biographie du prophète. Il prend comme exemple l’imaginaire coranique et l’imaginaire islamique, qui sont différents mais peuvent être associés. C’est l’évolution d’un imaginaire qui remplace le précédent. L’imaginaire est composé de trois couches : le corpus, l’imaginaire et la société. Il est important de ne pas les mélanger et effectuer un travail minutieux lorsqu’on les étudie, couche par couches, tel un archéologue.

Pour notre orateur, l’histoire et la géographie sont étroitement liées et occupent une place importante dans son travail. Elles permettent d’apporter du concret par rapport aux civilisations et aux sociétés étudiées. Lorsqu’on étudie l’histoire par exemple, il faut différencier les trois couches que sont le temps, le lieu et le groupuscule humain. Il ne faut surtout pas transposer des rituels et coutumes d’une génération à une autre sans les remettre dans le contexte historique : « Il faut éviter de projeter le présent sur le passé car le passé ne connaît pas son futur, autrement dit notre présent. « . Par exemple, l’Islam du 7ème Siècle n’a rien à voir avec l’Islam du 9èmeSiècle et encore moins avec celui du 21ème Siècle. Il y a une évolution des pratiques, des mentalités et de la société sur un laps de temps défini. Comme nous le rappelle Rachid : « Les mots voyagent mais pas l’imaginaire « .

Le processus d’universalisation de l’Islam

Au début de son histoire, l’Islam était loin d’être une religion universelle. Elle était basée sur l’alliance, le social et l’ethnique entre les peuples, liés à un processus de sacralisation. Tout le monde ne pouvait pas être musulman, il fallait le mériter.

Certains musulmans prêchent que le Coran est un texte sacré, incréé et qu’il ne peut pas être touché, ni interprété. C’est faux puisque lorsqu’on lit un texte, chacun de nous en fait sa propre interprétation en fonction de son histoire, de son vécu et de ses expériences. Il existe des présupposés pour tout et il est important d’en être conscient et de se questionner dessus. Le statut d’un texte est basé sur son statut politique et sociétal. C’est-à-dire que dans un texte, il est important de faire le lien entre son interprétation et son pouvoir. On en revient donc à l’importance de l’imaginaire.

Pour Rachid Benzine, la différence fondamentale entre le Coran et la Bible se trouve dans le fait que le Coran est un discours alors que la Bible est un récit. Le Coran doit donc être approché comme un puzzle dont il faut reconstituer toutes les pièces pour arriver à un tout cohérent. Si on prend le Coran par morceaux (versets) on en a une lecture faussée et on en fait une utilisation théologique. Pour comprendre le Coran, il faut le prendre dans son intégralité. Rachid effectue une distinction importante entre la violence du discours et la violence de l’action, entre les règles de société et les règles religieuses.

Lorsqu’on fait une étude anthropologique de l’Islam, on se rend compte qu’à ses débuts il était régi par la loi du talion. Au 7ème Siècle, chaque individualité était un élément important qui constituait la force du groupe. Il ne fallait surtout pas qu’il y ait de morts, sous peine d’affaiblir le clan. C’est pour cette raison que si un peuple tuait un combattant, le peuple adverse tuait l’un des leurs. Le Coran était régi par la culture de la négociation et du compromis. La Razia (pilier les richesses adverses) était couramment pratiquée, mais sans meurtres. Il n’y avait donc ni martyrs, ni vierges, ni récompenses dans le Coran pour ceux qui mouraient. C’est une interprétation du texte apparue dans les années 1980. A cette époque, le peuple musulman était très pragmatique. Il ne croyait pas en la résurrection, ni au jugement dernier ou encore la vie dans l’au-delà. Ils voulaient des preuves concrètes de ce qu’avançait Mahomet et c’est pour ça qu’il fut insulté et critiqué lors de son vivant. La société était basée sur la solidarité. Celui qui avait de bonnes alliances possédait le pouvoir. C’était une société patriarcale et les mariages se faisaient par intérêt et non par amour.

Le processus d’universalisation de l’Islam est lié à ses différentes interprétations au fil des siècles. A l’époque, nous avions affaire à un islam traditionnel, qui se transmettait de génération en génération. Aujourd’hui, il y a différents courants de l’Islam, donc différentes interprétations. Nous sommes dans un Islam identitaire et contestataire, ce qui amène les complications que nous connaissons.

Le problème dans l’interprétation de l’Islam actuel, c’est que le prophète à plus d’importance que Dieu. Rachid Benzine insiste sur le fait que dans le Coran, il ne faut jamais séparer la théologie du politique. Sinon on crée une dette de sens qui amène de la reconnaissance et enfin de l’obéissance.

L’islamologue analyse la religion selon trois critères.

Tout d’abord, l’aspect éthique qui comprend le respect des institutions religieuses.

Le pratiquant doit se respecter, respecter l’autre et respecter les institutions.

Ensuite vient l’aspect cognitif représenté par les rites et les textes qu’il faut connaître et appliquer. Enfin l’aspect identitaire définit par les codes vestimentaire et alimentaire qu’il faut respecter. Les croyances ont un effet politique, psychique et social. Rachid Benzine compare la religion à l’amour : c’est un processus basé sur la confiance. Une fois que la personne se sent lésée et qu’elle ne croit plus en ce qu’on lui dit, elle marque une rupture et la confiance disparaît.

Le phénomène Daesh

La difficulté actuelle avec le « phénomène Daesh », c’est qu’il existe une multitude de profils parmi les jeunes qui s’engagent au djihad. Cela va de l’adolescent paumé et sans repères qui se sent exclu de la société, au jeune actif diplômé et installé dans une situation confortable. Comment expliquer cette différence de profils ?

L’organisation Etat islamique est basée sur quatre rêves. Le premier est celui du califat qui s’oppose à la démocratie. Ils veulent créer un royaume dirigé par Dieu et non plus par les Hommes. Ensuite, Daesh propose à ces jeunes, perdus au milieu des humiliations, de regagner de la dignité. Ils jouent sur le fait que les humiliations d’hier peuvent amener la violence de demain. Après vient l’idée de pureté. L’homme est fait pour aimer la femme et non un autre homme. Pour eux, ce « respect de la nature » est une justification légitime à leurs actes de violence. Enfin vient l’idée du salut. Si votre vie n’a pas de sens, donnez un sens à votre mort. Rachid reprend une citation de l’Abbé Pierre : « Une civilisation se mesure aux objets de colère qu’elle est capable de proposer à sa jeunesse »

La force de Daesh, c’est qu’elle développe une idéologie basée sur la puissance de l’esprit. Et on sait que le contrôle par l’idéologie est bien plus puissant que par la force. L’Etat islamique développe trois imaginaires importants. L’idée de révolte et de révolution. Chaque jeune, à un moment donné, a envie de changer le monde et de se révolter contre la société qu’il trouve injuste. Egalement l’imaginaire du « salaf » qui correspond à l’islam des générations fondatrices, l’islam le plus pur. Il détermine la place de l’Homme et de la Femme dans la société.

Enfin l’Islam politique et la projection de créer un califat pur pour remplacer la corruption de ce monde capitaliste.

Daesh joue sur le mythe de la fin du monde, de la migration et de la communauté idéale. Elle offre un imaginaire rêvé à tous ces jeunes perdus et sans repères. Daesh est une force internationale, répandue dans le monde entier et, pour le moment, nous n’avons rien d’assez puissant pour la contrer. Au contraire, le climat de tension actuel renforce le sentiment de nationalisme et de repli identitaire. C’est exactement ce que veut l’Etat islamique. Elle joue là-dessus et arrive à déshumaniser l’autre pour créer de la violence. Aujourd’hui, Daesh peut véhiculer sa propagande aussi vite qu’une traînée de poudre via les réseaux sociaux. Pourtant, d’après Rachid, le futur de l’Islam se trouve sur Internet.

Quelles solutions face à cette crise ?

Une chose importante relevée par l’islamologue, c’est que le Coran incite mais il n’impose pas. Il faut donc toujours ramener les mots à l’époque et la société dans laquelle ils ont été écrits. Souvent, lorsque les gens parlent de l’Islam ou du Coran, en réalité ils parlent de leurs propres désirs et se projettent dans les textes.

Par exemple, le Coran a été écrit au 7ème Siècle et le contexte était bien différent de maintenant. Rachid insiste : « Il n’y a pas de bon ou de mauvais Islam. Chacun en fait son interprétation personnelle car la religion est quelque chose d’intime ».

Lorsque quelqu’un dans la salle lui demande : « Les jeunes mal dans leur peau, cela a existé de tout temps. Mais pourquoi, aujourd’hui, tant de jeunes sont attirés pour partir faire le djihad ? »

Rachid répond : « il n’y a pas de réponse simple. C’est une question complexe dont nous n’avons pas encore la réponse. Mais pour moi, la question est plus intéressante lorsqu’on la retourne: Pourquoi certains jeunes, dans la même situation, ne partent pas ? »

Aujourd’hui, le territoire mental l’emporte sur le territoire physique et la fiction produit de la réalité. C’est un réel danger.

La langue arabe est complexe car les mots peuvent avoir différentes significations en fonction du contexte qui les entoure. C’est pour ça que l’interprétation et la traduction des mots dans l’islam a toute son importance. Il faut toujours prendre les mots à la racine et les décomposer. Bien souvent, même les traducteurs font des fautes d’interprétation dans la traduction du Coran.

L’une des solutions envisagées par le sociologue pour sortir de cette spirale négative dans laquelle nous nous trouvons actuellement, c’est de (re)développer l’imaginaire chez les jeunes. Il faut les nourrir d’histoires et de récits du passé. Leur apprendre d’où ils viennent, l’histoire des générations qui les ont précédés, de leur culture et de leur quartier. Ainsi, ils arriveront à se réconcilier avec leur passé et avec eux-mêmes. « Il faut connaître son passé pour construire son futur ». Il faut redonner du sens à leur vie et les réconcilier les uns avec les autres, apprendre à réhumaniser l’autre.

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